Tsume et Aleksi Briclot : Projet Azzar’Hi [KS en cours] l’interview croisée
Spoil alert, attention, on ne va pas traiter d’un jeu de société en particulier ! Mais je vous rassure, on n’est pas très loin de notre domaine de prédilection, puisqu’on va parler figurine. Elles peuplent notre quotidien, car ici, vous le savez, on aime jouer avec. On les manipule, on les contemple, on les peint, on les adore, parce qu’on a gardé une âme d’enfant, et parce que certaines sont de véritables bijoux de collection, oniriques et techniques. Avec la fig, on est à cheval entre l’activité de loisir et la production d’oeuvre d’art. Si ce que je dis là vous parle, vous n’allez pas être déçus.
Zoom sur Tsume et leur 1er Kickstarter
Tsume, société propulsée par Cyril Marchiol, est devenue en cinq ans l’une des plus importantes en Europe sur le marché de la résine de collection. Ils proposent des statuettes et des figs de toute beauté habituellement sous licences japonaises (Naruto, Fairy Tail, Street Fighter, One piece…). Si vous voulez voir ce que ça donne, allez donc faire un tour par ici. Mais aujourd’hui, Tsume lance un projet particulier sur Kickstarter avec pour la première fois, une pure création, et c’est ça qui nous intrigue. Il s’agit d’une statuette luxueuse nommée Azzar’Hi, et imaginée par Aleksi Briclot. Ce nom vous dit quelque chose ?
Aleksi Briclot, le petit génie fantastique
Aleksi Briclot est un artiste français de renommée internationale. Vous, gamer, vous avez pu apprécier ses illustrations sur Zombies, la blonde, la brute et le truand, mais il est surtout connu dans notre milieu pour son travail sur Magic L’Assemblée et ses arpenteurs.
Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que le garçon est aussi célèbre pour ses collaborations avec Marvel (Dark Horse, les illustrations liées au film Hulk 2…) mais aussi pour son job de directeur artistique et développeur de Dontnod Entertainment (qui a édité le jeu vidéo Remember Me). Bref, il a un CV impressionnant et multifacette (comics, livres, jeux vidéos, jeux de rôle, jeux de cartes, etc).
Aujourd’hui, il lance un KS avec Tsume pour financer la création d’une statuette (on n’a plus trop envie de parler de figouze à ce niveau-là) tirée d’une de ses illustrations. Ils ont travaillé en étroite coopération durant des mois, des années, créant plusieurs prototypes, avant d’en arriver là :
Echelle 1/6
50 cms et 10kgs d’exclusivité Kickstarter en résine polystone, limitée à 250 copies peintes à la main. Mais le pledge pour se le permettre n’est pas à la portée de tous, loin de là. La version non peinte est à 250€, pour profiter de la peinture de Guillaume Hémery, comptez 399 €. Ceci dit, si vous avez envie de soutenir le projet pour la beauté de l’art, vous pouvez être remercié par des T-shirts ou des dessins (numériques ou sur support papier) de l’artiste, et là, c’est à partir de 10€.
Illustration d’origine : Aleksi Briclot
Sculpture : Cyril Farudja
Peinture : Guillaume Hémery
Supervision artistique : Cyril Marchiol
Pour en savoir plus sur ce projet, votre humble serviteuseresse est allée leur poser quelques questions… C’est parti !
Dis-nous, comment est née cette envie de créer une statuette hors licence à la base ?
En fait, j’avais envie de montrer ce qu’on sait faire en Europe, et ce que Tsume sait faire en dehors du manga. Du coup, j’ai contacté Aleksi dont je connaissais déjà le travail et je lui ai proposé de travailler ensemble à la création d’une statue issue d’une de ses illustrations. L’idée était clairement de faire une pièce à la fois très artistique et très technique, pour pousser notre savoir-faire au maximum et créer une statue qui rendrait dingue les gens qui la possèderait ! On veut prouver qu’il y a de la place pour une création originale, sans le soutien d’une licence existante.
L’avantage là en plus, c’est qu’on travaille directement avec l’auteur et qu’il y a un vrai échange qui n’est pas possible quand on travaille sur un univers déjà complètement défini, où il y a moins de place pour l’improvisation.
Pensez-vous déjà que cette expérience se renouvèlera ou attendez-vous la fin du KS pour envisager l’avenir ?
Clairement avec Aleksi, on pense à la suite… Azzar’Hi appartient à une caste de hérauts et d’autres de ses “sœurs” pourraient voir le jour si le public se montre intéressé ! Mais par contre, c’est sûr que si on voit que le public ne nous suit pas, on ne pourra rien faire sans lui !
Aimeriez-vous développer l’univers d’Azzar’Hi ?
On va déjà le faire, si vous nous suivez durant la durée du Kickstarter, vous allez voir. Nous allons publier des petits textes pour expliquer un peu d’où vient le personnage, dans quel univers il vit et quelles sont ses problématiques. C’est un projet très personnel d’Aleksi auquel il songe depuis longtemps.
Comment se fait-il que Tsume ne pouvait pas se permettre de financer la statuette seul ?
En fait, il faut voir le kickstarter sous deux angles : l’un financier et l’autre plus orienté communication.
Tout d’abord, il faut se rappeler que Tsume n’a que cinq ans et reste une PME. On est loin d’avoir la taille et les finances de beaucoup d’autres acteurs du milieu. Il est compliqué de se lancer dans un nouveau secteur avec un projet complètement déconnecté de ce qu’on fait. Azzar’Hi est une statue hors-manga, sans licence pré-existante. Ce qui veut dire en gros qu’on cible des gens qui nous connaissent pas, sur un secteur qu’on connait peu, avec un produit sans fanbase existante. Donc le risque est énorme, même si on s’appuie sur nos fans et ceux d’Aleksi, bien sûr !
Du coup, Kickstarter est un formidable tremplin parce qu’il permet de prendre la température du public. Si le projet plaît, il voit le jour. S’il ne plait pas, il reste à l’état de prototype. Et le site étant très visité, il permet à des gens intéressés qui ne nous connaissent pas de découvrir la pièce.
Enfin, il faut préciser que le seuil de 50 000€ ne couvre pas l’intégralité de la production de la pièce !
Photo manga-news.com
Vous souvenez-vous comment vous avez choisi l’artiste et l’illustration pour ce projet ?
En fait, je suis déjà joueur de Magic : l’assemblée à la base. Du coup, je connaissais et appréciait déjà le travail d’Aleksi qui est un dessinateur incroyable. Après, il se trouve qu’on a participé à un salon belge en même temps, à Gand. Un salon où je me suis bien amusé d’ailleurs. Ça m’a permis de rencontrer Aleksi et comme le courant est bien passé, je lui ai proposé ce projet que j’avais déjà en tête.
Comment s’est déroulée la coopération avec Aleksi et Cyril Farudja ?
Très bien, ils ont beaucoup échangé directement. Mais Aleksi sera mieux placé que moi pour en parler.
Quels ont été les challenges techniques et artistiques du projet ?
Eh bien, artistiquement, le défi pour Aleksi je pense a été de concevoir les parties d’Azzar’Hi qu’on ne voit pas sur le dessin comme certains détails anatomiques ou le mécanisme de la griffe. Car en 3D, tout doit être représenté, y compris ce qui est caché par un élément du dessin. De notre côté, le principal défi artistique était de rendre justice au traitement de la lumière effectué par Aleksi sur ses illustrations.
Techniquement, on s’est amusé avec Cyril (Farudja – sculpteur -) à inclure un maximum de détails et de finesse dans la statue et surtout, il a fallu faire l’ingérinierie de la pièce, pour que la pose soit efficace mais que la statue tienne malgré sa pose très en avant. Il y a aussi le découpage qui est très complexe car c’est une statue qui comporte de nombreuses couches et détails.
Combien de prototypes ont été réalisés avant cet incroyable résultat ?
On a réalisé 3 prototypes en tout. Mais on a beaucoup travaillé en amont surtout. C’est aussi un des avantages de la 3D.
Merci pour toutes ces précisions. Un petit mot à ajouter ?
C’est un projet qui nous tient particulièrement à cœur. On se lance dans une aventure vraiment exaltante mais avec beaucoup d’inconnues. J’espère vraiment que les fans apprécieront notre travail avec Aleksi car on a donné tout ce qu’on avait. Maintenant, c’est à vous de juger si ce projet mérite d’exister ou pas !
Alors, quel effet ça fait de voir la page KS de Azzar’Hi après ces deux (trois ?) années de travail ?
C’est la suite logique de l’aventure et du travail accompli sur le projet jusque maintenant. Un peu de tension au niveau stratégique puisque c’est maintenant qu’on va voir si le projet est viable, et si oui à quel degré. Et dans le meilleur des cas, ça veut également dire que nous pourrions continuer le travail de création originale avec Tsume.
Que représente pour toi Azzar’Hi en tant qu’artiste ? Quelles sont ses origines ?
J’ai créé et peint ce personnage pour l’illustration de mon artbook Worlds and Wonders. Il s’agit d’une anthologie de mes travaux, une sorte de best of sorti en 2010. C’était aussi un projet singulier, une sorte de mise au point de ce que j’avais accompli jusque-là, un coup dans le rétroviseur (avec une charge émotionnelle pour moi) et également un petit moment de fierté (le fait d’avoir un livre tout entier dédié à mon travail). Il fallait donc produire une illustration de couverture pour ce livre qui synthétise les grandes lignes de mon travail, qui puisse donner un avant-goût de ce qu’on allait trouver à l’intérieur.
Du coup, l’idée d’un personnage fort est apparu, une sorte d’icône qui oscille entre fantasy, onirique, science-fiction et horreur. On a enregistré toute la réalisation de l’image pour ensuite en faire un DVD tutoriel. Là, une amie éditrice m’a demandé pourquoi je n’en faisais pas une BD. Ça m’a fait réfléchir et depuis j’accumule les recherches, croquis, illustrations et surtout notes pour développer un univers autour de ce personnage et surtout écrire une bonne histoire.
Et quand Cyril, le CEO de Tsume est venu à ma rencontre avec l’idée de produire une statue originale et de qualité, qui ne corresponde pas à une licence établie et préexistante, j’ai de suite pensé à ce personnage. Cyril était séduit et partant également. Ce fut le déclencheur de cette collaboartion avec Tsume.
Il y avait-il un cahier des charges de la part de Tsume ? Des contraintes techniques particulières à prendre en compte ?
Au niveau artistique, quasiment aucune contrainte. On a pas mal échangé avec Cyril – le Boss, et Cyril – l’excellent artiste 3d qui a modélisé la statue, mais il s’agissait le plus souvent d’idées pour faire mieux, optimiser la qualité et l’impact.
Photo par Shadonia.
Du côté Tsume, une des intentions était de produire une statue de très haute qualité, qui puisse également servir de démonstration de leur savoir-faire.
Ils m’ont transmis les contraintes et les détails concernant la production mais de mon côté, je me retrouvais le plus souvent dans la position enviable de celui qui balance les idées et ensuite on cherchait comment les réaliser. “Utiliser des matériaux différents pour avoir des transparences ?” Pas de problème. “Conserver des extrémités ultra fines et détaillées (comme la griffe) ?” Pas de problème, on sortira les éléments concernés dans un matériau plus dur et résistant. “Plus d’usure sur les effets de peintures ?” Pas de problème ! (Alors que chaque point de peinture est facturé en usine, là en l’occurrence on a explosé le record Tsume).
Une autre anecdote par exemple : le premier prototype imprimé était vraiment grand. Un peu trop si l’on considère les espaces disponibles en vitrine et en stock chez des revendeurs ou tout simplement chez la plupart des amateurs de statues. Du coup on a un peu réduit la taille de l’ensemble pour arriver à un résultat qui soit plus accessible.
Tsume a l’habitude de travailler sur des franchises, est-ce que ça t’a fait hésiter au départ sur la faisabilité du projet ?
Au tout début j’étais un peu sceptique effectivement, notamment rapport à leur catalogue : quasi toutes leurs réalisations à l’époque relevaient de franchises de dessins animés, colorées et généralement très lisses. Pas trop le genre de mes productions. Mais Cyril a su me convaincre et j’en suis fort ravi. L’idée de départ était pour Tsume de démontrer leur savoir-faire et d’étendre également leur catalogue, avec des projets provenant de styles et d’univers différents. Il y avait un petit pari mais j’ai été très vite rassuré dès le début de la collaboration.
On peut voir les différentes étapes sur la page KS : de l’illustration à la peinture finale de la statuette. La collaboration avec Tsume s’est effectuée comment à travers ce long processus ?
Très fluide et avec une excellente ouverture d’esprit et écoute mutuelle. Dans la réalisation même du modeling de la statue, on a fait de nombreuses sessions de travail avec Cyril l’artiste 3D. On partageait nos écrans à distance pendant plusieurs heures et on dialoguait au micro pendant qu’on travaillait conjointement. Lui me montrait ses avancées en 3D, je rebondissais sur mon écran en peignant des retouches, des bouts de design manquants, des lignes de force. Ça a pris la forme d’un pingpong artistique ultra motivant.
C’est toujours délicat de travailler de la sorte avec une personne inconnue, surtout pour faire des critiques et commentaires. On s’est très vite très bien entendu avec Cyril ce qui a rendu ces sessions de travail extrêmement efficaces (et plaisantes vu qu’on parlait de la vie, de nos goûts mutuels…).
Merlin le beau-livre
Tu es un incroyable touche-à-tout (illu, livres, BD, concept art, jeux vidéo, fig’, écriture…), mais de quelle réalisation serais-tu le plus fier dans ton parcours aujourd’hui ?
Oni possession – carte Magic –
Parmi celles qui ont beaucoup compté pour moi, il y a pas mal de projets de longue haleine. En vrac, le beau-livre Merlin, le graphic novel Spawn : les architectes de la peur et surtout le artbook Worlds and Wonders. Il y a également ma collaboration au jeu de cartes Magic: The Gathering où ils m’ont demandé de créer certains des personnages et cartes les plus puissantes du jeu. Avoir monter le studio DONTNOD Entertainment et sorti le jeu vidéo Remember Me avec Capcom. Depuis début 2014, pleins de nouveaux projets excitants notamment pour le cinéma et maintenant cette statue Azzar’Hi !
Il y a t-il des choses que tu n’as pas encore essayé qui te tentent ou au contraire souhaites-tu approfondir ton travail dans certains domaines ?
L’image en mouvement, la vidéo, le cinéma me ferait envie. Et plus pragmatiquement l’écriture pour de la BD, notamment sur deux projets qui me tiennent à coeur (Azzar’Hi ferait partie d’un des deux).
Est-ce que tu as des projets en cours en lien avec notre univers ludique (jeux de cartes, jeux de société, jeux de rôle, jeux de fig’) ?
Shanouillette 19/06/2015
Pour info, le KS se clôture dans 7 jours et ils recherchent encore quelques contributeurs …