Rencontre avec Christophe Raimbault
Bonjour Christophe !
Nous allons profiter de la future arrivée en gare du Colt Express pour parler un peu de lui … et surtout pour en apprendre un peu plus sur toi !
Le passionné
Peux-tu d’abord te définir en tant que joueur ?
C’est presque une question existentielle que tu me poses là, j’ai combien de copies doubles pour répondre ? 😉
Déformation « professionnelle » oblige, quand je découvre un jeu, je ne peux pas m’empêcher d’analyser la mécanique et surtout d’épier les originalités, les prises de risques (ou non prises de risque)…
J’apprécie particulièrement les jeux moyenne gamme : ni trop longs, ni trop courts, où le rythme du jeu ne diminue pas du début à la fin, où l’on ne ressent pas de temps mort, où l’on est emporté par un thème fort. Les jeux sont pour moi des créateurs d’univers, d’expérience partagée qui permettent de voyager.
Je partage assez cette vision des choses j’avoue… Quid des jeux à l’allemande alors ?
J’ai développé depuis quelque temps une allergie aux jeux à l’allemande avec thèmes en contreplaqué, comme on pourrait en contracter aux arachides… Je ne gonfle pas à proprement parler, mais ça me gonfle tellement que je ne les essaye même plus. Il y a bien sûr quelques exceptions que j’aime beaucoup mais elles sont rares : El Grande, Puerto Rico, Les châteaux de Bourgogne…
Si je ne m’abuse, tu as tout plaqué pour devenir ludothécaire ?
En quelques sortes effectivement. Lors de mes stages en tant qu’ingénieur informatique, je ne me suis jamais vraiment senti à ma place. Dès la fin du diplôme, je savais qu’il fallait que je trouve une autre voie. Je voulais au départ devenir instituteur, et puis j’ai découvert le master en sciences du jeux de Paris XIII. Je ne suis jamais reparti de la ludothèque associative dans laquelle j’ai fait mon stage : Atout Jeux.
Peux-tu nous parler de ton expérience en tant que rédac’ chez Plato ?
Depuis le collège, je lis des magazines de jeux de société : j’ai commencé avec Jeux en Boîte, puis quand celui-ci s’est arrêté, je suis passé à Plato. Via leur newsletter, ils faisaient un appel aux contributeurs bénévoles et j’ai tout de suite sauté sur l’occasion. J’avais choisi je me souviens d’écrire une chronique sur la crypte de la créature, l’un de mes jeux préféré pour montrer de quoi j’étais capable. Je crois que c’était un peu brouillon, mais ils ont senti que j’avais envie et m’ont pris dans l’équipe.
J’ai été suivi dès le début par Benoît Christen, alors rédacteur en chef du magazine et il m’a souvent fait réécrire mes articles : pour être plus clair, plus concis, plus objectif… Il m’a beaucoup appris !
Tout passait par le forum du magazine et heureusement qu’il y avait les salons pour se rencontrer, j’ai pu faire la connaissance de l’équipe en vrai. J’avais déjà pas mal l’habitude des salons, mais ça m’a permis de faire des interviews d’auteurs, d’éditeurs, c’était une expérience très enrichissante.
Le moment où j’ai sorti mon premier jeu Hacker en 2009 coïncidait avec la sortie du jeu d’un autre rédacteur de l’époque Eric Hanuise : Batt’l Kha’os (aujourd’hui mr Flatlined Games). Il y a alors eu un débat très intéressant sur le forum interne pour savoir comment parler de nos propres jeux. L’équipe du magazine a toujours cherché à être le plus objectif possible, on a même envisagé de ne pas parler du tout de nos jeux.
Par la suite, mes études et mes prototypes en cours m’ont petit à petit fait quitter la rédaction de Plato par manque de temps.
L’auteur
Comment es-tu devenu auteur de jeux ?
Je pense que je suis devenu auteur de jeu la première fois que je me suis posé la question : « et s’il existait un jeu où… ». C’est la première question que je me pose au début d’un projet. Le projet n’est encore qu’un rêve, on peut tout imaginer. Le plus difficile est ensuite de casser ce rêve pour passer à quelque chose de beaucoup plus concret, et de souvent beaucoup moins amusant… Beaucoup de mes rêves ne sont jamais passés à la seconde étape, peut-être un jour ?
Mon premier prototype date du collège : il s’appelait « tournée générale« . On jouait des gaulois qui attaquaient les entrepôts de tonneaux de bière des adversaires et à chaque tour on payait la tournée générale à ses troupes… Les dessins étaient de mon frère Vincent et les tonneaux étaient des bouchons de liège. Je crois même que j’ai dû l’envoyer à l’époque au concours de Boulogne billancourt des créateurs de jeu qui n’a bien sûr pas eu de suite.
Le parcours pour être édité avec Sandwich fut-il difficile ?
Les premiers qui ont cru dans le jeu ont été Cédric et Anne-Cécile qui étaient à l’époque en train de monter les éditions Ludonaute. Mais finalement, ils ne sont pas allés plus loin et Sandwich s’est retrouvé dans un fond de tiroir. C’est lors d’une soirée informelle avec Guillaume Besançon, l’éditeur de Hacker que j’ai sorti Sandwich complètement par hasard. Il a voulu l’éditer tout de suite après la partie ! Deux ans plus tard, vu que Repos Production croyait au jeu, ils ont décidé de le rééditer…
Quel genre de jeux aimes-tu créer ?
J’aime créer des jeux qui créent des expériences ludiques que je n’ai pas encore connues ailleurs. J’aime les jeux avec une forte immersion thématique et une grande interaction entre les joueurs. Un jeu de société c’est pour moi avant tout une aventure humaine, et j’ai du mal à jouer à des jeux où les joueurs regardent plus leur plateau personnel que leurs compagnons de jeux.
Il y a-t-il un matériel qui t’inspire en particulier ?
J’aime beaucoup créer avec des cartes, parce que déjà c’est un objet que j’aime manipuler et surtout parce que ça permet une grande modularité, notamment lorsqu’elles font office de plateau de jeu.
Pendant longtemps, j’étais un peu un hérétique dans mon approche de la création de jeu. Je me refusait d’utiliser des mécaniques de jeu existantes en essayant de ne faire qu’avec du neuf.
A cette époque, je pensais qu’utiliser l’aléatoire dans les mécaniques de jeu était une facilité de conception qui servait à résoudre une situation à laquelle on ne trouvait pas de solution mécanique appropriée.
J’ai radicalement changé d’avis depuis, je pense qu’il faut toujours trouver un subtil dosage entre contrôle et aléatoire pour que le jeu ne soit pas trop cérébral et soit plaisant à jouer.
Un jeu trop calculatoire sera d’ailleurs forcément ralenti par certains joueurs voulant trop contrôler, et un rythme de jeu saccadé détruit complètement l’immersion des joueurs dans un univers.
Je m’autorise maintenant bien sûr à utiliser certaines mécaniques existantes à partir du moment où je suis convaincu que le projet que je suis en train de mener a au moins un point très original par rapport à ce que j’ai déjà rencontré.
As-tu des protos dans tes tiroirs ou dans ta tête ?
Toujours bien sûr, mais j’ai de moins en moins de temps à y consacrer. Donc je préfère avoir peu de projets mais les mener à fond plutôt que de me disperser comme je sais si bien le faire.
Quels conseils donnerais-tu aux jeunes auteurs qui cherchent le chemin vers l’édition ?
De ne pas se décourager et d’être patient. Il ne faut pas hésiter à laisser tomber un projet un moment pour le reprendre plus tard : ça ne sert à rien de s’acharner à améliorer un prototype si la base n’est pas bonne (ou pas prise par le bon bout). Il faut parfois attendre la bonne idée.
Il existe tellement de domaines qui n’ont pas été explorés dans le jeu de société. Nous sommes comme un petit groupe de chercheurs de nouvelles technologies, c’est passionnant mais il y a encore beaucoup de travail : jeunes auteurs vous êtes les bienvenues 😉
Le Colt Expres
Allez, venons-en à Colt Express, prévu pour Essen ! Où en est-il aujourd’hui ?
Colt Express est bientôt prêt ! Les fichiers sont presque prêts à être envoyés à l’imprimeur. Chaque salon je suis un peu plus étonné de ne voir presque que des retours positifs de la part des joueurs. Je découvre que le jeu plaît autant aux pousseurs de cubes qu’aux joueurs parfaitement occasionnels, public que je ne visais pas du tout initialement.
Nous l’avons épuré au maximum afin que le jeu soit bien testé et fluide. Il y a beaucoup d’idées qui ont été mises de côté pour l’instant, et j’aurai la chance de les développer s’il y a une extension, ce qui semble bien parti. L’attaque du train continue…
Waou ! C’est une chouette nouvelle ça. Peux-tu nous narrer un peu l’histoire de sa création ?
L’envie d’un jeu avec des bandits qui circulent dans un train à 2 niveaux et pillent les passagers est née au lycée. Les premiers tests ont d’ailleurs eu lieu avec mon frère Adrien qui m’a d’ailleurs beaucoup aidé à créer cette première version. Cette première mouture du jeu s’est révélée être bien trop calculatoire : chaque joueur à son tour avait 3 actions parmi plusieurs possibles. Bref, comme souvent, le proto est parti au fond d’un tiroir et l’idée au fond d’une synapse.
L’année dernière, dans le cadre du master sciences du jeu et de l’éducation (Paris XIII), j’ai choisi d’écrire un mémoire sur les mécaniques de jeux en temps réel. Pour pousser un peu plus loin la simple analyse des jeux existants, j’ai essayé de tester des mécaniques en temps réel de mon cru en faisant des petits prototypes.
Voilà un mémoire qui doit être intéressant à lire…! C’est donc là que tu as retrouvé ton idée ?
En effet, ce fut cette occasion qui m’a permis de reprendre mon idée d’attaque de train. Ca faisait déjà un moment que je pouvais rendre le jeu moins calculatoire en jouant des cartes Actions en temps réel sur une pile unique… Et c’est comme ça qu’est née la première version du jeu qui ressemble déjà beaucoup à celle d’aujourd’hui : on pouvait tirer, monter sur le toit, voler les passagers…
Bien que les premiers tests ce soient révélés un peu chaotiques, je sentais bien qu’il y avait quelque chose et je me suis empressé d’en parler à Cédric et Anne-Cécile. Ce sont des amis depuis déjà longtemps et nous avions déjà travaillé à plusieurs prototypes avec Cédric (qui n’ont rien donné de très jouables pour l’instant mais passons…). Celui-ci a trouvé l’idée intéressante et s’est mis à tester le jeu avec sa famille et ses amis pendant plusieurs semaines en me donnant des retours régulièrement. J’étais quant à moi tout à fait frustré car, devant avancer l’écriture de mon mémoire, je n’avais pas du tout le temps de tester et de faire avancer le jeu.
De nombreux tests plus tard, la mécanique était rodée et nous avons signé le jeu en novembre. Signer un jeu avec Cédric et Anne-Cécile a représenté beaucoup pour moi. C’était le signe d’une aventure qui commençait avec des amis proches : on a développé le jeu ensemble avec beaucoup de plaisir. Je ne me serais jamais permis de montrer un prototype aussi peu abouti à quelqu’un d’autre, c’était juste une idée qui naissait et qui est apparue au bon moment avec la bonne personne…
Comment t’est venue l’idée du train en 3D ?
Rendons à César ce qui est à César, l’idée du train en 3D vient de Cédric et Anne-Cécile.
A la base, les différents wagons du train étaient simplement représentés par des cartes. Les bandits pouvaient donc être soit sur la carte (dans le wagon) ou bien au-dessus de la carte (sur le toit). Cédric dirait d’ailleurs que j’ai la manie de mettre le plus de cartes possibles dans mes jeux sans jamais mettre de plateau…
L’idée leur est alors venue d’avoir des wagons en 3D pour que visuellement on puisse véritablement voir les bandits sur le toit. Grâce à une impression 3D, nous avons pu obtenir un prototype en plastique pour le tester à Cannes. Les joueurs ont été unanimes : ils ont adoré l’aspect 3D… Cédric s’est donc cassé la tête pour obtenir des wagons en 3D grâce à des punchs en carton.
A vrai dire au départ, j’étais le plus réfractaire à cette idée : bien sûr que ça servait l’immersion dans le jeu mais j’avais deux grandes interrogations.
La première, c’est que le jeu ne soit pas assez solide, étant ludothécaire, c’est un critère qui me semble toujours primordial. Et bien finalement le résultat est bluffant et semble vraiment costaud. La boite sera assez grande pour contenir les wagons montés entièrement ce qui évitera de les démonter à chaque fois.
Ma seconde interrogation concernait le transport. En effet, j’aime bien que le jeu puisse se transporter facilement, surtout quand il s’agit d’un jeu d’ambiance. Et bien, il y a de bonnes chances pour qu’un goodies puisse remplacer les wagons 3D pour le transporter plus facilement au cas où…
Qu’en est-il de l’aspect illustration ?
Faire un prototype quand on sait aussi bien dessiner qu’un poulpe dyslexique, ce n’est pas toujours évident… Faisant dont mes traditionnelles recherches sur le net pour trouver des illustrations appropriées je suis tombé sur cette page du blog de Jordi.
Les trois seules illustrations de la pages m’ont fait voyagé, j’ai directement accroché au style… Et ce fut le cas aussi de Cédric et Anne-Cécile qui se sont empressés de le rencontrer d’autant qu’il habitait par hasard juste à côté de chez eux… Jordi a tout de suite été emballé par le projet bien que ce soit sa première expérience dans le monde du jeu. Je ne pensais pas que les illustrations serviraient l’immersion dans l’univers à ce point. Chapeau l’artiste !
En effet, ces illustrations sont très vivantes, ça colle parfaitement avec le style du jeu… Un dernier mot à ajouter pour la fin ?
Je citerai juste un certain Didier Delhez qui, dans un edito de Plato a dit un jour : « Soyez cool, buvez du lait, mangez des pommes. » Je suis fan 😉
Grand merci et tous mes voeux de réussite avec Colt Express !
Merci à toi. 🙂
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :
tvincent 27/08/2014
Plus qu’un passionné, c’est aussi un « passionneur », tant son engouement pour le jeu de société est communicatif !
Marie Jose Delacroix 06/11/2017
Bonjour.
Je mets permets de laisser un message sur ce site car je souhaiterais faire plaisir a mes enfants pour Noel en leur offrant le jeu sandwich.
Actuellement je le trouve nulle part , en occasion ou en neuf…pouvez vous m aider
En vous remerciant.
4
J
Shanouillette 07/11/2017
Peut-être le trouverez vous sur okkazeo en occasion s’il n’est plus trouvable nul part..? sinon, peut-être chercher un jeu qui s’en rapproche dans le concept ?