Yokohama : Entre modernisme et classicisme

Yokohama de Hisashi Hayashi est sorti au japon en 2016 chez Okazu Brand la maison d’édition de l’auteur. Il a connu une version anglaise chez Tasty Ministrel Games avec même une version Deluxe dispendieuse comprenant pièces en métal et ressources en bois en lieu et place du carton. Version Deluxe introuvable aujourd’hui à un prix correct. 

Hisashi Hayashi est un auteur inventif et un peu touche à tout, que ça soit du Deck building avec le très bon Trains et sa suite, ou bien une mécanique d’enchère avec Emperor’s Choice, du roll and write (Métro X), du jeu d’ambiance (The Number), ou encore du jeu coopératif à sortir chez Cocktail games cet automne Bomb Busters dont Fouilloux vous parlait ici. Toute sa production n’est peut-être pas inoubliable, mais ça a toujours le mérite de l’originalité.

Revenons à Yokohama. TMG son éditeur a déposé le bilan en 2021, la licence devenant disponible, c’est Synapses Games l’éditeur canadien qui l’a récupérée et qui se charge de cette nouvelle édition remise au goût du jour. Pas de changement mécanique, mais l’éditeur a retravaillé le visuel et l’ergonomie, et ce n’était pas du luxe. 

J’en profite pour annoncer qu’ils vont aussi éditer (du même auteur) Yokohama Duel (sortie prévue en 2025) et Yokohama Roll and Write (sortie prévue en 2026). L’éditeur serait avisé de se pencher sur le cas d’Emperor’s Choice qui n’a jamais pu être livré. Yokohama est à ce jour son meilleur jeu (appréciation personnelle), mais méritait-il d’être réédité ? N’a-t-il pas subi les affres du temps, et quid de l’édition ? Nous allons répondre à tout cela.

 

Du jeu à l’Allemande mais Japonais

Nous sommes à l’ère Meiji, Yokohama était un petit village de pêcheurs, qui suite à sa modernisation est devenu une plaque tournante du commerce et même le principal port d’échange avec l’occident. Nous sommes des marchands et allons parcourir les diverses rues de Yokohama pour produire des ressources (cuivre, soie, thé et poisson), que nous allons livrer à des pays étrangers. Nous sommes surtout dans un jeu à points de victoire, nous allons justement en gagner en réalisant des contrats, mais aussi grâce aux technologies ou aux boutiques et maison de commerce que nous allons construire.

Yokohama partage une mécanique avec Istanbul de Rudiger Dorn, enfin disons qu’ils ont quelques similitudes. Dans l’un et l’autre, nous allons composer le plateau de jeu avec des tuiles placées au hasard. Tuiles qui représentent des lieux où nous allons pouvoir nous rendre. À notre tour, nous allons pouvoir placer nos assistants sur les tuiles du plateau, avec le choix soit de placer trois assistants sur des tuiles différentes, soit seulement deux sur une même tuile. Enfin nous pouvons envoyer notre président sur une tuile de notre choix afin d’y réaliser l’action qui sera plus ou moins forte en fonction de nos assistants et président, par exemple au village de pécheurs si j’ai deux assistants et mon président, je vais récupérer trois poissons, puis je reprends mes assistants en main. Voilà, un tour est très simple mais offre de puissants dilemmes.

 

 

Égrener ses assistants un peu partout c’est bien, mais ils sont en nombre limité ; ne plus en avoir c’est prendre le risque de faire des actions moins fortes. Rassurez-vous, vous allez pouvoir en récupérer de nouveaux. Simple je disais, mais il existe tout de même quelques contraintes : tout d’abord, on ne peut pas se déplacer sur une tuile où un Président adverse est présent (il existe tout de même une solution venant d’une carte technologie).

Il existe d’autres contraintes qui peuvent paraître de l’ordre du détail mais qui vous permettent de toucher du doigt, les tensions et dilemmes en jeu.

  • Si l’on souhaite placer un assistant sur une tuile lieu où est présent un Président adverse, on doit payer un yen au joueur.
  • Pour déplacer son Président, on peut aller n’importe où à condition que le trajet forme un chemin d’assistants.
  • Si l’on doit passer par une tuile où est présent un président adverse, on doit lui payer un yen. 

L’air de rien dans un jeu où le moindre Yen est important, en donner un est un choix crucial à arbitrer, et nous oblige parfois à différer une action ou à trouver un plan B.

 

En action facultative on peut aussi réaliser des commandes avant et/ou après son tour.

 

Comme je disais, plus il y a d’assistants et plus l’action est forte, mais mieux que cela, on va pouvoir construire des boutiques sur les lieux à condition de totaliser 4 ou 5 de force. Les Boutiques nous donnent des bonus, points de victoire, ressources gratuites ou yen, mais aussi un point de force permanent sur le lieu. Avec une force de 5, on peut en plus récupérer le jeton bonus, caisse d’export, ressources, yens, premier arrivé, premier servi, c’est la règle.

Nous sommes dans une grosse salade de points aux accents très Feldiens, honorer des commandes donne des points, mais aussi des bonus, ressources, yens, ou recrutement / déplacement d’assistants. Il y a une petite guerre de majorité en fin de partie que ça soit sur l’église, les douanes ou la technologie. On gagne également des points pour les collections de différents contrats étrangers ou cartes de technologie collectées.

 

Le plateau de l’église et celui des douanes.

 

Tout cela crée un défi d’optimisation qui évite la sensation de jeu solitaire à plusieurs, on surveille les autres joueurs, essayant d’aller plus vite qu’eux. On surveille aussi les conditions de fin de partie (et elles sont nombreuses), c’est un jeu où l’on transpire du chapeau. On joue notre action pour préparer la ou les suivantes, il faut avoir de la suite dans les idées. Ainsi je me rends à la banque pour récupérer quelques yens afin de récupérer une boutique supplémentaire que j’installerai au troisième tour, enfin, si on m’en laisse l’opportunité. 

Yokohama est un jeu très versatile où vous aurez toujours un plan B, voire un plan C en fonction de ce que vos adversaires ont fait (la carte ou la commande que vous désiriez a été prise), ou de  l’avancée de la partie. Et vous pourrez toujours trouver une autre solution, par exemple la commande que je viens de réaliser me donne les deux yens qui me manquait, ou la construction de cette boutique la ressource dont j’avais besoin. Et ces commandes peuvent être réalisées avant ou après mon tour.

 

Le plateau des commandes et celui des technologies.

 

Tout est imbriqué, par exemple pour aller sur l’action des douanes, il me faudra des caisses d’export que l’on gagne (entre autres) en livrant des commandes aux pays étrangers, mais pour cela il me faudra de nombreuses ressources. Choisir et renoncer, prioriser.

 

Ici aussi un avantage au premier qui remplit ces objectifs. Les suivants auront juste deux points de moins.

 

J’apprécie particulièrement les cartes technologies, celle-ci nous permettent de nous arranger avec les règles, par exemple avec Le téléphone on peut laisser un assistant sur la tuile que l’on vient de visiter, avec le Journal on peut déposer un assistant de plus sur une tuile différente, etc. Une petite asymétrie se crée entre les joueurs.

 

 

Yokohama toujours aussi moderne ?

L’ancienne édition était austère et pour la version japonaise à la limite de la lisibilité parfois avec une surcharge visuelle. La version internationale corrigeait quelque peu cela, mais tout cela faisait fouillis. Il n’était pas rare qu’un joueur soit coupé dans son élan parce qu’il n’avait pas vu la condition de fin arriver. La version Deluxe, sans être indispensable, avait le mérite d’avoir des jetons bâtiments en bois, qui sont bien plus visibles que ceux en carton.

 

Photo de la première édition

 

Cette nouvelle édition a choisi des couleurs adaptées aux daltoniens, mais elle est aussi plus claire avec des tuiles aux couleurs pastels, l’iconographie est impeccable, pas de ressources en bois ou de pièces en métal (il existe un pack Deluxe pour ceux qui veulent embellir leur jeu), mais des bâtiments en bois. Les plateaux joueurs sont double couche. Autre évolution, les points sont comptés sur les plateaux des joueurs au lieu d’un grand plateau, ce qui réduit la place nécessaire au jeu. Cette version en demande un peu moins, mais le jeu prend tout de même beaucoup de place. Pour cette raison je le préfère à deux joueurs, en plus les parties sont rapides (comptez à peine plus d’une heure quand on connait bien le jeu).

 

 

Est-ce qu’il a vieilli ? Oui et non, oui parce que cette mécanique de production, transformation de ressources en points de victoire, c’est quelque peu “old school”. Et si vous n’aimez pas la “dinette” ou les salades de points, passez votre chemin, si au contraire vous aimez cela vous allez trouver un des meilleurs jeux du genre. D’une certaine façon, il m’évoque La Granja, autre jeu que j’adore. (Just played ici). Concernant le thème, on ne va pas se mentir, on s’en éloigne  très vite pour se concentrer sur le gameplay, mais il n’y a pas d’éléments contre intuitif qui rendent difficile l’apprentissage ou la compréhension des actions. L’accent est aussi mis sur une rejouabilité ou plutôt  une variabilité très conséquente avec son plateau fait de tuiles. Chaque partie sera différente. avec les cartes objectifs ou contrats, les cartes commandes ou technologies disponible aussi. Sans oublier le jeu des adversaires.

Yokohama est un excellent jeu, la complexité du jeu ne réside pas dans les différentes couches et surcouches qui peuvent exister parfois dans certains jeux. Ici on est frappé par la simplicité des règles que l’on peut apprendre en quelques minutes, mais pour autant cela reste difficile à maîtriser. On a toujours un espace de décision conséquent et il peut y avoir des risques de constipation neuronale. Nous sommes à la fois dans une course et un jeu d’optimisation très serré avec une interaction très forte bien qu’indirecte. Yokohama est toujours aussi élégant avec sa mécanique épurée de placement-déplacement que l’on ne trouve pas ailleurs.

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