Une simple balade en Petite mer

Petite mer est une sorte de Carcassonne coopératif qui semble vous embarquer sur une mer d’huile. En vérité, avec les deux extensions, vous pourriez vous trouver dans des situations pas si faciles à optimiser… mais l’essence du jeu est sans doute ailleurs, plus lumineuse qu’un ciel breton sous le soleil d’été. 

Si vous avez déjà joué à des jeux de pose de tuiles sauce Carcassonne vous comprendrez rapidement les tenants et aboutissants de Petit mer. Classiquement, vous posez des tuiles pour concevoir un paysage cohérent par un jeu d’adjacence. Incarnant les gardes côtes de ces îles vous devez inspecter les phares et les balises, voire les éoliennes et les pontons si vous jouez avec les extensions. Inspecter ? Cela signifie simplement que vous avez réussi à poser des tuiles de manière orthogonale et cohérente tout autour.

Estuaires et côtes rocheuses

Petite mer ne vous tend pas de piège : c’est vous même qui allez vous coincer tout seul 😉 Et pourtant, vous avez un bateau qui se déplace gratuitement après chaque pose de tuile, ainsi que trois jetons hélice qui permettent des déplacements bonus, sans oublier l’option de défausser une tuile pour continuer sa progression dans les cas les plus difficiles.  

Le jeu est tout simple. Une tuile de départ à partir de laquelle vos pions navires partent en exploration. À votre tour, vous avez trois tuiles à placer. Vous en posez une ? Votre bateau s’y rend. Bien sûr, il y a des contraintes, le bateau doit pouvoir passer donc le lien se fait par l’eau (si une bande de terre vient empêcher votre déplacement, c’est non). Le paysage s’étend progressivement avec son littoral craquelé. Parfois votre bateau se retrouvera un peu coincé, vos tuiles ne colleront pas avec la carte actuelle, et il vous faudra contourner les obstacles ou chercher de l’aide.

En effet, quand vous ne jouez pas en solo, vous pouvez échanger une tuile avec celle d’un copain. Plus il y a de copains autour de la table, plus votre marché s’ouvre, plus l’analysis des options pourra devenir longuette. A deux, le jeu reste sans doute dans son “swouit spot” comme disent les grands bretons, soit dans sa meilleure configuration : on peut vraiment réfléchir ensemble à comment on va organiser nos îles sans que le temps ne s’étire de trop.   

S’il faut reconnaître que l’aléa du tirage reste un élément important du game design, il faut aussi souligner qu’une maîtrise progressive existe dans le jeu : plus on connaîtra les répartitions des tuiles, plus on pourra éviter de se mettre dans des situations bloquantes. Plus on évitera aussi de s’acharner à trouver une solution sur des bouts de carte qui ne pourront plus être inspectés. Attendre la tuile parfaite n’est jamais la bonne stratégie, il faut essayer de construire de façon à ouvrir les possibilités au maximum. Avec l’expérience, on crée plus qu’on explore à l’aveugle. Et si on lutte vraiment contre le tirage tel un marin contre l’océan, il faut s’avouer vaincu, défausser une tuile n’est pas si tragique, laisser des trous non plus. Pourtant toutes les tuiles bien inspectées, même sans phare ni balise, pourront rapporter un peu de points à la fin. Cela nous pousse à être toujours exigeant avec nous-même.  

 

Marée descendante et points saillants

Le décompte, sur la première partie, rebute un peu. D’ailleurs, l’explication laisse planer quelques doutes. Une tuile non inspectée comme un ponton peut-elle tout de même scorer de ses maisons ? La réponse est non, il s’agit de bonus. Au final, une fois qu’on a compris que les tuiles inspectées marquent un point si elles n’ont aucune caractéristique, deux pour une bouée, trois pour un phare, on se rend compte que ça va, le décompte n’est pas sorcier.

Les extensions apportent un sel marin tout à fait pertinent. Les pontons scorent avec les maisons présentes sur leurs îles et les éoliennes rapportent si elles sont entourées de pleine mer. De quoi ajouter un bon brin de vents contraires dans nos excursions. On pourra néanmoins revenir à la forme épurée du jeu car elle reste pleinement une expérience en soi (et bien sûr, sera particulièrement recommandable avec un public qui a peur de l’eau). 

 

Tours et contours des sols émergés 

Les îles que l’on génère au fur et à mesure de notre navigation cachent parfois des surprises inattendues – des situations où l’on se dit des phrases allant de “hey, mais on dirait la Corse”, à “si on pousse encore un peu au sud, on pourra peut-être la clôturer comme ça, ou comme ça” sans oublier le fameux “bon, elle va devenir impossible à contourner, il faudra peut-être que je fasse demi tour” ou au contraire “je vais en venir à bout de cette côte oui !” un peu comme en rando. Les grandes terres ne sont pas des morceaux de plaisir ! Parfois on s’entête à vouloir terminer une île alors que les points finaux ne sont pas forcément là. Il faut changer de regard sur la map que l’on crée, s’adapter, domestiquer ce territoire provisoire de traversée. Au final, les joies de cette Petite mer sont ici et les critères de score servent qu’à cela, plus qu’à nous permettre de nous poser sur une échelle de victoire un peu secondaire.   

 

Quand on regarde certains jeux de pose de tuiles actuels, Petite Mer revient à un plaisir de jeu bien plus simple, bien plus viscéral. Vous pouvez naviguer ici de manière spontanée et instinctive, comme le proposaient les premiers épisodes si doux de la campagne de Dorfromantik avant qu’elle ne se perde dans ses objectifs contradictoires qui s’amoncellent ad nauseam. Si on touche parfois au geste machinal, on retrouve aussi le bonheur enfantin du puzzle, ce plaisir incommensurable de trouver le morceau manquant et d’associer un trait à un autre, d’accomplir un mouvement, de dessiner un lieu. Et à deux, la discussion va bon train, sans stopper le flow. On peut jouer sans entraide, mais avec, c’est tellement bien.  

Les illustrations de Ratzlaff, qui est aussi l’auteur, sont sobres mais évocatrices, claires et hivernales, on se sent un peu là-bas, au milieu de ces mers tortueuses, au sein de cet espace encore sauvage où surgissent des îles dont les côtes se dessinent, apparaissent sous nos yeux et disparaissent parfois dans le lointain d’un horizon irréductible à toute géométrie. 

 

Le jeu d’origine édité par Pandasaurus s’appelait Beacon Patrol ; saluons le ptit coup de génie marketing des gens de Iello de nous sortir cette boîte en nous la faisant passer pour un pur jeu breton (Morbihan signifiant Petite mer). Quel timing, en plus, que de le proposer quand la haute saison bat son plein. Difficile de bouder son plaisir. Dommage seulement que la table de camping soit un peu trop petite pour ces douces excursions 😉 

 

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