Participatif ludique, ce monde impitoyable (ou pas) – 1 – Les différentes plateformes
Dans l’univers du jeu de société, le crowdfunding (financement participatif en français, socio-financement en québécois) représente un mode de financement un peu à part, même si de plus en plus usité (et avec des résultats plus ou moins heureux, nous le verrons). C’est un monde avec son propre éco-système, sa propre logique et, surtout, ses propres règles. Si ces dernières diffèrent quelque peu selon les plateformes, elles se sont construites au fil du temps et sont spécifiques au jeu de plateau. Pour exemple, les stretch goals ont été “inventés” pour le jeu de société, le choix des composants ou la modification du pledge par l’intermédiaire d’un média annexe, le pledge manager, également. [NDLR : si certains termes vous sont étrangers, vous trouverez un lexique complet en bas de page].
On le sait bien, depuis quelques années le jeu de société a trouvé une nouvelle voie d’édition via le participatif. Cela s’élargit tellement qu’il est de plus en plus courant de voir des projets développés spécifiquement en fonction des possibilités du participatif et destinés uniquement à ce mode de financement, c’est-à-dire qui ne seront (en tout cas, c’est ce qu’on annonce) jamais distribués en réseau boutique classique. À force d’emprunter ce chemin, il est devenu une autoroute. Plus vaste même que celle du jeu vidéo.
À l’origine, nous avions prévu d’écrire un article pour tenter d’expliquer ce qu’est Kickstarter, son mode de fonctionnement, etc… Il s’est très vite avéré que limiter le sujet à KS serait par trop restrictif, mais que parler de tous les aspects du participatif (en tout cas de façon aussi complète que possible) dans un seul article serait une utopie. Ainsi, après un douloureux brainstorming d’au moins 4 minutes, nous avons décidé de créer une nouvelle rubrique consacrée au participatif ludique, avec pour mission de décortiquer cet univers, ses codes, ses secrets, ses acteurs, ses essais et transformations. Cette rubrique sera alimentée par des articles dont la taille sera exactement à l’image de leur périodicité, fluctuante et aléatoire.
Cette méthode permettra, après avoir disserté sur les aspects “évidents” de ce mode de financement (quelle plateforme pour quel projet, typologie d’un projet, y a-t-il une recette d’une campagne réussie, etc) de répondre sur le long terme de façon souple à l’actualité, et en particulier de rebondir en écho aux événements que l’on peut commenter dans la Sélection Naturelle.
Commençons tout simplement par une présentation des différents lieux principaux du crowdfunding. Vous verrez qu’il n’y a pas que KS dans la vie, mais comment cette plateforme se taille quand même la part du lion…
Quelles sont les plateformes existantes et qu’est-ce qui les différencie ?
Dans notre petit monde du jeu de plateau, lorsque l’on parle de financement participatif le premier nom qui vient à l’esprit est Kickstarter, “KS” pour les intimes. Vient ensuite notre Ulule national lequel, s’il est moins connu, rassure une frange non négligeable de soutiens potentiels.
Mais Kickstarter et Ulule ne sont pas les seules plateformes à permettre le financement de jeux de plateau. Peut-être connaissez-vous KissKissBankBank (KKBB pour les intimes), mais avez-vous entendu parler de Kengo, Giochistarter, Spielschmiede ? Et il en existe bien d’autres. Certaines sont spécialisées dans le jeu de société, pour d’autres cette catégorie est anecdotique alors qu’elle devenue une des principales sources de revenus pour Kickstarter.
Des questions se posent immanquablement : quel intérêt y a-t-il à passer par telle ou telle plateforme pour faire financer un projet ? Y a-t-il une plateforme plus adaptée qu’une autre à telle ou telle catégorie de jeux ?
Pour répondre à ces questions, nous allons procéder à une présentation d’une sélection représentative de plateformes de crowdfunding, connues et moins connues, acceptant les (ou dédiées aux) projets de jeux de plateaux.
Attention : toutes les critiques et remarques exposées dans les lignes qui suivent ne concernent que le fonctionnement des plateformes pour les projets de jeux de plateau.
Commençons par la plateforme française la plus connue et la plus « chouette » : Ulule. Ulule a été fondé en 2010 et a développé un caractère européen (et plus) en ouvrant des bureaux, outre la France, en Italie, Espagne, Pays-Bas et Canada. Concernant le domaine qui nous intéresse, c’est généralement le site auquel pensent en premier les petits éditeurs francophones qui veulent se lancer dans le participatif. En effet, au-delà de sa nationalité, le site rassure les porteurs car son mode de fonctionnement est clairement orienté en leur faveur.
Malheureusement, ce qui est peut-être bon pour des projets technologiques ou culturels l’est nettement moins pour les jeux, au point d’en être même parfois contre-productif pour ce qui est précisément de ce domaine. En l’occurrence, Ulule pâtit de la comparaison avec Kickstarter qui est lui bien plus orienté “backer” (même si cela semble changer un peu, mais nous y reviendrons).
Il est une autre plateforme française qui a une “aura” européenne, certainement plus encore que Ulule, et c’est KissKissBankBank (toute ressemblance avec le titre d’un film ou d’un livre n’est absolument pas fortuite). Également fondée en 2010, KissKissBankBank (ou KKBB), la société s’est clairement présentée comme européenne et a de fait une interface disponible en 6 langues.
Pour la petite histoire, KKBB a été rachetée à 100% par La Banque Postale l’année dernière. Son fonctionnement est calqué sur celui de Kickstarter et la plateforme n’a pas les inconvénients qui gên(ai)ent les soutiens sur Ulule.
Pour ce qui est des jeux de plateau, KKBB est nettement moins courue que ses concurrents. Dans les statistiques officielles, la catégories “Jeux” (pas uniquement jeux de plateau malheureusement) ne représente que 235 projets depuis le lancement de la plateforme, ce qui est faible par rapport à Ulule (880 projets) et bien sûr ridicule par rapport à Kickstarter (40 140 projets). Il est impossible de connaître la proportion des jeux de plateau dans tous ces chiffres (sauf pour KS), mais cela donne tout de même une idée assez précise de l’échelle.
La faute à quoi ? Bien malin qui peut le dire. Tout au plus est-on amenés à supposer que son positionnement a mis KKBB en concurrence directe avec un KS déjà bien en place et qui bénéficiait de la force de frappe de la clientèle américaine. Les backers du reste du monde lui sont restés fidèles du fait du large choix disponible, ce qui n’était, et n’est toujours pas le cas d’ailleurs, de KKBB.
Tout ceci nous mène donc à la star des stars des plateformes de financement participatif ludique, celle par qui tout a commencé et qui reste encore, et de loin, le mètre étalon du genre, j’ai nommé Kickstarter. Un peu comme Scotch, Frigidaire, Kleenex ou Caddie, KS (l’abréviation du nom de Kickstarter) est quasiment devenu le terme lexical pour désigner une campagne de financement participatif. Réussir un “KS” est désormais une sorte de Graal pour bien des auteurs ou éditeurs désirant voir devenir réalité le jeu qu’ils ont en tête (ou en proto). Et ce n’est pas pour rien.
Lancée en 2009, Kickstarter est la première plateforme de financement participatif au monde, même si d’autres sites web s’étaient auparavant lancés dans quelques chose d’approchant. Elle est depuis son lancement la plus importante au monde, et de très loin. Quelques chiffres pour illustrer notre propos : 15 millions de contributeurs (dont 1 tiers à soutenu plus d’un projet), 150 000 projets financés, 48 millions de contributions pour un total de 3 milliards 800 millions de dollars, et tout ceci en moins de 10 ans.
En ce qui concerne notre petit monde du jeu de société, elle est devenue la plus active des plateformes, générant même au fil des ans et par l’action de société aujourd’hui de premier plan (telles que CMON), son propre écosystème. Je le disais, les stretch goals, les add-ons, les pledges groupés (même s’ils ne sont pas supportés par la plateforme) ont été créés par et pour la catégorie des jeux de plateau.
Un cercle vertueux s’est en effet mis en place. L’audience de Kickstarter fait que les projets présentés ont plus de chance d’être vus et soutenus que sur n’importe quelle autre plateforme au monde. C’est même le seul média permettant de toucher une “clientèle” mondiale, au sens planétaire du terme. Depuis l’ouverture de bureaux dans de nombreux pays de la planète, la monnaie utilisée (le dollar était obligatoire auparavant) ainsi que l’obligation d’avoir un “pied à terre” aux USA pour toute société désirant lancer une campagne ne sont plus qu’un mauvais souvenir. Désormais, il est aussi facile pour Monsieur Toutlemonde que pour une grosse structure de proposer un projet.
Ce qui explique certainement le succès de Kickstarter, c’est sa philosophie clairement orientée vers le soutien, au détriment parfois du porteur de projet (l’interface web de création de page de campagne est une véritable insulte à la notion d’ergonomie). Ainsi, il est extrêmement facile pour un backer de soutenir une campagne, puis de la laisser tomber pour même y revenir plus tard si tel est son désir.
Mais cet aspect de Kickstarter serait-il en train de changer ? Le succès qui ne se dément pas inciterait-il l’équipe dirigeante à caresser un peu plus les porteurs de projets dans le sens du poil ? En effet, on a pu constater depuis quelques temps un élément curieux. Sur une page de campagne, le nom du porteur de projet est mentionné ainsi que le nombre de projets qu’il a déjà proposés sur Kickstarter. En cliquant sur ce nombre, on se retrouve normalement avec un listing de ces projets, ceux réussis comme ceux qui ont échoués. Or désormais et pour certains porteurs, ne sont plus visibles que les projets réussis, laissant ainsi croire au gens non avisés qu’ils ont à faire à un porteur performant, ou en tout cas avec de la réussite. C’est clairement dommageable pour les soutiens qui peuvent être induits en erreur sur les capacité réelles d’une société à mener à bien une campagne.
Faisons le grand écart en allant du côté d’une toute nouvelle plateforme d’origine française (et même lyonnaise pour être plus précis) entièrement dédiée aux projets de jeux de plateau : Game On Tabletop.
Avatar de Casus Belli – Black Book, cette plateforme lancée en mai 2017 et à l’ambition européenne ne peut cacher ses origines car le jeu de rôle s’y taille la part belle ! Les jeux de plateau sont surtout représentés par les late pledge des grosses campagnes KS françaises (Samsara, Solomon Kane, Joan of Arc, etc) et quelques petits projets de jeux en bois ou pour enfants.
Sans gros projet locomotive, Game On Tabletop est encore confidentiel dans le milieu (pour ne pas dire complètement inconnu de la plupart des backers). En un an et demi, ce sont tout de même 124 projets qui ont pu voir le jour.
Mais il existe bien d’autres plateformes de financement, en Europe et ailleurs, certaines même régionales.
- En Italie, existe une plateforme uniquement destinée aux jeux de plateau, puisqu’appartenant à l’éditeur Giochix : Giochistarter. Giochix s’en sert parfois d’une façon originale, certains projets sont en effet présentés en même temps sur Giochistarter et Kickstarter, les résultats cumulés des deux plateformes étant pris en compte pour le déblocage des stretch goals et du financement. Les jeux proposés au financement sur Giochistarter sont très souvent disponibles dans les principales langues européennes.
- L’Allemagne a aussi sa plateforme dédiée aux jeux de plateau, ce qui n’est pas surprenant dans ce pays où les jeux de société sont très ancrés dans les mœurs. Spieleschmiede accueille uniquement des projets au minimum en langue allemande et, à l’instar de Giochistarter, on y a vu des campagnes communes avec Kickstarter. Ses résultats sont à des années-lumières de cette dernière avec 196 jeux financés à ce jour, mais avec un taux de réussite de 95% elle est une valeur sûre pour qui veut éditer un jeu en allemand.
- Le troisième pays joueur d’Europe, l’Espagne, possède lui-aussi sa plateforme nationale, Verkami. Fondée en 2010, généraliste, on peut sans peine la qualifier de modeste avec à peine 6 500 projets financés et 73 en cours au moment où ces lignes ont été écrites.
- Comme nous l’avons mentionné plus haut, des plateformes régionales existent également. À titre d’exemple, nous mentionnerons la plateforme bretonne “pure beurre demi-sel” Kengo. Supportée par le Conseil Général de Bretagne, elle est réservée aux jeunes créateurs bretons. Son fonctionnement est globalement similaire aux autres plateformes avec cette particularité que la Région complète le financement des projets présentés à hauteur de 30% dès les 70% atteints. Quelques jeux, certes assez modestes, ont pu bénéficier de ce dispositif.
Le lexique du participatif
Au menu des prochaines chroniques :
– N° 2 : qu’est-ce que le participatif – Comment pledger
– N° 3 : les Early birds
– N° 4 : le rappel des 48 heures
Psined 24/12/2018
Merci beaucoup Gougou69 pour cet excellent article (et je reste modéré) : clairement je n’en connaissais a peine la moitié, et vu qu’il n’y a pas « Indiegogo », ni « My Major Company » dans cette liste, j’ai comme le pressentiment que je vais en découvrir d’autres d’ici peu. 😉
Je pense que faire une rubrique sur le financement participatif et son fonctionnement est une excellente idée, j’ai hâte de découvrir la suite…
8FistS 24/12/2018
Un excellent article !! Merci beaucoup Gougou69 ! Bonnes fêtes de fin d’année !!! 😉