Discoveries – Lewis et Clark sont sur un canoë…
Discoveries est le tout nouveau titre de Ludonaute. Après un Lewis et Clarke qui n’a pas laissé de marbre, Cédrick Chaboussit revient avec cette fois-ci un jeu de dés toujours sur le thème de l’exploration qui a quelque peu démystifié le territoire nord-américain.
Je vous vois venir d’ici, à me faire remarquer que les jeux de dés, c’est à la mode, et qu’on va jouer à une énième version du Yahtzee, n’en déplaise à King of New York. Mais que nenni, puisque le hasard ne règne pas en maître dans cet opus, bien qu’il y ait tout à fait sa place, comme il se doit.
Moleskines et plumes d’oie
Pour symboliser les carnets de nos braves aventuriers, nous avons un carton personnel, percé pour accommoder notre feuille de personnage, qui n’est à vrai dire qu’une grosse aide de jeu, mais aussi nos dés et notre découverte en cours. Il faut bien dire que le plateau personnel est un tantinet rempli, avec toutes ses faces de dés, tous ses symboles pour l’instant cryptiques. Les cartes, atypiques, sont double-face et ont un coin plus aigu que les autres, pour nous rappeler où les positionner sur notre plateau. Ce point, fort pratique, nuira sans doute à la longévité des dites cartes, mais comme les dites cartes n’ont pas vocation à être manipulées sans cesse, tout va bien : nous ne sommes pas dans un jeu de deckbuilding où l’on brasse, on triture et on mélange son paquet en permanence.
En revanche, il faut que je vous dise un truc. Les illustrations de Vincent Dutrait sont absolument magnifiques. Certes, vous n’en doutiez pas nécessairement : vous connaissez le talent de la personne aux commandes des pinceaux, et le nom ne vous aura pas échappé. Eh bien sachez que sur la grande majorité des cartes, des détails surgissent, une ambiance transparaît. Les cartes de tribu redondantes auraient pu porter le même artwork, mais non. Et on se sent immédiatement immergé dans l’époque, avec cette patte sereine et précise qu’appose Dutrait. Rien que les illustrations permettent de créer une ambiance toute particulière que je ne puis que louer cent fois.
Home run
Question gameplay, on se frotte à une course sans plateau. Oui, c’est osé. Pourtant, ça ne coule pas de source : on voit plutôt le jeu comme de la gestion de dés au premier abord. Va-t-on tempérer le hasard ? Pas tant que ça. En revanche, calculer le nombre de tours qu’il nous faudra pour traverser des étapes, ça oui.
Un tour de joueur est avant tout d’une simplicité enfantine qui pourrait sans doute rappeler Marc André (auteur de Splendor et du récent Barony) : une action à choisir parmi deux :
- Placer un nombre de dés de la même face sur des actions correspondantes
- Récupérer des dés.
Facile, hein. Mais attendez un peu voir, on va vous compliquer la tâche assez vite car ces actions ont des ramifications pas forcément évidentes.
La partie s’arrêtera quand la pioche de découvertes sera vide. Tout simplement.
Quant au score, trois moyens de marquer existent :
- Les tipis sont un compte de majorité,
- Les découvertes faune & flore font de la collection
- Et enfin, les valeurs faciales sont additionnées.
Jouer
On choisit donc une face de dé qu’on applique. On peut bien entendu dispatcher plusieurs dés à différents endroits, et déclencher les effets qui y sont associés. A noter, les actions de déplacement demandent toutes plusieurs étapes (pied/cheval + journal) pour être activées. On jouera donc un déplacement en plusieurs fois, et il sera même utile de réserver ses dés de déplacement pour avancer beaucoup en peu de temps. Et cela pourra bien vous servir, car si vous résolvez plusieurs cartes de découverte dans le même tour, vous aurez le droit à rejouer un tour, immédiatement. Eh si.
Cependant, nombre d’actions du plateau de base vous demandent d’épuiser des dés. Les épuiser signifie le placer sur le plateau central. En revanche, quand vous recrutez des indiens via l’action idoine, vous récupérez un dé neutre (gris) avec.
Pour parcourir une découverte, nous devons traverser la carte de bas en haut, en ne brisant pas nos combos de déplacement : tout point excédentaire est perdu !
Récupérer
La deuxième action est celle de se reposer, et donc de récupérer des dés, avec trois choix en ligne de mire :
- Récupérer tous les dés du côté gauche du plateau ;
- Récupérer tous les dés à droite du plateau ;
- Récupérer tous les dés de sa couleur, où qu’ils soient.
C’est dans cette action que réside pas mal du sel du jeu : l’interaction est très indirecte, mais parfois, on sera amené à prendre des risques, ou à chiper des dés crucialement placés. Le déroulement de la partie est souvent ponctué par trois phases distinctes (comme dirait Aristote, le début, le milieu et la fin. On ne se moque pas). Le début sera souvent synonyme de recrutement d’indiens, et les joueurs feront leur possible pour collecter ceux qui leur conviennent, montant une stratégie de combinaison optimisée. Puis viennent les premières découvertes, et là tout s’emballe : les joueurs font tourner leur moteur, et essaient d’aller le plus vite possible sans jamais se retourner. Les temps morts peuvent sembler légion dans Discoveries, mais il n’en est rien : à chaque fois que vous vous reposez, c’est pour mieux planifier votre prochain mouvement, ou alors pour ralentir votre adversaire. Aucun blocage n’existe, et il sera toujours possible d’avancer, à coût plus ou moins optimal. Enfin, la course s’intensifie et se raffine en fin de partie, quand il faut absolument marquer les découvertes clef, et grappiller un peu d’avance. On recrutera un ou deux Indiens pour les tipis et la clôture de partie au moment opportun, puis la partie s’achèvera, avec une sensation d’avoir fait un sacré marathon. Oui, on va de plus en plus vite ! Et oui, le jeu est haletant.
Mais ce n’est pas une course violente à l’instar d’un RoboRally : pas de spatialité ni d’interaction directe et méchante pour venir pimenter le trajet. Ce n’est pas grave en soi, mais, rythme mis à part, cela me fait plus penser à un jeu de gestion léger qu’à une course. La manipulation, agréable, se met au niveau de mécanismes originaux qui donnent un ensemble plutôt réussi si l’on n’est pas tellement friand de méchancetés bien crasseuses. Ici, l’estimation règne en maître, sublimée par l’ambiance qui nous invite à découvrir les possibilités.
Pour autant, il n’y a pas tellement de place pour la diplomatie et Discoveries n’est pas exactement LE jeu où les relations sociales sont importantes. C’est un peu dommage d’avoir tout le temps le nez dans son expédition…
A deux, c’est mieux ?
J’ai testé le jeu à deux et à quatre. Y a-t-il une config idéale ? mourez-vous d’envie de me demander. Eh bien, oui. Et ce n’est pas à deux joueurs que Discoveries brille le plus, désolé.
Lorsque l’on joue à quatre (et sans doute à trois) joueurs, on a l’impression de devoir gérer le rythme de façon bien plus forte que lorsque l’on joue à deux, où le hasard – mâtiné d’un peu de stratégie – vient s’imposer. Lorsque vous révélez une découverte que votre adversaire veut absolument, ou qu’il obtient un jeté de dés quasi parfait sur son retour d’expédition alors que vous n’avez que des journaux, ou que des indiens, eh ben… vous êtes fichu.
Du coup, cet opus ne m’a absolument pas convaincu à deux joueurs, quoi qu’il soit agréable de pousser ses cubes à faces – ses dés, je veux dire.
Bilan
Au final, Discoveries me plaît bien, malgré ses configurations restreintes et le goût de faim qu’il laisse en bouche. À chaque fois, j’ai été frustré que tout se finisse si tôt, que je n’aie pas le temps de développer à fond une stratégie. Et c’est là où je me fais deux remarques : d’une, c’est caractéristique des jeux de stratégie/gestion (why not), et de deux, c’est quand même super positif pour le jeu. Entre le thème, qui va bien (et qui cloue le bec des ronchons bien-pensants qui croient que le J2S est un passe-temps d’ado décérébré) et change des citybuilders ou des bastons fantasy ou dans l’espace, les mécanismes originaux, et en passant par la patte remarquable de Vincent Dutrait, le travail de Chaboussit et des Ludonautes donne de belles opportunités de se raconter des histoires, malgré ses petits travers. Un parcours tortueux mais passionnant, voilà ce que propose cette aventure savante !
Un jeu de Cédrick Chaboussit
Illustré par Vincent Dutrait
Edité par Ludonaute
Langue et traductions : Francais
De 2 à 4 joueurs
A partir de 14 ans
Durée moyenne d’une partie : 30 minutes
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atom 17/07/2015
Je te rejoins complètement c’est un trés bon jeu, une fois que l’on a compris la règle c’est très fluide. Celle qui nous a expliquée le jeu disait qu’a deux ça tournait bien bien que l’on faisait beaucoup de combos. Mais j’ai un peu peur du coté opportuniste en effet. En tout cas on se prends complètement au jeu.
Umberling 17/07/2015
Hmm, l’opportunisme est pour moi une question de choix. Ici, à deux, on n’en a pas des masses. Mais le jeu garde une bonne qualité pour autant.
atom 17/07/2015
Quand je parlais d’opportunisme c’était surtout comme tu disais quand tu révèles la carte que l’adversaire a besoin, encore que pour cela il faut faire un combo de deux cartes découvertes puisque tu connais déjà la prochaine carte découverte. En plus rien ne t’empêche de perdre ton tour d’action en changeant ta carte découverte.(ce que l’on fait rarement).
TheGoodTheBadAndTheMeeple 19/07/2015
Un bon jeu de dé, un superbe thème 🙂
Rien à voir avec Lewis & Clark attention !
Grovast 19/07/2015
Dans les deux cas, l’essence du jeu est (il me semble) de se constituer un moteur pour passer à la fois des cases de rivière et montagne de manière plus souple et/ou efficace que les actions de base. Ça fait un sacré point commun non ?
Ceci dit, je te rejoins sur le fait que les deux ne boxent pas dans la même catégorie de poids, ce qui est à la fois un inconvénient (moins profond) mais aussi un énorme avantage (plus facile à sortir). Et je perçois une bonne petite courbe de progression quand même. Genre on a pas utilisé le switch d’objectifs, je n’y ai pas pensé alors que ça aurait pu être utile une ou deux fois (plutôt que de pester sur le tirage 🙂 )
En tous cas, notre partie de découverte (à 4) a été appréciée. C’est hyper fluide, à quelques exceptions près quand un joueur bugge, on attend très peu son tour. Le mécanisme de perte/reprise des dés crée de l’interaction, à tout le moins de la tension. On surveille et on flippe de se faire souffler la carte par un adversaire qui validerait avant.
Côté Vincent Dutrait je trouve que c’est sa couverture la plus réussie à ce jour. Ce ciel dans les roses est des plus seyants. Le reste est d’une constance à toute épreuve. Top.
En conclusion : Madame ne va pas avoir à insister beaucoup pour qu’il rejoigne la ludo.
TheGoodTheBadAndTheMeeple 20/07/2015
Je te rejoins sur la stratégie globale à opérer. Et c’est ce qui conserve une filiation stratégiques entre les deux. Mais la manière d’y parvenir est bien différente.
Cela me fait penser à Race for the galaxy et Roll for the galaxy.