Illustré par OIiver Freudenreich
Edité par Nürnberger-Spielkarten-Verlag, Oya, White Goblin G
Langue et traductions : Anglais
Date de sortie : 2018-02
De 2 à 4 joueurs
A partir de 8 ans
Durée moyenne d'une partie : 15 minutes
Durée d'une partie entre 10 et 20 minutes
Mécanismes : Communication restreinte, Coopératif
Types de jeu : Jeu de cartes
Complexité du jeu : Familial
The Mind est arrivé sur nos tables comme un cheveu sur la soupe. Tandis que bon nombre d’éditeurs se demandent comment attirer le joueur potentiel avec des licences connues, des figurines sexy, des gameplay frénétiques, ou des pitchs toujours plus aguicheurs, Wolfgang Warsch débarque avec sous son bras une boîte toute petite, un concept impensable et un thème indéfendable, le tout pour à peine plus de 10€.
Et là, miracle : en quelques jours, c’est le raz-de-marée en Allemagne, un petit tourbillon qui finit par s’échouer sur notre sol. Le jeu entre ensuite en lice pour le Spiel, qu’il laissera finalement à Azul, produit plus conciliant, plus calibré, plus médiatisé aussi.
Le but de ce coopératif : créer une suite de cartes aux valeurs croissantes, tous ensemble, sans communiquer. On connaissait déjà bien le magnifique Hanabi qui jouait sur un principe proche, mais avec Antoine Bauza on avait encore le droit à un peu d’échanges d’informations. Ici W. Warsch ose pousser le bouchon dans l’épure, jusqu’à l’absurde : on doit se débrouiller sans parler. Du tout.
C’est à mourir de rire quand on y pense : tout le monde cherche comment brouiller la communication (bande-son dans Space Alert, pion « bouge ! » dans Magic Maze, jeton information dans Hanabi, etc) personne n’avait pensé qu’on pouvait tout bonnement interdire aux joueurs de parler pour les laisser se dépatouiller avec le reste de ce qui fait de nous des êtres humains : le non verbal, le feeling, l’intuition, la perception des autres ainsi que la sensation du temps qui passe.
Le jeu ose jouer avec les creux, avec le silence, ça passe ou ça casse, selon les publics, mais comme vous vous en doutez peut-être déjà à la lecture de cette introduction, je ne peux pas mentir sur ma tendresse infinie pour ce titre qui parvient à prendre totalement à rebours les exigences actuelles de l’industrie ludique tout en y répondant (addictif, temps de partie court, trend coop…) si c’est pas une pirouette magique ça !
Eric Martin (BGG) voyant un groupe de joueurs s'exécuter évoque un "tour de magie". Me voilà intriguée ! En découvrant la boîte, et ses faux airs de The Game qui m'avait pas plus que ça emballée, je reste dubitative. J'attends de le voir pour le croire. D'autant que quelques petits malins parlent d'un "truc" qui casse le jeu.
Je joue à The Mind avec des gamers très avertis, avec ma fille de 8 ans, avec des copains plutôt joueurs.
ACCESSIBILITE DES REGLES 15
Le feuillet des règles, un peu fin, a un format peu usité, il se déplie comme un petit fascicule et les mots se trouvant dans la pliure risquent de disparaître à l'usage. Le jeu aurait sans doute mériter quelque chose d'un peu plus cossu.
Pour autant, l'écriture est claire, les règles simples et bien retranscrites, les exemples en bleu permettent de visualiser l'action et les points importants en rouge attirent l'attention. Et on n'aura pas besoin d'y revenir.
QUALITE DU MATERIEL 13,5
La boîte ne laisse pas d'air ! À l'heure où bon nombre de joueurs se plaignent de manquer de place dans leur ludo et ont marre d'acheter du vide sous le couvercle, The Mind propose sur ce point aussi un contre-pied presque extrémiste. Si d'aucuns souhaitaient sleever leur carte (drôle d'idée vu le prix du jeu et celui des sleeves mais certains y penseront sûrement), ils auront tôt fait de changer de boîte tant tout tient en mode collé-serré.
Les cartes semblent d'une bonne qualité, elles devraient - avec un minimum de soin - tenir la longueur. Elles seront le palpitant du jeu, très manipulées. Elles s'avèrent sobres, mais lisibles. Pas d'erreur d'ergonomie, mais une volonté de faire simple. Fond noir, rappel du nom du jeu sur le dos... Et nos invraisemblables petits lapins ninjas télépathes. Les illustrations (Oliver Freudenreich) des "niveaux" sont clairement décalées, on y reviendra dans la partie "thème" du jeu, le choix des illustrations est a priori discutable mais finalement... why not.
THEME 11,5
Tout a été écrit sur le thème du jeu. Les lapins et leurs shurikens seraient "lynchiens" pour certains, une "blague" pour d'autres. Je pensais personnellement qu'ils auraient probablement pu trouver un thème (sur la médiumnité façon Divinare par exemple) qui soit un peu plus évident mais en y regardant de plus près, je me dis que c'est pas si incohérent, car aussi bizarre que le concept lui-même !
Semblant se moquer du côté improbable du jeu, les petits lapins ninjas télépathes jouent la carte du paradoxal tourné en dérision : sur la carte "perception extra-sensorielle" (tout un programme !) le lapin s'envole avec ses écouteurs, sur la "maîtrise subcognitive" (oui monsieur !) il coupe une carotte volant dans les airs, etc, quant au lapin irradiant de la cover, flottant avec son pendentif peace and love, les doigts en position lotus et son air ahuri, il nous invite avec humour à une expérience étonnante (et le sous-titre qui l'accompagne annonce la couleur "Ne faisons qu'un...!"). Se voulant à la fois absurde, drôle et plutôt discret, ce thème impensable fait pas si mal son travail. À mon sens, il aurait finalement mérité d'être un plus mis en avant, plus développé, plus assumé, pour mieux passer.
DUREE DE VIE 13,5
La capacité à se "recharger" du jeu est finalement assez surprenante. Il s'agissait initialement de ma première crainte : après l'effet wahou de la découverte, la bête allait trouver un coin dans l'étagère et s'endormir paisiblement. Il est vrai qu'une fois qu'on a réussi à jouer tous les niveaux avec quelqu'un, on aura peut-être plus une grosse envie de re-essayer avec cette personne.
Pourtant de deux choses l'une : y arriver une fois ne signifie pas que vous y parviendrez à tous les coups. La perception du temps est quelque chose d'élastique (à mon sens, ne comptez pas ou vous romprez toute la magie...). Cette variabilité, liée à votre propre état, assure déjà un certain renouvellement. Par ailleurs le jeu propose une variante avancée en mode aveugle qui relance le challenge. Enfin, si pour vous ça marche très bien avec Jacquie, ajoutez Michel dans l'équation et vous verrez que toute l'harmonie et les habitudes pourront être questionnées ! Oui, le jeu de société dépend du groupe de joueurs, de leur caractère, de leurs envies : c'est à mon sens une vérité à laquelle on peut difficilement contrevenir et qui fait partie du plaisir. The Mind met particulièrement cela en évidence.
Non, malgré sa simplicité apparente, The Mind, ne sortira pas "n'importe quand", avec "n'importe qui". Pour ma part en tout cas, j'aurais envie d'une parenthèse calme, propice à l'écoute, et de joueur(s) manifestement enclins à se prêter au jeu, prêt(s) à se livrer, à lâcher prise, sans chercher la performance, le record, mais simplement à être dans l'instant, sans pression, pour le plaisir fugace de l'instant. C'est finalement, peut-être, pas si simple à trouver... ! (et soudain le sous-titre "ne faisons qu'un" sur la boîte m'apparaît comme particulièrement ad hoc).
MECANISMES 17
La fluidité est assez hors norme, en fait, dans ce jeu, à part à quelques moments où vous n'aurez plus de cartes en main car vous les aurez déjà toutes jouées, vous n'attendrez jamais. Enfin, si ! Et c'est là tout le génie du jeu : dans The Mind on passe son temps à attendre, on ne fait que ça. Mais en ayant une conscience pleine de ce temps qui passe. On est dans un jeu totalement méditatif : Si vous décrochez, si votre attention est attirée par un klaxon dans la rue, si vous commencez à faire diversion mentalement, il ne vous restera plus qu'à réclamer une nouvelle phase de "concentration" (quand chacun met les mains au centre pour se resynchroniser). Exit les problèmes de downtime, le jeu se joue sur les downtimes. Un long moment s'est écoulé ? Suffisamment ? Si je joue maintenant, couperais-je l'herbe sous le pied de quelqu'un ou serais-je en retard ?
"Pour en être sûr, il suffit de compter" rétorquent certains, mais à mon sens c'est passer à côté du jeu. Si cela vous aide à rester concentrer c'est une chose, mais si vous espérez ainsi vous caler avec les autres, et si par malheur vous y arriveriez, toute l'expérience et les sensations proposées par le jeu seront anéanties au nom du succès.
D'autant que le jeu (et c'est là où c'est un "vrai jeu" et non pas une vague "expérience" comme certains aiment le décrire pour lui retirer son statut) met en place plusieurs stratagèmes pour couper court aux automatismes. En permettant aux joueurs de demander une "concentration" ou un Shuriken dès qu'ils le veulent, en leur offrant de jouer à l'aveugle, mais aussi et surtout en changeant le nombre de cartes à chaque niveau, il modifie en quelque sorte le chiffrage de la mesure. Comme sur une partition, le nombre d'entités dans une mesure change avec la durée de l'entité elle-même. Autrement dit, quand on a une seule carte en main, on est sur une pulsation basse, plus on a de cartes en main, plus on monte dans les tours. Quand on se retrouve avec 12 cartes en main, avec des séries serrées type "72, 73, 75, 77", le groupe se paie des accélérations qui deviennent très techniques à jouer. Bien rares sont les groupes qui parviennent à ce stade du premier coup ! Il faudra du temps, des essais, des échecs, ensemble. Oui, The Mind se base sur les temps-morts et les non-réussites. J'adore le présenter comme ça. C'est si vendeur :)
Le jeu en vérité propose de se taire, profondément, en soi et avec les autres, afin d'avoir la place d'entendre les signes non-verbaux et les fuites comportementales (qui constitueraient plus de 50% de la communication apparemment), afin d'avoir le temps d'apprécier l'écoulement du temps, et de pressentir la perception du temps chez les autres. Il y a une vraie courbe d'apprentissage dans un groupe pour peu qu'il soit de bonne volonté. Il faut se mettre au diapason, et cela prendra le temps qu'il faudra. Ce n'est pas "untel qui est trop lent" ou "untel qui est trop rapide", c'est le groupe qui doit se modifier, laisser la place à chacun sans écraser personne, pour que la musique puisse s'élever, comme dans un groupe d'impro.
Par ailleurs, le fait de pouvoir regagner des vies et des Shurikens au passage de niveaux est aussi une belle idée dans ce game design pourtant hyper épuré. De vrais micro choix stratégiques peuvent naître du type "vaut-il mieux dépenser ce dernier Shuriken pour assurer le coup et passer le niveau afin de regagner une vie et continuer de façon plus safe ?". Les bons choix au bon moment peuvent sauver une partie.
Difficile de raconter ce qu'il se passe dans une belle partie de The Mind sans avoir l'air d'avoir pris des stupéfiants.
Quoi qu'il en soit qu'en 2018 arrive au Spiel un jeu de cette simplicité ne lasse pas de m'étonner béatement. "Faites une suite de cartes sans parler". C'est tout. Quel culot ! À nous qui savons faire de la pose d'ouvriers high level et déplaçons des kilos de figurines à bout de bras tous les soirs ! Oui, mais serons-nous capables d'être simplement dans l'écoute sans chercher à travestir ce qui nous est demandé, serons-nous capable de nous entendre sans parler, aurons-nous la patience de nous rencontrer ?
Bien sûr, d'aucuns répliqueront que The Mind est très "group-dependent" c'est-à-dire que selon les joueurs, le jeu peut fonctionner du tonnerre ou tomber à plat. Mais y aura-t-il un jour un j2s qui ne sera pas soumis à cette règle-là ? J'en doute fort tant c'est dans la nature intrinsèque du medium lui-même, de mettre l'humain au coeur du process. Après tout, nous disons "jeu de société", parce qu'il repose sur la capacité de cette dernière (la société, les joueurs) à s'approprier le premier (les règles, le "jeu").
D'autres répondront qu'il suffit de compter dans sa tête, personnellement je trouve ça triste ! Un jeu improbable tombe du ciel et propose aux joueurs une expérience unique, qui peut certes être déstabilisante, mais chercher un "truc" qui détournera l'esprit du jeu pour mieux dompter la bête, c'est refuser le jeu tel qu'il a été pensé.
Trouvez plutôt les joueurs qui acceptent de lâcher prise, qui acceptent que les erreurs soient celles du groupe et non d'une personne, qui acceptent qu'on ne puisse jouer ensemble que si chacun trouve sa place à l'instar d'un orchestre muet, des joueurs qui acceptent les silences, les ellipses, les emballements, les revers... et alors vous passerez un moment où chaque battement comptera tandis que le temps, paradoxalement, se sera totalement arrêté !
- moments de grâce
- jeu méditatif qui fera revenir l'être aimé
- le mode aveugle : fallait oser
- le concept tout court : fallait oser
- Pas cher et transportable
- le lâchez prise ludique c'est pas avec tout le monde
- un thème décalé qui mériterait des illustrations plus folles
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :