Participatif ludique, ce monde impitoyable (ou pas) – 2 – Fonctionnement d’une campagne
Après avoir parlé, même si de façon non exhaustive, des différentes plateformes de financement participatif sur lesquelles on peut trouver des projets dans le domaine qui nous intéresse, il m’a semblé opportun, avant de s’orienter sur quelques aspects « techniques » d’une campagne, d’expliquer le pourquoi d’une campagne et comment y participer. En effet, l’audience du participatif augmente régulièrement et j’ai pu constater sur le forum de Cwowd que de nombreux nouveaux arrivants sont un peu perdus et ont du mal à simplement « poser » leur pledge.
Que les vieux de la vieille de la rubrique de la sélection naturelle ne soient pas surpris, j’ai repris comme base de cet article celui que j’avais publié il y a deux ans. Les quelques similarités notables ne sont donc pas fortuites.
Tout d’abord, le participatif, kézako ?
Comme on l’a vu dans le précédent article, le financement participatif est surtout le fait de Kickstarter, la plus grosse plateforme dédiée au monde. Le mode de fonctionnement des campagnes de projets de jeu s’est construit, développé et affiné sur Kickstarter. Les autres plateformes n’ont guère fait que le reprendre à leur compte. La raison en est simple et se résume en un mot : efficacité.
Les explications que vous allez trouver plus bas sont donc basées sur le fonctionnement d’une campagne sur Kickstarter. Les éventuelles différences concernant d’autres plateformes seront explicitement indiquées.
Le concept du financement participatif (ou crowdfunding) est de demander à des souscripteurs (vous) de donner de l’argent afin qu’un projet, proposé par un tiers (le porteur, qui peut être une personne physique ou une société), puisse être financé.
À la base donc, il s’agit simplement de donner de l’argent à quelqu’un qui n’en a pas ou qui en manque, et ce de manière totalement désintéressée, pour qu’il fasse de son idée une réalité.
L’être humain étant ce qu’il est, et partant du principe qu’on n’a rien sans rien, le porteur s’engage à vous fournir un exemplaire de ce pour quoi vous avez versé votre obole (il ne faut pas se leurrer, si ce n’était pas le cas il n’y aurait pas beaucoup de projets qui verraient le jour). Ça, c’est le principe de fonctionnement général censé s’adapter à tout type de projet.
Le cas particulier des jeux de plateau
Le financement participatif du jeu de société est un cas très particulier, qui répond désormais à une sorte de norme tacite qui s’est mise en place progressivement au fil des campagnes, il y a environ 5 ans, par des sociétés alors au premier plan et, pour certaines d’entre elles, aujourd’hui quasiment oubliées (Mantic, Tasty Minstrel Games) ou encore dans le coup, même si en perte de vitesse depuis quelques temps (CMON, qu’on connaissait aussi sous le nom de Cool Mini or Not).
Les stretch goals sont, par exemple, directement issus des campagnes pour les jeux de plateau, inventés pour elles dirais-je même, et bien peu d’entre-elles peuvent se permettre de s’en passer (il y a actuellement un mouvement de pensée tentant à chercher à prouver qu’ils ne servent à rien, mais nous y reviendrons dans un autre article). Ils ne sont pourtant nullement obligatoires, ni même prévus à l’origine. Et ils ont pourtant été repris dans le mode de fonctionnement de toutes les autres plateformes accueillant des projets de jeux de plateau.
On peut donc développer schématiquement le déroulement d’une campagne de financement d’un projet de jeu de plateau ainsi :
- Au lancement, le porteur décide de la durée de la campagne (au début, elle était souvent de 30 jours, voire davantage. Depuis un peu plus d’un an, on constate plutôt sur des durées de 2 à 3 semaines maximum) et détermine une somme correspondant au financement nécessaire à son projet (ou moins : cela peut être une stratégie de minimiser ce montant). Il propose un ou le plus souvent plusieurs niveaux de pledge, lesquels correspondent à une certaine “quantité” de matériel. Ainsi par exemple pour un jeu de cartes, pourront être proposés un pledge avec la boîte de base et un autre ajoutant une extension qui ne pourra pas être acquise autrement.
- Vous choisissez quel pledge vous intéresse et vous vous engagez à en régler le prix à la fin de la campagne (sauf sur Ulule ou le prélèvement sur votre compte est effectué immédiatement après le pledge). Vous gardez la possibilité de changer d’avis à tout moment. Annulation pure et simple, changement de pledge, augmentation ou diminution de votre contribution… Tout est permis tant que la campagne n’est pas terminée (ou que, au cours des 48 dernières heures sur Kickstarter, votre défection ne fait pas passer le financement en négatif. Mais c’est quand même très rare). En effet, vos dons ne sont à ce stade que des promesses.
- Au fur et à mesure que les souscripteurs sélectionnent le pledge qui leur convient, la somme ainsi engrangée augmente jusqu’à atteindre, au minimum sur l’échelle de l’espoir du porteur, le financement espéré voire même, dans l’idéal, le dépasser.
- Si le porteur à prévu des stretchs goals, ceux-ci “tombent” au fur et à mesure que la somme correspondant à leur palier de financement est atteinte.
- À la fin de la durée prévue pour la campagne, si le projet n’a pas financé rien ne vous est prélevé. S’il l’est, la somme “promise” est immédiatement débitée de votre compte, puis elle est ensuite versée au porteur du projet (il y a bien deux bonnes semaines de délai).
- Si les frais de port n’étaient pas inclus dans le prix du pledge, quelques jours ou semaines après la fin de la campagne sera lancé ce que l’on appelle un pledge manager (ou PM. Encore une « invention » découlant du mode de fonctionnement particulier des campagnes de projets de jeux de plateau). Il s’agit d’une interface web dont le lien vous sera envoyé, accessible pour un temps limité et au sein de laquelle vous allez pouvoir gérer la somme que vous avez déjà versée pour le projet.
Vous pourrez ajouter des achats optionnels (add-ons) que vous n’aviez pas pris au moment de la campagne, ajouter carrément des pledges supplémentaires, etc. En bref, vous pouvez ajouter des choses mais pas en enlever. À la fin de l’opération, les frais de port correspondants sont ajoutés et vous sont prélevés, souvent via Paypal ou directement par CB.
- Le pledge manager peut être, pour le porteur du projet, l’occasion de proposer des Late Pledges, c’est-à-dire permettre à des personnes n’ayant pas pris de pledge au cours de la campagne de profiter des tarifs de celle-ci et donc de participer à la campagne après-coup. En la matière, il n’y a pas de règles. Ceci dit, on voit de plus en plus des late pledges réservés uniquement à ceux qui, au cours de la campagne, ont pledgé 1$ (ou 1€, ou 1£, c’est selon) ou accessibles à n’importe qui mais à un prix légèrement supérieur à celui pratiqué lors de la campagne.
Après la campagne
Une fois le pledge manager fermé, le plus dur pour les backers commence : l’attente ! Trop rares sont les projets pour lesquels la date de livraison annoncée du jeu est respectée. Plus le jeu est riche en matériel, notamment en figurines, plus grands sont les risques que les délais s’allongent. C’est surtout cet aspect du participatif qui fait peur, voire irrite le nouveau venus. Il est difficile d’appréhender les écueils et embûches, prévus ou non, qui jalonnent le chemin menant un projet à votre boîte aux lettres. Il faudrait un article complet pour en donner ne serait-ce qu’une vague idée. Je citerai ici quelques galères, certes assez anciennes (car fort heureusement dans l’actualité récente je n’ai pas d’exemple parlant) qui ont conduit des projets à un retard “surprise” :
- Conan de Monolith, dont la somme correspondant au financement à été bloquée plusieurs semaines par le service financier d’Amazon pour des questions de législation US. Blocage qui a empêché le paiement de l’usine de moulage des figurines et qui a conduit à un énorme décalage dans le temps (plusieurs mois) de la fabrication.
- Sbires de Jocus qui, après une campagne exemplaire (surtout pour un primo éditeur), a dû subir (et ses souscripteurs avec) les affres de livraisons perturbées (doux euphémisme) par l’incurie de la société qui en avait la charge.
- The Others de Cool Mini or Not (aujourd’hui CMON), dont la plupart des boîtes sont restées enfermées des semaines entières dans des containers, sur des bateaux faisant des ronds dans l’eau suite à la faillite de l’armateur coréen Henjin.
Certains sont prévisibles, tel le Nouvel An Chinois (l’épouvantail de tous les porteurs de projets), d’autres beaucoup moins comme les problèmes de production, mais beaucoup d’aléas peuvent venir brouiller les plans de l’éditeur entre la fin de la campagne d’un projet et sa réalisation. Parfois le destin s’acharne pour que tout aille de travers. Les habitués du financement participatif en ont pris leur parti et ajoutent 1 ou 2 D6 mois à la date annoncée dans la campagne, histoire de gérer la frustration induite par une trop longue attente. À titre personnel, je suis même passé au stade supérieur : je ne regarde même pas les dates de livraison annoncées. Pour moi, la date de livraison est celle à laquelle je recevrai effectivement ma boîte. Ainsi, plus de mauvaise surprise et plus de stress. 😉
C’est bien beau tout ça, mais je suis timide et j’ose pas
Le meilleur conseil à donner à quelqu’un qui voudrait participer à la campagne d’un jeu qui lui fait de l’œil et qui ne saurait pas trop où il met les pieds est de se renseigner sur les forums spécialisés. Ces derniers ont généralement une section dédiée au participatif. Ludovox bien sûr, également TricTrac, mais aussi (et là je n’ai pas peur de prêcher pour ma paroisse) le forum de Cwowd qui, lui, ne parle quasiment que de cela, ou enfin BGG si vous êtes à l’aise avec l’anglais. Il ne faut pas hésiter à lire ce qui y est dit et à poser des questions. Ces forums, s’ils peuvent faire un peu peur au non-initié, sont pleins de gens qui ont eux aussi débuté un jour et sont prêts à guider le nouveau venu dans les méandres du participatif.
Au sein de ces forums de passionnés, les discussions autour des campagnes de jeux de plateau sur KS sont enjolivées d’acronymes, initiales, anglicismes et autres mots bizarres et un tantinet abscons qui font facilement passer leurs auteurs pour de grands malades. Si des phrases, d’une structure pourtant très courante sur les forums, telles que “J’ai lâché mon pledge en EB sur le reboot d’AQI pour me mettre sur le PG à 90$ FdPIn. » ou « Je voulais ajouter des add-ons, mais avec la tonne de SG que nous file CMoN je verrai au PM” vous laisse coi, je vous enjoins à vous reporter au lexique situé juste après, là en dessous.
Quoi qu’il en soit, si le doute vous parcourait encore, n’hésitez plus à participer à une campagne de financement participatif. Le milieu est devenu mature, les mauvaises surprises, pour toutes possibles qu’elles soient, sont rarissimes et même le problème des délais de livraison tend à s’estomper. De plus en plus de jeux ne seront jamais accessibles que par ce biais et une multitude d’autres restent infiniment plus intéressants lors de leur campagne qu’en boutique.
Le lexique du participatif
Meeple_Cam 03/01/2019
Je n’apprend pas grand chose, étant maintenant rodé au financement participatif, mais c’est très bien expliqué. Well done. Par contre, n’ayant pas pu être à temps sur le pledge EB de TG, est-ce que j’aurai le SG exclusif en participant au PG sur cwowd et ça sera sur la wave 1 ou 2? 😉
fouilloux 03/01/2019
oui
Umberling 03/01/2019
Quel commentaire constructif, @fouilloux !
fouilloux 03/01/2019
Bah je répond à la question 🙂
Meeple_Cam 03/01/2019
je connaissais la réponse :). J’avais volontairement mis la phrase en italique avec un clin d’oeil. Toutes les infos sont sur le forum de cwowd
fouilloux 04/01/2019
Ah ok. Je me disais aussi. Pourquoi tu as mis cette question alors?
Gougou69 04/01/2019
Je serais tenté de dire que c’est une plaisanterie en réaction aux deux phrases absconses pour le profane que je donne en exemple à la fin de l’article.
Kakiman 03/01/2019
concernant la figurine exclusive (EB) tu l’aura bien en participant au PG sur cwowd et si j’ai bien suivi ça sera sur 2 vague uniquement en VF donc réception de la boite de base pas avant décembre à mon avis
Franck 13/01/2019
Pour ma part, je conseillerai pour sa première campagne KS d’essayer de choisir un éditeur réputé pour les KS (CMoN, Mythics Games, Monolith, La boite a jeu, etc…) et de favoriser les gros projets « kilo-plastique » (càd avec plein de figurines) de sorte à commencer par une belle campagne avec pas mal d’animation et relativement plaisante à suivre.