Aeterna : Rome brule-t-elle ?
Avant toute chose, sachez que Martin Wallace est probablement l’un de mes auteurs préférés. Dernièrement, je me suis offert Liberté, mais j’attends le moment idéal pour le découvrir, et un Just Played de Lincoln attend dans les tuyaux au moment où j’écris ces lignes. Aeterna était donc une énorme attente pour moi, avec quand même quelques doutes, car le bonhomme est capable du meilleur et … du moins bon, sans oublier que ce sont des jeux qui se méritent. Mais il n’a pas son pareil pour créer des jeux avec une interaction douce-amère. Shan avait parlé d’Aeterna dans cette news, et je dois avouer que j’avais une légère inquiétude, un jeu de draft avec neuf phases ?

Du pain et un jeu
Nous incarnons une famille romaine. Durant trois ères, qui représentent les époques où l’Empire romain s’est développé, nous allons chercher à accroître notre prestige. Pour cela, on va conquérir des territoires, construire des monuments et prendre le contrôle des 7 collines de Rome. Mais, et c’est là qu’est le twist du jeu, la révolte gronde… et cela peut vous coûter cher (très cher niark niark).
Neuf phases ?
Oui, bon, ça va ! C’est vrai que ça fait peur, mais finalement, tout est assez simple : on fait avancer un petit meeple bateau à chaque phase. En réalité, deux d’entre elles seulement sont réellement signifiantes, la phase de draft où l’on va sélectionner nos cartes et la phase d’action, les autres sont plus secondaires- et classiques : phase d’entretien, de dévastation ou de nourrissage des ouvriers… Mais le fait de les avoir organisées en phases permet d’éviter les erreurs, il faut scrupuleusement suivre la procédure.

Phase A jusqu’à I.
Durant la phase de draft, on va tous démarrer avec cinq cartes, trois Monuments et deux Provinces. La dernière carte est placée sur le plateau et peut être achetée par les joueurs. Cette action semble anodine, mais elle introduit une petite interaction subtile dans un mécanisme de draft qui pourrait être solitaire sans cela.
Une fois que l’on a constitué notre main, on passe à la phase d’action. Cela consiste la plupart du temps à jouer une carte, payer son coût et gagner son bonus. Les provinces coûtent des Citoyens, mais rapportent de l’argent, du blé, de la pierre, etc., et éventuellement un peu de révolte, mais ça, j’y viens bientôt :).
Les cartes « Monuments », quant à elles, coûtent de l’argent, mais elles nous donnent des bonus. Ces derniers peuvent être des citoyens ou encore des pouvoirs permanents ou ponctuels qui s’activent seulement une fois par ère. Oui, on va se construire un moteur de jeu. D’une certaine façon, les cartes Monuments permettent d’acheter des cartes Provinces et vice-versa, l’économie du jeu est ainsi faite.

Mais il y a aussi un grand plateau et il ne sert pas qu’à décorer ou rappeler les fameuses neuf phases. À son tour, on peut envoyer un de nos citoyens pour influencer une colline, et activer un des jetons de récompenses présents, pour gagner des ressources. Mais surtout se placer pour devenir préfet et gagner des points de victoire en fin d’ère, parce que l’on vient tout de même pour cela à la base :).

La construction des Monuments, Temple, Aqueduc ou Amphithéâtre, donneront des bonus au joueur majoritaire sur la colline où il est placé – attention de ne pas en faire bénéficier bêtement un autre joueur (c’est du vécu ^^). Ces bâtiments restent d’une manche sur l’autre, rendant le lieu plus attrayant pour la manche suivante.

La révolte groooOOoonde
Pour chaque colline, le joueur majoritaire sera déclaré préfet et gagnera des points de victoire, le suivant un peu moins, etc. Le sieur Wallace est malin, car à la fin de l’ère, les trois collines les plus peuplées vont déclencher une révolte, et, quand sonne la rébellion, les gens cassent tout, cette colline rapportera moins de points à la prochaine ère, ce qui concentrera peut-être les débats sur d’autres collines plus lucratives.

Vous êtes préfet et vous venez de gagner des points ? Et bien vous réjouissez pas trop vite, car vous allez devoir subir une révolte, une simple piste avec un marqueur qui évolue, sauf qu’il va falloir passer à la caisse, pour chaque marqueur dégâts que vous avez dépassé, vous allez devoir payer les ressources. Du blé, de la pierre, des citoyens, tout ce dont vous avez besoin pour construire votre jeu. Oui, oui, ça pique !

Ici, le joueur bleu doit payer trois jetons de révolte, ou prendre jusqu’à 3 jetons de ruines.
Si vous ne pouvez ou ne voulez pas payer, vous pouvez simplement prendre un jeton Ruine. Je ne vois pas ce qui pourrait mal se passer ; qui aurait pu prédire hein ? :). Attention, il vaut mieux prendre un jeton ruine ou plusieurs, même si ça va vous couter cher en fin de partie, que de détruire son économie en payant tout, mais c’est à vous de voir…
Et si ça ne suffisait pas, viens le moment où il faut nourrir tous nos citoyens ! Et si vous ne pouvez pas les nourrir, vous augmentez votre marqueur de révolte de deux cases. Ça peut chatouiller aussi.
Vous avez compris, ce marqueur de révolte est un peu la clé du jeu, car il faut trouver le moyen de le maîtriser pour ne pas exploser en vol. Il ne descend pas comme par magie entre chaque ère, sinon ça serait bien trop facile, il vous faudra trouver des moyens pour calmer la rébellion. En effet, vous verrez qu’il existe plusieurs moyens de faire descendre cette révolte, par exemple en ayant les faveurs de personnage ou avec certaines cartes, en activant un jeton récompense ou même en défaussant une de nos cartes en main.
Je pense que vous avez compris l’importance des jetons Ruines : en fin de partie, ils vous feront perdre des points (de 1 à 17), voire même perdre la partie si vous en avez trop. Inutile de compter vos points dans ce cas !

Quelques personnages
Quoi qu’il en soit, on repart pour une nouvelle ère avec de nouvelles cartes. Première constatation, elles sont plus chères, certaines provinces donnent des bonus très forts, mais font augmenter la révolte fortement, bah oui c’est thématique, vos citoyens n’apprécient pas votre politique expansionniste, mais elles vous donnent aussi des points de Gloire, on n’a rien sans rien.
L’interaction est centrale dans Aeterna, on joue en observant ce que font les autres, on observe les ressources qui leur restent, pour leur damer le pion. Il n’est pas rare qu’un adversaire vienne s’installer sur une colline afin de grappiller éventuellement quelques points, mais surtout dans le but de déclencher une révolte (je rappelle, seules trois collines seront dévastées). Oui, le petit coup de poignard dans le dos.

Ah, tu as voulu être préfet ? Et bien soufre maintenant ! Ce qui nous fait penser qu’il vaut parfois mieux être deuxième que premier d’ailleurs. Cela reste à débattre, car les bâtiments rapportent des points, du blé, ou réduisent la révolte… Intéressant, malgré tout, de chercher la première place.
À chaque ère, nous avons aussi deux personnages illustres (dépendant du nombre de joueurs à la table) dont on peut obtenir les faveurs. Concrètement, il suffit de payer et d’avoir les prérequis pour gagner les bonus. Par exemple Romulus vous fait redescendre sur la piste de révolte pour chaque colline où vous êtes en première position au moment où vous le jouez.

Sho Ryu Ken !
Cependant, il est compliqué de l’optimiser, car un autre pourrait s’en saisir avant vous. En effet, c’est le principe de la première arrivée, première servie. La compétition est donc au rendez-vous. Passer son tour est important, puisque le premier à le faire obtiendra 6 points, tandis que les autres obtiendront 3, 1 et 0. Mais cela est compensé, car jouer en dernier dans un jeu avec une majorité est un avantage qui peut s’avérer décisif. Et l’ordre du tour de la manche suivante sera déterminé par les joueurs.
Après une dernière ère, on passe au décompte. Vous pourriez perdre des points si vous avez trop monté le marqueur de révolte. Il y a aussi un principe de collection : si vous avez dans vos cartes jouées les 7 couleurs, vous marquez 9 points. Si vous n’en avez que 6, vous avez trois points. C’est un aspect du jeu qui ne nous a pas vraiment convaincus, sorte de pièce rapportée un peu grossière, même si on comprend cette « rustine » qui pousse un peu à avoir de tout – à l’inverse, quand vous jouez une carte avec la même couleur, vous avez un bonus d’une pièce (par carte de la même couleur). Pratique quand il y a une tension sur l’argent.

L’ordre du tour.
Et l’édition ?
Je ne vais pas trop m’appesantir sur l’édition, cependant, certaines choses posent question : le jeu prend une place importante entre son plateau personnel, et les cartes que l’on doit placer au-dessus, ou à gauche et à droite, et l’on imagine que le plateau aurait pu être réduit. Quoi qu’il en soit l’iconographie est parfaite, notre aide de jeu nous rappelle toutes les possibilités, voire le scoring de fin, et tout le matériel est de bonne qualité, avec ces meeples et ces ressources ciselées, etc. Les illustrations de Emiliano Mammucari et Andréas Rochas sont sobres et élégantes, même si les personnages ont un style un peu … décalé, avec leur côté « manga ».

Aide de jeux
Le système de punition nous a évoqué Londres, un jeu un peu passé sous les radars en France et souvent soldé (un jour, il faudra parler de ces jeux mal aimés qui finissent dans l’oubli), en effet, dans celui-ci, certaines de nos actions faisaient monter notre pauvreté et les joueurs qui en avaient plus perdaient des points. Comme avec Aeterna, il fallait trouver un moyen de la compenser ou de la résorber. Ici, les révoltes fonctionnent différemment, mais l’esprit demeure. Il nous faut trouver le moyen de jouer des cartes qui vont donner des bonus importants, mais faire potentiellement exploser la révolte, tout en les combinant avec d’autres qui vont la réduire. Et il existe quantité de moyens pour cela.

Ultima verba
Aeterna est un jeu plaisant qui, toutefois, peut engendrer des instants d’analysis paralysis chez certains joueurs.
Les cartes que l’on va construire dans notre jeu permettent de réaliser des combos plutôt gratifiantes. Certaines nous semblent plus puissantes que d’autres, mais ce sont peut-être des impressions trompeuses, méfions-nous des avis expéditifs sur l’équilibrage après deux parties.
Aeterna ne va clairement pas plaire à tout le monde, il conviendra plus aux joueuses qui aiment ce mélange de draft, de gestion de ressources tendues avec surtout cette interaction forte, voire punitive, où l’on doit constamment surveiller les autres.
On ravit la place d’un rival, un autre s’attire les faveurs d’un personnage sous vos yeux, tandis qu’un troisième s’installe sur la colline voisine… rien que pour semer la révolte ! Il se passe quelque chose autour de la table, c’est sûr. On râle, on peste et … ça fait du bien 😉
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Depuis sa création en juin 2014, Ludovox a à cœur la pertinence et l’intégrité des contenus proposés par une rédaction indépendante et l’établissement d’une charte que vous pouvez retrouver ici. Cet article a été écrit avec une copie presse du jeu. Si vous aimez notre travail, n’oubliez pas de nous soutenir sur Tipeee.
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Ihmotep 15/12/2024
Je n’ai fait qu’une partie de Aeterna. Un jeu avec des règles vite assimilé, un gameplay intéressant par son aspect tactique et son interaction présente et original dans son approche globale, notamment grâce à la piste de revolte. Mais qu’elle est punitive. !!!! Je l’ai mal anticipé sur ma partie et à la 3ème manche (sur 3, donc autant dire le tiers du jeu), je n’ai rien pu faire car la révolte m’a dépouillé de toutes mes ressources. Peut être un brin trop punitif contrairement au jeton faillite d’Automobile ou pauvreté de Londres qui ne sont « que » des points de victoire en moins.
Malgré cela il a un gout de revient s’y et je retenterai bien ma chance, mieux préparé ^^.
atom 15/07/2025
Oui, il vaut mieux prevenir de ce coté punitif. C’est probablement mieux de prendre un ou deux jetons ruines que de payer les ressources qui vont nous manquer ensuite pour construire notre moteur. Quand on sait ça, on prends des risques, mais on les quantifie.
Umberling 16/07/2025
Clairement la ruine/révolte est le système le plus intéressant d’Aeterna, mais je trouve le jeu très déceptif quant à ce qu’il fait : on peut facilement se focaliser sur certains aspects (la collection/les leaders) très ingrats en négligeant ce qui marque vraiment des points (les majos). Mais faire des majos, c’est aller à de la révolte, et donc devoir apaiser, etc. Comme Aeterna force un peu à l’horizontalité (tout faire), on perd grandement en puissance de choix. Donc décevant en ce qui me concerne.
Par contre, autre point qui m’a plu : les majos qui se dévalorisent par leur prise et qui se revalorisent par les bâtiments, c’est dynamique et chouette.
atom 16/07/2025
Je trouve que, justement la tension dépend des joueurs, dans une de nos parties, on a vraiment joué pour pourrir les collines où étaient majoritaires les autres joueurs. J’avais peur que le jeu soit un peu trop centré sur la révolte et qu’il faille absolument la contrôler, mais, en réalité, ceux qui s’en sont sortis le mieux c’est ceux qui n’ont pas eu peur de prendre des risques, maitrisé les risques.C’est pas mal aussi de chercher la deuxième place pour éviter les risques et prendre quelques points à peu de frais. J’aime beaucoup cette tension sur les collines qui vont subir des révoltes, j’en ajoute un la pour rien, mais je déplace la révolte ici et en plus je ne la subirais pas dans celle ou je suis majoritaire.
Je te rejoins sur la collection, ce n’est pas une mécanique qui m’intéresse généralement, sauf si elle constitue le cœur du jeu. Ici en effet, si on veut les points de la collection, il faut faire un peu de tout et, comme souvent, ça ajoute une contrainte artificielle.