Vampire the Masquerade: Heritage – le Legacy Royal Canine

Vampire : La Mascarade est un univers de jeu de rôles qui ne laisse pas de marbre. Son Monde des Ténèbres, tant propice aux intrigues politiques qu’aux aventures, en passant par les tourments de l’âme humaine, peut faire mouche. Et les éditeurs de jeux de société ne s’y trompent pas. Peut-être est-ce la reprise de la licence par l’éditeur de jeux vidéo Paradox Interactive qui y est pour quelque chose ? En tout cas, on aura eu le droit à une tripotée de titres dans cet univers, avec récemment Vampire: Vendetta de Bruno Faidutti et Charlie Cleveland chez Horrible Guild, Vampire Rivals chez Renegade, Vampire: Chapters chez Flyos Games, et, le sujet du jour, Vampire: Heritage chez les allemands de Nice Game Publishing, avec Don’t Panic pour la France.

Aux manettes, Babis Giannos, auteur de Kune vs. Lakia ou encore Alexandria. À savoir, un jeu sur le divorce et un jeu de collection retors dans une bibliothèque en feu, allons bon … Ma curiosité était piquée.

 

Des objectifs, une rivière de vampires : le théâtre des opérations est posé.

 

À la base

Le jeu se déroule en une campagne de sept ères, pour 21 parties (trois parties par ère, vous suivez ?). Chaque ère correspond à une période de l’histoire, le jeu commençant en 1300 et s’achevant en 1990. Bien évidemment, l’univers de Vampire : la Mascarade ne se privant pas de dévoyer l’histoire, ce sera le cas ici aussi. On pourra recruter de grands personnages influents de chaque époque pour notre plus grand plaisir.

À chaque ère correspondent trois Conflits, et à chaque ère, l’un des conflits sera remplacé par un autre, assurant un renouvellement mécanique. Ces conflits sont la source majeure des points de victoire du jeu… ce qui vous laisse trois parties seulement avec la même configuration.

Seules deux parties du jeu verront des altérations (et oui, vous avez bien lu Legacy dans le titre) : le paquet de vampires, qui peuvent accueillir des autocollants de clan et de pouvoir, et les feuilles de chronique (ressemblant à s’y méprendre à une feuille de personnage de jeu de rôle) facilement imprimables. Les paquets de recharge ne contiennent d’ailleurs que les vampires et les autocollants.

La VF n’est pas sans défauts (la version anglaise non plus, mais elle bénéficie d’un living rulebook) et il faut parfois farfouiller pour trouver ses réponses. Une FAQ francophone a même vu le jour et se remplit petit à petit.

Conflits de départ. Un jeu de majorité avec la guerre des princes (bas), piste d’alignement personnel (droite) et de la collection (gauche).

 

Jeu d’ombres

Le principe de Vampire: Heritage est de constituer un lignage permettant d’influencer des conflits, et ainsi récupérer le plus de points. À chaque partie, chaque joueur incarne un clan différent. Cela froissera les plus simulationnistes des vampireux, mais en termes de gameplay, c’est ce qui fait le plus sens : l’équilibrage se fera ainsi, et personne ne se plaindra d’un clan “plus fort que les autres”.
Chaque clan vous donne accès à un chef, mais aussi à des Intrigues, des cartes puissantes que vous pourrez jouer lors de votre tour.

Lors de chaque tour de joueur (on en jouera entre 8 et 10, selon le nombre de joueurs), on aura une action obligatoire et une action facultative. D’abord, l’action obligatoire, qui n’a rien d’une corvée : recruter un vampire parmi une rivière.

Les vampires ont quatre attributs et, parfois, des pouvoirs. Les attributs vont changer les Conflits : ici vous devez tenter d’enchaîner une série du même attribut le plus longtemps possible, là vous devez collectionner un attribut tout au long de la partie pour un tir à la corde, là ce sera un jeu de majorité, et là encore on jugera les vampires les plus suspects… Les dilemmes sont nombreux, les coupe-gorge aussi. Recruter “le bon vampire” n’est jamais chose aisée.

Bien entendu, ces recrutements, sauf exception, ne sont que source d’interaction indirecte : on bloque untel sur tel conflit, on prive untel d’un archétype qui l’aurait arrangé : bref, de la collection-majorité presque classique. Sauf que les vampires, Legacy oblige, peuvent avoir des pouvoirs. À certains moments, vous pourrez élever un personnage au rang d’ancilla et retourner la carte dans son protège carte, débloquant des pouvoirs et la possibilité de coller des autocollants. Indice chez vous, l’empoisonneur ne va pas être piqué des hannetons. On vous laisse l’imaginer tout en vous laissant la surprise.

 

Avant ou après avoir accompli votre recrutement du tour, vous pouvez jouer une Intrigue. Les Intrigues sont des cartes soit propres à chaque clan (et à utilisation unique par partie), soit liées aux Conflits. Pour payer une Intrigue, il faut qu’un vampire forme une coterie (un Sire et ses infants directs) et qu’il ait les bons symboles d’archétype (ou, à défaut, demander des faveurs aux adversaires contre des points de victoire).

Les intrigues de conflit permettent généralement de faire avancer les conflits dans le sens qui vous arrange, tandis que les intrigues de clan développent une stratégie correspondant à votre clan. Chaque clan de vampires aura d’ailleurs sa mécanique propre : les Brujahs désignent des ennemi à qui il arrive des noises, les Toreadors invitent les adversaires à profiter de leurs intrigues moyennant gain de points, les Ventrues proclament des édits qui posent une contrainte à la table, etc.

 

Ce paquet d’intrigues personnelles va être véritablement la source d’interaction la plus directe. On fait gagner des jetons d’infamie à ses adversaires, on accumule du pouvoir (des PV !) sur son lignage, ou on met les autres vampires en torpeur, réduisant ainsi tous les points qu’ils valent, en positif comme en négatif, à zéro. Et en cas de défaite d’un clan, le vaincu peut augmenter le clan perdant en lui rajoutant des Intrigues venant d’un paquet à part. En fin de partie, des missions de majorité viennent nous rappeler qu’il y a des enjeux historiques à prendre aussi…

Un lignage : Zélios a deux Infants, dont une Artiste prolixe ayant elle-même double progéniture…

 

Le.. lega… heritage

Comme vu dans le paragraphe précédent, les joueurs perdants augmentent leur paquet d’intrigues petit à petit. Mais ce n’est pas la seule modification qui se joue lors du jeu. En fin de partie, chaque joueur peut réserver un vampire à apporter dans la partie suivante (sans pour autant savoir ce qu’elle nous réserve exactement).

Cinq missions dirigent le jeu et les remplir (comprendre, avoir une majorité dedans) permet d’obtenir un bonus de scoring pour la fin de campagne… ou de débloquer de petits avantages : actions bonus, nouveaux vampires, ou étreinte des vampires existants (qui sont transformés en ancillae), ou déblocage de nouveaux meneurs de clans. Les ancillae ont des pouvoirs qui croissent de partie en partie, à coup d’autocollants. Rien que les ancillae vont considérablement bousculer l’équilibre de jeu, étant bien plus intéressant que les vampires novices, sans texte. L’empoisonneur se débarrasse carrément d’un vil ennemi, d’autres comptent pour plusieurs archétypes dans votre coterie, vous permettant de jouer de grosses intrigues sans trop solliciter votre structure pyramidale, etc.

Et, toutes les trois parties, vous changez un Conflit. Trois conflits se jouent en permanence en même temps. Vous vous êtes habitués au jeu. Vos choix se font tranquillement, malgré le dilemme permanent. Et paf, il va falloir reconsidérer un tiers du jeu. Si les modules n’apportent pas beaucoup de règles en “plus”, leur subtilité va croissant.

Contrairement à la majorité des Legacy qui étendent les concepts de jeu en les développant de partie en partie, Vampire: Heritage propose des modules qui se tuilent, petit à petit. Et lorsqu’un changement de module survient, le gagnant de l’ère qui se finit définit quelques modalités de scoring pour la fin de campagne…

Une fois toutes les trois parties, c’est peut-être un poil long, mais je comprends la décision éditoriale derrière : vendre un jeu en 14 ou en 21 parties, ce n’est pas la même tisane. Cependant, je ne pense pas qu’il faille avoir peur d’annoncer une quinzaine de parties : aujourd’hui, avec l’abondance de titres sur le marché, la tendance est plutôt de proposer des choses plus légères… bon, à quelques (grosses) exceptions près. Oui, Gloomhaven et Kingdom Death: Monster, c’est vous qu’on zieute, là.

Bien entendu, si vous avez les extensions vendues dans le Kickstarter et/ou dans la version deluxe, vous disposez d’autres vecteurs de changement : de nouvelles intrigues globales, nouveaux personnages… et nouvelles missions. Le tout s’intégrant dans la pioche Chronique, cela se fait sans heurt et sans trop de surcouche de règles.

 

Comme un goût de sang sur les dents

Y’a comme un léger souci avec ce Legacy qui progresse lentement : la première partie est plan-plan et ne laisse présager en rien de la profondeur des choix qu’on fera ensuite. Si les Pandémie Legacy offrent une version vanilla de leur système, ils proposent quelque chose de diablement alléchant, Heritage montre un jour blafard et un poil fade : on manque peut-être un peu de moyens d’interaction au début, ou d’explosivité, et ce, malgré les intrigues (qui vont en se corsant, en plus). Un poil dommage, car la promesse est là, à palpiter sous nos petites mains fébriles : on sent tout ce qui va être amélioré, stické, débloqué. On sent que malgré le rythme d’action qui jamais ne changera, on va rendre les actions plus profondes, plus marquantes. Mais voilà, l’ensemble manque de nerf.

Des ancillae (que je n’ai pas encore personnalisés ici), avec des emplacements pour plus de pouvoirs spéciaux.

Au bout du bout

Vampire: Heritage est un jeu de collection/majorité complexe, profond et bien plus thématique qu’il y paraît au premier abord, surtout grâce aux intrigues et aux ancillae. Les mortels vont, les vampires restent, en se personnalisant. Le jeu, à la physionomie changeante, oblige à toujours bien tout étudier, ce qui donne une part belle à l’analysis paralysis. On regrettera peut-être cet aspect-ci, mais, à l’instar d’un Rising Sun, la diplomatie est très importante, cruciale. À vrai dire, rien n’oblige à cela, mais les parties s’en trouveront beaucoup plus riches : l’univers de la Mascarade, c’est aussi la cruauté des négociations !

Les nombreux systèmes d’équilibrage et de rattrapage ne sont pas évidents de prime abord : chaque clan a sa façon d’aplanir les difficultés ou d’appréhender un conflit. L’investissement sur un conflit plutôt qu’un autre demande de savoir discuter, trancher et renoncer. En somme, j’ai l’impression d’avoir eu entre les mains un des Eurogames les plus interactifs que j’aie jamais eu, avec une base mécanique simplissime, mais retenue par ces fils invisibles tantôt élégants, tantôt frustrants. Vampire: Heritage est certainement très niche, mais, malgré une allure un peu lente, il se démarque de la production actuelle par des parti-pris de game design forts.

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