Age Of Champagne : millésime ou vin de table
La France est réputée pour ses grèves, ses râleurs, et ses bons vins. Bien qu’il y ait peu de jeu sur les deux premiers thèmes cités (challenge dans les commentaires : qui saura citer le plus de jeux sur le thème des grèves ^^), au niveau production d’alcool en revanche, il y en a un certain nombre. Le Bien et le Malt a su trouver sa place dans les étagères de bon nombre de joueurs grâce à son gameplay original et très réussi. La production d’alcool se prête parfaitement aux jeux de gestion dont des références comme Viticulture et Vinhos. Certains comme Dom Pierre ont tenté de rivaliser avec ces 2 millésimes sans en atteindre l’excellence. Prochainement Distilled va tenter sa chance avec un jeu sur les spiritueux à base de cartes.
Christophe Pouey, Cyrille Lefranc et Franck Rubarbe travaillent dans le monde du Champagne, et ils sont également amateurs de jeux de société. Ils ont donc décidé de créer ensemble un jeu sur la production de Champagne en étant le plus fidèle possible à ce thème qui leur tient à cœur. Après plusieurs années de maturation, le jeu est sélectionné au concours protolab du festival de Cannes, l’occasion pour l’équipe de séduire un éditeur. Afin de garder la main sur le projet, Christophe Pouey a crée Old Hen Games pour autoéditer le jeu. Il ne leur restait plus qu’à redonner tout son sens à Kickstarter en passant par le financement participatif pour permettre à ce nouvel éditeur de finaliser son grand cru, Age Of Champagne, dans la catégorie jeu de pose d’ouvriers.
Les qualités du jeu seront-ils à la hauteur de son acronyme qui m’a énormément séduit (Age Of Champagne : AOC) ?
Process de Fabrication
Le covid a semble-t-il été sévère dans le monde du champagne puisque tous les joueurs incarnent des chefs de cave qui viennent d’hériter d’un domaine viticole. À nous d’en faire un nom prestigieux en 10 ans (soit 10 manches de jeux). Age Of Champagne se classe dans la catégorie des jeux de poses d’ouvriers.
En tout début de manche, une carte événement va venir légèrement chambouler le tour en cours. Puis dans l’ordre du tour, chaque joueur va positionner l’un de ses trois pions collaborateurs afin d’acquérir de nouveaux cépages, d’agrandir ses cuves et pressoirs, de mettre en bouteille le précieux liquide et le vendre. Il sera alors temps de vendanger pour préparer la prochaine cuvée. Chaque emplacement est associé à un bonus ou un malus (gain ou perte de points de victoire, gain ou perte d’éco-responsabilité,…) qui sera résolu une fois le collaborateur récupéré.
Attention, si l’on peut disposer nos ouvriers comme bon nous semble, ces actions seront résolues dans l’ordre suivant :
- Ajout de cépage
- Amélioration de nos cuves et pressoirs
- Stratégie marketing
- Vente de nos bouteilles
- Mise en bouteille de nos cuves
- Vendange (la seule action qui se fait automatiquement, pas besoin de collaborateur)
- Changement de l’ordre du tour
C’est une très bonne chose car cela permet d’avoir une lecture simplifiée du jeu des autres joueurs. Au début du tour, ce que chaque joueur a dans sa cave est visible, d’autant que la production de la manche en cours ne sera vendable que lors de la manche suivante.
Nous avons trois types de cépage qui, mélangés (ou pas), vont nous donner trois types de bouteilles. Le travail de l’éditeur et des auteurs sur ce point est assez remarquable. Le raisin se récolte sous forme de cube que nous plaçons dans notre cuverie. Pour la mise en bouteille, il suffit de prendre trois cubes de la cuverie selon un schéma indiqué sur l’aide de jeu, l’un se transforme en bouteille et va dans la cave, et les deux autres retournent dans la réserve. C’est très simple en terme de gameplay, et cela limite les manipulations superflues.
En centrant le jeu sur la production et le prestige, les auteurs ont pu faire l’impasse sur l’argent, limitant les manipulations de jetons et fluidifiant du coup les mécaniques du jeu. Une absence qui ne se fait pas sentir durant la partie.
Rien d’innovant, mais le tout tourne plutôt bien d’autant que la majorité des actions peuvent être résolues en simultanée par tous les joueurs. Pour plus de détails sur les règles, je vous invite à regarder le ludochrono qui lui est consacré.
Robe, acidité, arôme, il est temps de passer à la dégustation
Les cartes événements vont impacter les joueurs de façon assez superficielles, positivement ou négativement. Seulement comme elles ne peuvent pas être anticipées, même si leur influence reste légère, cela peut amener quelques grincements de dents. Ces événements sont dispensables, sauf si vous aimez bien la jouer thématique puisqu’ils reflètent les aléas de la vie de chef de cave. Elles prennent plus d’intérêt avec le mode « négociant » (l’IA qui sert d’adversaire en mode solo ou qui peut ajouter un joueur virtuel pour vos parties à 2 ou 3 joueurs), puisque sur la carte événement figure également des éléments de jeu pour le négociant.
Il y a suffisamment de place pour ne pas être bloqué sans toutefois se sentir libre comme l’air. Un jeu de pose d’ouvriers comme je les aime, au niveau des actions c’est tendu à souhait. Nous ne jouons pas le nez collé à notre plateau de jeu non plus. Il faut bien observer le plateau des autres joueurs d’une part pour anticiper les ventes les plus lucratives, et d’autres part pour acquérir les bons vignobles. En effet il y a cinq zones géographiques, en fin de partie nous allons scorer 5 points par lot complet de vignobles (un par zone géographique), et 4 points par zone où nous sommes majoritaires en vignobles. Des points non négligeables qui sont à prendre en compte dans le choix des vignobles à acheter (en plus de la couleur des cubes fournit par la cartes), et peuvent inciter un joueur à se mettre en premier joueur pour foncer au prochain tour sur un vignoble convoité.
Les bonus/malus de placement incitent à bien lire le jeu des autres afin de prioriser nos actions pour optimiser au maximum les gains (ou réduire les coûts). Il existe notamment deux cases liées l’une à l’autre sur l’amélioration de notre pressoir et le gain de nouvelles cuves. Si un joueur se place sur ces deux emplacements, il gagne un jeton bonus. Seulement bien souvent, un autre joueur préférera laisser filer un point de prestige pour contrer la tentative de prise de jeton. Chaque tour nous nous regardions dans le blanc de l’œil, attendant le moment opportun pour tenter la prise du jeton. J’ai particulièrement apprécié cette idée du jeu.
Et j’en profite pour rebondir sur lesdits jetons bonus. Au niveau du marché des ventes, nous avons également trois jetons bonus par emplacement (France, Europe et Monde). Le premier joueur à vendre sur l’un de ses emplacements va regarder les trois jetons et en choisir un. Du coup, le suivant qui vendra à cet endroit aura le choix entre les deux jetons restants etc… Là où le bât blesse, c’est que ces jetons sont très disparates : alors que certains ne donnent que 2 points de prestige, d’autres fournissent carrément la possibilité de faire une action supplémentaire lors d’un tour futur. Dans le cas des ventes je dis banco, premier arrivé premier servi et mieux servi. Cela est même très intéressant d’un point de vue stratégique, car soit un joueur va vite vendre pour récupérer les meilleurs jetons, soit il va rapidement aller à l’œnothèque pour accroître le prestige de ses bouteilles et maximiser ses points de victoire par la suite.
Seulement durant la partie, il y a également quelques actions qui vont nous donner un jeton bonus pris au hasard. Et là il y a eu plus d’une fois des déceptions perceptibles à la découverte du jeton pioché. Il aurait fallu des jetons pour le marché et d’autres à piocher en cours de partie.
Les commandes à l’autre bout du monde vont impacter négativement notre score d’écoresponsabilité, mais va-t-on laisser passer une belle opportunité de business ? Sur l’emplacement des ventes, les deux cases du haut permettent de répondre à une des six cartes présentes sur le plateau. Celle du bas vont nous permettre de vendre deux fois, mais uniquement les cartes du bas. Il faut donc bien planifier et lire le jeu de ses adversaires.
J’ai trouvé les bonus de ses cases très intéressants. Sur les cases du haut, nous pouvons vendre en premier sans tenir compte de l’ordre du tour, une très bonne idée qui limite la pénibilité d’être dernier. L’autre case permet de faire une vente avec un cube de moins, s’accompagnant ipso facto d’une perte en point de prestige : pratique s’il nous manque un type de cépage. Les cases du bas sont plus classiques mais permettent de réaliser deux ventes, ce qui est bien aussi si notre cave est bien remplie. Les auteurs conseillent de diversifier vos cépages, et c’est un excellent conseil. Au cas où un concurrent nous coiffe sur le poteau, avoir des cubes de toutes les couleurs nous donne l’opportunité de facilement rebondir vers une autre vente.
Il existe une règle optionnelle de partenariat commercial qui permet de demander à un autre joueur de nous fournir un cube (et un seul) pour nous aider sur une vente. Si l’idée est louable, elle n’a pas fait l’unanimité autour de la table. D’un point de vue stratégique, elle brouille les cartes, car les joueurs ne peuvent plus anticiper qui peut vendre quoi sur le marché.
La jauge d’éco-responsabilité va monter ou descendre en fonction de nos actions afin de nous octroyer des points de victoire en plus ou en moins en fin de partie. Cet aspect du jeu m’a séduit, car elle correspond bien à une réalité du monde viticole, et s’intègre au jeu sans l’alourdir.
De façon générale, que ce soit dans le livret de règle ou via les mécaniques de jeux, nous sentons bien que les auteurs viennent du milieu, et qu’ils ont souhaité transmettre leur passion du champagne (dommage qu’un magnum ne soit pas fournie dans la boite ^^).
Une belle bouteille
Côté qualité d’édition, je salue le travail de Old Hen Games. Le côté noir et blanc avec une pointe de couleurs sur le plateau central est très élégant. Une note de craie sur un tableau noir. Le jeu en est très lisible, avec des pictogrammes explicites et des indications très claires sur les différentes parties du jeu, qui ne sont pas masqués par un trop plein d’illustrations. Le système de cubes de trois couleurs fonctionne très bien. Simple à assimiler, il limite les manipulations de cubes. De plus, la mise en place est rapide, et le jeu ne nécessite pas une table à triple rallonge pour être déployé.
Trinquons en tête à tête
Si j’ai fait la majorité de mes parties à 4 joueurs, j’ai pu également trinquer en tête à tête avec ma chère et tendre. Pour ajouter plus de tiraillement, nous avons suivi les modules haute tension et négociant. Avec Haute tension certains emplacements sont bloqués pour plus de…tension. Chaque tour les pions de blocage se décalent d’un cran. Les auteurs ont trouvé le bon dosage pour amener la bonne interaction à deux joueurs. Avec le module Négociant, les ventes sont également complexifiées avec l’ajout d’un troisième joueur virtuel. Sur la carte événement du tour se trouvent les instructions le concernant. Ça tourne bien aussi. Comme les vins du négociant sont visibles en début de tour, il est facile de déterminer quelle vente il va réaliser, et ainsi agir en conséquence.
Toutefois à deux joueurs un petit bémol gâche le pétillant de la dégustation : dans cette configuration toutes les cartes vignobles ne sont pas tirées. Or certains vignobles sont très rares (trois cartes en tout), et posséder une carte de chaque vignoble rapporte 5 points de victoire en fin de partie, un ajout non négligeable. Lors de notre partie, j’ai acquis un vignoble des côtes des blancs qui s’est avéré être la seule de la partie. Un élément que ma chère adversaire ne pouvait pas prévoir, et qui a quelque peu gâché son plaisir.
Dom Pérignon ou piquette ?
Si vous êtes amateur du thème et que vous cherchez un jeu de pose d’ouvriers simple à prendre en main, fluide, et qui n’occupe pas une place folle sur la table ce jeu saura répondre à vos attentes à condition d’y goûter avec parcimonie. Ce n’est pas un millésime, mais comme le bon champagne, il ne donne pas mal à la tête, et on passe un bon moment à le déguster 🙂
Pour ma part, ayant une ludothèque bien remplie, je trouve qu’il lui manque un petit quelque chose pour faire la différence. Les quelques défauts cités m’ont empêché de pleinement goûter à ce jeu, et au bout de quatre parties, je n’avais plus guère de velléité à le sortir. Un côté redondant s’est installé, les parties se ressemblant trop. Bien que plus « expert » et surement mois fidèle au thème, Vinhos aura ma préférence pour sa plus grande rejouabilité.
Toutefois, l’histoire de ce jeu et de ses auteurs m’a touché. Vu qu’il ne manque pas grand chose pour faire d’Age Of Champagne un grand cru, j’espère qu’ils réitéreront l’affaire, et je les suivrai avec intérêt.
Crédits photo cover – ban : BGG – Cyrille Lefranc
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