Vengeance Roll & Fight : Clank dans le Bronx ?
Amateurs et amatrices de coups de tatane ludiques, ce que vous propose a priori Vengeance Roll & Fight, c’est d’en finir avec toute forme de rationalité, de réalisme et d’instinct de survie. Votre mission, si toutefois vous l’acceptez, sera de vous jetez tête baissée, quasiment en short et sandales, dans le repaire d’un dur-à-cuire et d’aller en découdre avec le gang de brutes sanguinaires qui l’entourent et qui ne vont pas manquer de pleuvoir sur vous. Vous pensez toujours mettre votre projet de Vengeance à exécution ? Vous espérez réellement les cogner les uns après les autres, tout défoncer sur votre passage, sortir victorieux de l’affrontement final ? Vous escomptez même récolter du butin et faire une moisson d’objectifs improbables ? Vous ne doutez décidément de rien !
Vengeance Roll & Fight est sorti en deux épisodes, deux boîtes de jeux distinctes dont les règles sont identiques et qui proposent la même expérience de jeu avec des personnages et des lieux différents. Dávid Turczi est aux manettes, lui qui nous a habitués à donner plutôt dans le velu, surtout ces derniers temps avec Voidfall et Nucleum. En proposant cette création plutôt légère, peut-être a-t-il ressenti le besoin d’une respiration avant de remettre de plus belle son cerveau en ébullition. Noralie Lubbers et Gordon Calleja complètent la conception de ce dyptique. C’est l’épisode 2 dont je vais vous parler ici, avec sa boîte à dominante de bleu (plutôt chiadée, d’ailleurs, les illustrations d’Axel Torvenius et Robert Sammelin sont une belle réussite), mais c’est parfaitement transposable à l’épisode 1.
Comme son nom l’indique, Vengeance Roll & Fight, c’est du « roule », c’est du « gribouille » et c’est surtout de la baston. À la vue du matériel, on n’a guère de doute là-dessus : une brouettée de dés rouges sur lesquels sont gravés des couteaux, des flingues ou des gouttes de sang, quatre feutres effaçables et des plateaux Joueur plastifiés. Le reste du matériel servira à mettre de la variabilité dans les parties : trois dés « Flashback », des cartes Héros, des tuiles Objet et Compétence, des cartes Boss et des plateaux Repaire représentant dix lieux différents à explorer, infestés de malfrats prêts à se jeter sur tout ce qui bouge. Vous constaterez vite que les règles ne sont pas aussi simples à assimiler et à expliquer que la légèreté du jeu ne le laisse supposer. On ne rentrera donc ici pas trop dans les détails.
– Je sais pas ce qui me retient de te casser la figure ! – La trouille, sûrement…
Chaque joueur commencera la partie en tirant au hasard un plateau Repaire, une carte Héros et une carte Boss qui traceront les contours de l’affrontement à venir. En solo, c’est limpide, mais en multijoueurs, le principe de progressions parallèles de Héros sur des plateaux Repaire différents n’ayant aucune interaction les uns avec les autres peut sembler saugrenu et vide de sens. Vengeance Roll & Fight n’est pas un jeu d’affrontement, les autres joueurs ne sont pas vos ennemis, ce sont vos rivaux dans un univers annexe. La seule mise en concurrence que propose le jeu intervient lors de la phase de lancer, où les joueurs lutteront en temps réel pour s’emparer des dés, comme nous le verrons plus loin.
Pour vous donner une idée de la folie inconsciente de votre entreprise de Vengeance, commençons par les cartes Héros : vous en tirerez une parmi quatre. Visuellement, ces quatre Héros sont déjà bien chétifs, pas franchement le gabarit de machines à tuer, mais en plus, ce sont de véritables bras-cass’ : chacun d’entre eux traîne comme un boulet un malus spécifique, par exemple subir une blessure supplémentaire quand il y a deux ennemis ou ne pouvoir utiliser ses objets que deux fois au lieu de trois. Les choses se corseront encore un peu plus quand vous découvrirez les cartes Boss : certains ont visuellement un petit côté zombie, mais surtout, ils bénéficient, eux, d’un bonus spécifique qui mettra encore quelques bâtons supplémentaires dans vos roues déjà bien voilées… Puis vous observerez les plateaux Repaire à explorer, et là, vous découvrirez une petite trentaine de patibulaires que vous allez devoir dégommer ou éviter en seulement quatre tours de jeu. Toujours « aware » ? Vous ne voulez vraiment pas faire demi-tour ?
Maigre consolation, votre Héros sera équipé de 4 tuiles Objet et de 8 tuiles Compétence spécifiques, mais celles-ci ne seront pas utilisables tout de suite, et vous aurez peu d’actions en cours de partie pour les activer, vous devrez donc renoncer à beaucoup d’entre elles et les choisir avec discernement. Une fois équipé de ce potentiel paquetage et de tous ses handicaps, votre Héros va enfin pouvoir se jeter dans la gueule du loup.
La vengeance en vidéo, c’est par là.
Mince ! Il ne me reste plus qu’une allumette !
Une partie se déroule donc en quatre tours et ne dépasse pas la demi-heure. À l’issue de ces tours, on numérote ses abattis et on compte ses points, où que l’on soit dans sa progression. Il y a un petit ressenti Clank ! dans le narratif, à pénétrer le plus loin possible dans un antre hostile, choisir son parcours, faire une récolte d’artefacts, combattre du fretin, se frotter à plus costaud que soi et essayer de ressortir vivant, si possible les mains pleines. La comparaison s’arrête là car le deck-building est ici remplacé par du jet de dés en temps réel : ces deux mécaniques n’ont pas grand rapport l’une avec l’autre, que ce soit dans le ressenti ou la part que prend le hasard.
Chaque tour se déroule de la même façon. Vous jetterez d’abord trois dés blancs qui vous accorderont quelques faveurs au petit bonheur la chance : c’est la phase de Flashback, elle vous permettra de collecter des Objets, des points d’Entrainement pour apprendre de nouvelles Compétences, recevoir ou récupérer des points de Santé, etc. En somme, vous allez piocher dans un équipement mis à votre disposition, et thématiquement, cela doit se faire avant de vous lancer tête baissée, d’où le Flashback qui intervient au début de chaque tour, même quand vous êtes déjà entré, vous suivez ?
C’est à la phase suivante, la plus originale et la plus tendue du jeu, que le stress va monter d’un cran. Chaque joueur disposera au départ de 4 dés rouges. On les lancera en simultané en tentant de faire matcher une combinaison que l’on a obtenue avec celles correspondant aux Compétences disponibles sur son plateau. Cela vous attribuera ainsi des actions : se déplacer, attaquer au couteau, tirer au revolver, esquiver,… À chaque fois que vous obtiendrez une combinaison de dés voulue, vous les poserez près de l’emplacement Compétence adéquat et vous recompléterez votre main avec de nouveaux dés pris dans un pool commun. Si rien ne vous convient, vous les relancerez tous. C’est ce fameux pool de dés qui va créer toute la tension pendant cette phase : plus vite vous obtiendrez une combinaison utilisable, plus vite vous pourrez prendre de nouveaux dés au nez et à la barbe de vos rivaux. En mode solo, ce n’est guère plus calme, puisque vous devrez vous chronométrer et vous ne pourrez plus prendre de nouveaux dés une fois la poignée de secondes écoulées (plus ou moins selon le niveau de difficulté choisi).
Cette phase constitue le cœur de la mécanique et c’est sans nul doute la plus clivante : si vous avez besoin de temps pour réfléchir à vos actions, si la contrainte du lancer en temps réel n’est pas votre tasse de thé, passez votre chemin, vous n’en ressentirez que du mauvais stress ! Si le principe ne vous rebute pas, il y a au contraire moyen de bien s’amuser en se moquant d’adversaires malchanceux ou en râlant sur ses propres mauvais lancers. Le hasard joue en effet un rôle non négligeable, il y a peu de moyens de conjurer un jet malchanceux : on peut ne pas obtenir la combinaison souhaitée pendant longtemps, on peut aussi très vite tomber sur des gouttes de sang qui vous empêcheront de relancer le dé, à moins de prendre une blessure. On est parfois désespéré de voir le pool de dés tomber à sec alors qu’on n’a quasiment constitué aucune combinaison intéressante.
J’te croyais mort, Snake !
Une fois la frénésie retombée, on passe à une phase plus calme, même si c’est ici l’essentiel de l’action que l’on va résoudre. Chaque joueur activera les Compétences sélectionnées par ses dés. On pourra choisir librement l’ordre d’activation, mais on ne pourra pas dissocier ni modifier l’ordre d’une action double ou triple. La règle stipule de l’effectuer en simultané, mais à moins de vouloir passer le reste de la partie dans son coin, il semble beaucoup plus convivial de suivre le déroulé des actions de chacun à tour de rôle ; c’est aussi plus prudent si vous n’avez pas confiance en vos adversaires (il y a des joueurs comme ça !) ou bienveillant si vous voulez donner un coup de main à un joueur débutant. Vos actions sélectionnées vont vous permettre de progresser d’une pièce à l’autre à l’intérieur du Repaire et d’occire les sbires qui se mettront en travers de votre chemin. La plupart ne sont pas bien résistants : un coup de feu depuis une salle adjacente ou un coup de couteau bien senti et ils seront immédiatement hachés menu (ils n’ont qu’un point de Santé, sauf les Durs-à-cuire qui en ont deux !). Certains Objets activés à bon escient vous permettront même d’en taper plusieurs à la fois ! Lorsque vous aurez effectué toutes vos actions, il se peut que vous encaissiez la riposte d’un ou deux gaillards encore vivants dans les parages. Vous perdrez alors un ou plusieurs points de Santé ; vous en avez entre 3 et 6, et si vous les perdez tous une première fois, vous subissez un handicap (vous ne pouvez plus jeter que 3 dés à la fois au lieu de 4), une deuxième fois, vous trépassez (Ah quand même, ils ont fini par vous avoir, ces empotés…) !
Comme dans tout Roll & Write qui se respecte, vous cocherez, effacerez, entourerez et bifferez différentes icônes au fur et à mesure que vous progresserez. L’ergonomie des plateaux Repaire est assez discutable : ils ont le défaut d’être un peu sombres aux endroits précis où il faut donner des coups de feutre ; les cases objectifs des salles sont par exemple sur fond noir, les points de vie du Boss aussi, cela n’aide pas à la lisibilité de notre progression. Mention bien, en revanche, pour les plateaux Joueur, synthétiques et clairs.
Réussir à tuer le Boss et à ressortir vivant du Repaire n’est déjà pas une mince affaire. On peut y laisser beaucoup de plumes et même sa vie. Dans nos parties, nous n’avons cependant jamais rencontré la faucheuse, et le livret de règles précise que c’est un cas improbable ; tant mieux, on n’est pas, comme dans Bang !, à regarder les autres finir la partie sans nous. Parfois, le Héros, plus avisé que téméraire, se gardera bien d’insister si les choses commencent à mal tourner ; il sera capable de revoir ses plans, et pas forcément à la baisse. Pourquoi ? Parce que tuer le Boss n’est pas l’alpha et l’omega du jeu, même si cela octroie un matelas de points confortable. Le jeu est plus ouvert que cela, le but étant de marquer des points, davantage que ses rivaux, et il y a d’autres façons d’y parvenir : collecter du Butin, remplir des Objectifs de salles, ou même faire de bons Entraînements. Un des Objectifs consiste par exemple à simplement toucher le Boss une seule fois. Vous pourrez ensuite vous carapater ; ce n’est certes pas glorieux, mais cela représentera quelques points qui feront peut-être la différence.
Attila ou Droopy ?
Ainsi, l’équilibre est rétabli en terme de réalisme. On se demandait au départ comment votre anti-héros allait pouvoir, tel un Robocop, tout défoncer sur son passage, on a maintenant la réponse : il ne peut pas ! On sera déjà bien content de ressortir du Repaire avec une poignée de points en poche, et certaines parties finiront même avec des scores négatifs si vous avez mal géré votre progression ou si vous avez attiré la poisse aux dés. Vous perdrez en effet un point par salle qui vous sépare de la sortie à la fin de la partie. Pour peu que vous ayez aussi raté vos objectifs en cours de route, le score pourra se traduire par une belle fessée déculottée !
Le caractère immersif du jeu fait débat. Prenons par exemple les plateaux Repaire : en vue aérienne, ils représentent des lieux dont les détails peuvent attirer le regard, mais qui n’interviennent pas dans un gameplay centré presque uniquement sur la castagne. Les Butins à récupérer se matérialisent par des symboles en forme d’étoiles, ce qui rend leur quête franchement abstraite. Vous ne risquez de vous imprégner du décor environnant qu’au début du jeu, quand vous recevrez votre plateau, mais très rapidement, vous vous concentrerez sur la position du boss, de ses sbires et des portes pour planifier votre parcours. Et autant vous dire que quand vous serez absorbé par l’hystérie du lancer de dés, vous oublierez complètement ces détails visuels. Quant aux lancers eux-mêmes, on peine à faire le lien thématique entre les nombreux jets et la sélection des Compétences, mais on pourra reconnaître que la poussée d’adrénaline qu’ils engendrent peut s’assimiler à de la bagarre, pourquoi pas ?
Bilan
On aurait pu craindre de se retrouver dans un mauvais film d’action, genre de série B improbable où l’herbe ne repousse plus là où le Héros passe. C’était sans compter sur l’auto-dérision que l’on ressent en incarnant des héros pas très vaillants qui se grisent d’envoyer quelques sous-fifres à l’horizontale mais finissent par se retrouver sans rien en poche et sans pouvoir s’enfuir quand les quatre tours sont écoulés. Si le hasard des dés ne vous repousse pas, si vous êtes capable de vous moquer de votre malchance ou de la maladresse de votre planification, si vous ressentez plus de plaisir à perdre en riant qu’à gagner avec sérieux, Vengeance Roll & Fight est peut-être pour vous. Soyez cependant prêt à passer autant de temps sur l’explication des règles, que l’on peut trouver inutilement alambiquées par moments, qu’à jouer la partie.
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