Vagrantsong – ceux qui m’aiment prendront le train

Vagrantsong fait la proposition d’un jeu à campagne coopératif dans un univers original et décalé (vous avez déjà incarné un vagabond prisonnier d’un train fantôme, vous ? voilà). Le titre, imaginé par Matt Carter, Justin Gibbs & Kyle Rowan, est présenté communément comme un boss-battler, prenant donc place dans la belle famille de mastodontes tels que Kingdom Death Monster ou Primal

Vous aurez des Revenants plus ou moins glauques à renvoyer une fois pour toute dans l’au-delà. La campagne est généreuse, avec plus de 20 scénarios, elle promet une progression pour vos personnages, et des boss toujours différents à percer à jour ; le tout emmené par une DA pleine de références (saluons le travail de l’artiste Nguyen Mai Diem, déjà vu sur Malifaux), entre onirisme et vieux dessins animés, et une présence sur table séduisante avec des “figurines” acryliques ayant le mérite d’être aussi belles que nombreuses pour incarner les différents boss.   

En résumé, chacun joue un des six personnages qui pourra être activé en dépensant des “pièces” (jetons d’activation) sur des actions personnelles. Durant la partie, les joueurs tenteront de remplir les conditions, parfois bien intrigantes, des Rituels (sorte d’objectifs mid-game) tout en survivant aux attaques du Revenant. 

Chaque personnage (on apprécie d’ailleurs leur diversité) dispose des mêmes 5 actions de base auxquelles s’ajoutent jusqu’à quatre compétences et un objet sur lesquels placer nos pièces. Plus vous posez de pièces sur une action, plus l’action sera forte, comme lancer plus de dés lors d’une résolution d’attaque, donner des bonus supplémentaires à un effet, ou encore retirer plus de jetons depuis le sac de pioche. Mais vous n’avez que trois pièces d’activation et rarement plus. De plus, une compétence une fois activée ne peut plus l’être au tour suivant.

Si l’allocation souple des pièces ajoute un peu de sel dans les décisions tactiques et la prise de risque, le peu de choix disponibles lié aux blocages du tour précédent, et la courte richesse stratégique dans les actions offertes par le jeu finit par donner un sentiment de monotonie : on se retrouve assez souvent à exécuter peu ou prou les mêmes choses. Vous choisissez vos actions puis les résolvez toutes, et comme la plupart sont solutionnées aux dés et assez peu variées en terme d’effet, au final, on ira sur les actions les plus fortes statistiquement parlant. Disons que l’espace de décision dans la stratégie n’est pas le point fort du jeu surtout comparativement à la concurrence – on sera plus dans la réaction, et soumis au hasard. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose en soi. Le problème vient plutôt des enjeux. Si le hasard violent d’un Kindgom Death Monster peut vous coûter la vie, il met ses joueurs en alerte maximale permanente. Dans Vagrantsong, le jeu est finalement trop gentil avec ses joueurs. Les enjeux narratifs restent un peu vaporeux, et la peur de perdre assez distante.   


Vous êtes piégés dans cet étrange train rempli de choses étranges. Le plateau ne change pas, les héros évoluent peu, c’est surtout les Revenants, les stars du jeu. La plupart du temps, il s’agira de se confronter à l’un d’eux ; il proposera un comportement différent selon le scénario. Il s’activera toujours entre chaque joueur, via le tirage d’un jeton sorti du sac – on regarde alors l’effet à résoudre sur le scénario.

Ces mêmes jetons peuvent aussi être trouvés par les joueurs via l’action de base « fouiller » et permettent de trouver des objets pour d’autres actions génériques : les Clous causeront quelques dégâts aux Revenants, la Bougie est intéressante car elle attire l’ennemi sur elle, le Sel peut être utilisé pour annuler l’action d’un Revenant, la Patte de lapin est un jeton d’action supplémentaire (one shot) et la Pomme soignera les compétences bloquées par des blessures. 

Dans vos autres actions de base (communes à tous les vagabonds), vous pourrez mettre une mandale ou vous soigner (mais moins efficacement que la plupart des compétences conçues pour), vous déplacer, et surtout investiguer afin d’interagir avec un jeton événement posé sur le plateau. Pour ce faire, il faudra toujours réussir un jet de dés, et donc miser des pièces pour augmenter vos chances d’y parvenir. 

Au bout d’un certain nombre de ces jetons sortis du sac, un événement (rarement cool pour les joueurs) bousculera plus ou moins fortement le déroulé de la partie – avant de tout remettre dans le sac.     

Ces choix d’activation par jetons s’avèrent assez répétitifs à la manipulation mais ils ont le mérite de contenir beaucoup d’effets structurels avec peu de matériel. 


L’aspect stratégique reste malheureusement assez restreint dans
Vagrantsong. Durant le scénario, on a peu à planifier, on réagit surtout aux événements, et on reste pas mal à la merci des dés. Cela peut être un choix honorable, mais il faudrait dans ce cas plus impliquer les joueurs dans les enjeux narratifs ou les conséquences des scénarios, ce qui n’est pas tellement le cas.

Après chaque combat, durant la phase d’amélioration,
on prend beaucoup de décisions en aveugle. Si par exemple, on décide de prendre une nouvelle compétence, on choisir sans la voir sur la base d’une description vague, elles sont d’ailleurs interchangeables, et plus ennuyeux encore, les compétences ainsi achetées nous ont rarement fait l’effet d’une véritable amélioration. C’est comme si nos personnages étaient finalement un peu secondaires dans tout cela – ce qui ne donne pas un sentiment de progression et d’incarnation très satisfaisant. Dommage pour un jeu qui se lance dans une longue campagne de 23 scénarios. 


Au final, ce qui nous donne envie de poursuivre la campagne n’est pas tant l’histoire, le challenge, ou la progression que la curiosité de découvrir les différents fonctionnements des boss, par instants déroutants – et c’est tant mieux. Les demandes des rituels et les événements du scénario vont permettre de sortir d’une trop grande monotonie (taper taper tapeeer), ils sont même parfois drôles et surprenants. 

Les textes sont travaillés, même si on ne sait pas trop si le jeu cherche à être vraiment effrayant. Certains événements font un peu sourire, d’autres éléments restent nébuleux comme cette idée que l’on soigne les âmes perdues par la douleur. En effet, le soin et le dégât sont ici la même unité, une action peut ainsi infliger des dégâts au boss tout en soignant votre camarade. 


Côté matériel, c’est globalement une réussite, on l’a dit plus haut, la DA original attire l’œil, les figurines acryliques sont indéniablement un choix malin, tout à fait pertinent artistiquement et lisible durant la partie. On regrettera des plateaux personnels très fins, un peu cheap. 

En tout cas, un soin particulier a été ostensiblement porté pour offrir un univers et une identité qui sort du tout venant, avec une vision esthétique, pour ne pas dire atmosphérique, du boss battler. Et l’avantage de Vagrantsong, comparativement à d’autres titres dans la même veine, revient à son petit encombrement : La taille de la boîte est tout à fait raisonnable et la place prise sur la table également, sa mise en place et son rangement s’opèrent également plutôt rapidement. 

Vagrantsong a une voix singulière, il faudra parfois être patient pour rester en selle, la progression et la personnalisation sont légères, l’aspect réaction prévaut sur la stratégisation, et sa proposition narrative n’est pas d’une évidence limpide, on pourra aisément passer à côté tant elle se veut plus évocatrice et onirique voire métaphorique que littérale. Néanmoins, il a ce côté attachant, ce petit caractère étrange qui intrigue, et sans pour autant nous assujettir par sa profondeur ou son challenge, le titre garde une saveur qui lui est propre, entre hommage à Bob Dylan et charme indé.

C’est d’ailleurs ce charme inspiré des jeux vidéos indés qui génère une part de la déception à la sortie de la lecture des règles. On pressent un mystère diffus et on nous promet une lutte pour arpenter ce train étrange rempli de revenants avec cette équipe de vagabonds mal assortis. On semble nous promettre une expérience particulière qui monte les enjeux et notre attente.

On aurait aimé qu’il nous engage un peu plus personnellement concernant nos personnages, qu’il nous délivre un peu plus d’indices cryptiques quant à ce train, notre présence ou cette aventure, que les actions aient des effets plus marquants au-delà du « infliger X à portée Y », que les affrontements nécessitent plus de mécaniques diversifiées qui nous sortent du duel mathématique, voire même qu’il nous propose un challenge plus corsé où la stratégie des joueurs pèserait plus dans l’accomplissement de la victoire… Bref, on aurait aimé que le jeu soit plus raccord avec cette image de jeu vidéo rogue like cryptique que la DA nous vendait. Néanmoins, avant de conclure, n’oublions pas l’avantage majeur de cet opus, à savoir le fait de pouvoir proposer cette expérience de boss battler en français, avec un corpus de règle, une accessibilité, et un tarif raisonnable. 

 

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