Turing Machine – Bit it
Il est des jeux qui sont longs à apprivoiser. Turing Machine fait partie de ceux-là.
Mes deux premières parties ont été assez laborieuses. Je l’ai découvert en festival et j’ai trouvé les explications peu claires sur la façon dont fonctionnait la machine. Comment interpréter les réponses qu’elle me donnait ? Heureusement, je n’ai pas abandonné après cette première mauvaise impression…
Yoann Levet (Myrmes) accompagné de Fabien Gridel (Rest in Peace) nous proposent ici un jeu de déduction un peu particulier. Si la finalité (trouver un code) est assez classique, la méthode est plutôt originale. Ce ne seront pas les joueurs autour de la table qui donneront les indices, mais une machine composée de cartes perforées. D’où le titre du jeu qui rend hommage au célèbre cryptologue britannique qui réussi pendant la seconde guerre mondiale à décrypter les codes allemands grâce à sa machine Enigma.
Cette machine dans ma tête
Ici, pas de contexte historique, juste un code à 3 chiffres à trouver plus vite que les autres. Les chiffres qui le composent peuvent aller de 1 à 5 et sont identifiés par une forme et une couleur : triangle bleu, carré orange et rond violet. Au centre de la table se trouvent entre quatre et six cartes critères qui, ensemble, permettent de trouver le code. À chaque carte critère est associée une carte vérification composée d’un quadrillage de croix rouges et coches vertes.
Lors de chaque manche, les cryptologues vont simultanément composer un code avec trois cartes perforées, qui une fois superposées, ne laisseront apparaître plus qu’un trou. En plaçant derrière la carte vérification d’un des critères, ils pourront voir si leur code respecte le critère (coche verte), ou non (croix rouge).
Pour chaque manche, il n’est possible de vérifier que trois critères au maximum. Chacun effectue ses tests de son côté, note les résultats et ses conclusions sur sa feuille. Puis, tels des empereurs romains face à des gladiateurs, les cryptologues tourneront en même temps leur pouce vers le haut ou le bas selon si elles pensent avoir trouvé le bon code ou si elles souhaitent une manche supplémentaire. Une bonne réponse signifie la victoire, une mauvaise réponse entraîne l’élimination de la joueuse. Les égalités sont tranchées en faveur de celle qui a effectué le moins de tests.
Que le ludochrono éclaire votre compréhension de la règle.
Il y a donc très peu d’interactions dans Turing Machine. Chacun réfléchit de son côté sur les informations qu’il a recueillies. Le seul petit moment où le ventre nous picote est lors de la phase du pouce : y a-t-il quelqu’un qui a trouvé le code ? Nous n’avons aucune influence sur les adversaires : il n’est pas possible de les freiner, ni de tirer des conclusions à partir de leurs choix (codes et vérificateurs testés). Il s’agit d’une course à la déduction où chacun reste seul dans son couloir. Il n’y a presque pas de temps morts puisque tout le monde joue simultanément.
Le jeu propose aussi un mode solo, où en fin de partie, on indique le nombre de manches et de tests qui nous ont été nécessaires pour trouver le code. On compare notre résultat à celui obtenu par une IA.
Vers l’infini et au-delà
Le livret de règles indique la mise en place pour vingt parties, avec une difficulté croissante, mais sur le site de l’éditeur se trouve le lien vers un générateur en ligne (https://turingmachine.info/) permettant de jouer plus de sept millions de parties, sans compter les modes Extrême et Cauchemar qui comme le nom le laissent deviner, vont rehausser d’un bon cran la difficulté, puisque vous aurez soit deux cartes critère par vérificateur (avec une seule carte valide), soit vous ne saurez carrément pas quel vérificateur est associé à quelle carte critère. L’interprétation des réponses de la machine sera donc plus longue.
Comprendre les réponses de la machine
Je vous disais en intro que j’avais eu une mauvaise impression lors de mes deux premières parties. En effet, la bonne compréhension des cartes critères n’est pas immédiate lorsqu’on découvre le jeu, même si les vingt configurations proposées dans le livret sont progressives en termes de complexité. D’ailleurs l’éditeur a publié sur son site une page explicative nommée le “paradoxe du faux” pour aider les joueuses à comprendre cette petite subtilité. Ne sachant pas quoi déduire des résultats que j’obtenais lors de mes tests sur la machine, je m’étais senti un peu désemparé lors de ces premières parties.
En résumé, chaque vérificateur répondra “oui” uniquement si le code que vous lui soumettez rentre dans un des cas de figure énoncés sur la carte critère associée (selon la carte, il y a entre deux et neuf cas de figures). MAIS ça ne veut pas dire que les autres cas de figures sont faux.
Ici, supposons que la carte indicateur s’intéresse au fait que triangle soit égal à 3. Il ne s’intéresse pas à rond ou carré. Peut-être que carré aussi est égal à 3 dans le code, peut-être pas.
Un autre point très important, est que chaque vérificateur est nécessaire pour trouver l’unique code qui remplit toutes les conditions. Cette règle est cruciale pour faire des déductions rapidement.
Dans cette partie, on sait d’entrée de jeu que pour le critère D, ça ne peut pas être la situation « il y a deux 3 » ou « il y a trois 3 », car alors le critère E ne nous apprendrait rien de plus (il confirmerait juste : « il y a une valeur en double » ou « il y a une valeur en triple »). On peut donc réduire les possibilités pour le critère D à « il y a un 3 » ou « il y a zéro 3 ».
L’édition est particulièrement bien soignée. Le couvercle de la boite est perforé et laisse apparaître le vert du livret de règles, rappelant ainsi la mécanique centrale du jeu. Et si vous avez mal fermé la boîte, vous verrez apparaître la croix rouge ! L’éditeur a poussé le détail jusqu’à identifier les cartes critères par quatre nombres différents. Ainsi, si l’on joue plusieurs parties d’affilée utilisant la même carte, il n’est pas possible de se rappeler à quelle condition elle correspond (par exemple “triangle est pair”). L’idée est louable, mais personnellement, je ne pense pas que je retiendrai ce genre d’information 🙂.
Conclusion
Ce Turing machine est pour moi un excellent jeu de déduction solo, mais aussi en multi joueurs si vous n’êtes pas dérangés par l’absence d’interaction. L’aspect course à la résolution me semble stimulant à lui seul. Par ailleurs, les modes Extrême et Cauchemar offrent un défi relevé aux joueurs expérimentés (notamment pour les parties solo, car on aura vite fait de battre l’IA). Par contre, je trouve dommage que le livret de règles n’insiste pas suffisamment sur des points clés du principe de la machine. Du coup, certaines personnes risquent de passer à côté du jeu. Ce serait dommage.
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zézé 26/01/2023
enigma était la machine à encoder allemande.
Turing a mis au point « les bombes » permettant dessaer le code.
Cela fut la base de ses machines dites de turing à bandez infinies.
Un génie …
Chips 29/01/2023
Un excellent jeu qui laissera perplexe certains là ou dautres trouveront le stimulus qui fait leur fait frétiller le cortex.
Je suis de ces derniers et je tiens à nuancer la première phrase : Turing Machine n’est pas forcémet long à apprivoiser, tout dépend de notre logique. Si on « pense » comme le jeu, tout est limpide dès le départ. J’ai vu à la même table un joueur comprendre le truc immédiatement, une autre avoir besoin de la première partie pour que ça clique et une autre qui n’y arrivait pas du tout.
Manu 30/01/2023
@Chips : Dans l’article je parle de mon expérience personnelle. J’ai joué à pas mal de jeux de logique et celui-ci me semble moins évident à appréhender que d’autres. Je suis tout à fait d’accord sur le fait que certains comprendront très vite le fonctionnement de la machine. Je signalais juste qu’en ce qui me concerne ca a été laborieux (la personne qui m’a expliqué en festival n’était peut-être pas claire ? Les règles ne sont pas si limpides ? ou moi qui était fatigué ? Qui sait.) En tout cas je ne pense pas être le seul à avoir eu du mal (au début) vu le nombre de messages sur bgg et les réseaux sociaux lors de la sortie du jeu, et vu que le scorpion masqué a publié un texte explicatif sur son site (« le paradoxe du faux »). Il n’en reste pas moins que je trouve au final le jeu très agréable.