Traders of Osaka, attention à la grosse vague Niponne
Amateur du pays du soleil levant ou non, il faut avouer que Traders Of Osaka titille l’œil. Une boite pas très grande, des illustrations léchées et originales, je trouve qu’il est difficile de ne pas s’y intéresser.
Mais quelle ne fut pas ma surprise de découvrir derrière cette belle façade, un jeu très profond, avec de la stratégie bien ficelée. Ce jeu a beau être dans une petite boite, il est riche et puissant. Alors levez l’encre avec moi, je vous emmène commercer au japon de l’ère Edo.
Qu’est-ce que c’est donc ?
Traders of Osaka est la réédition de Traders of Carthage (2008), édité par Z-man et localisé par Filosofia. Quand on regarde cette ancienne édition, on se dit qu’une réédition n’est pas plus mal. Non pas que le thème était mauvais (Japon ou Tunisie même combat de commerçants), mais cette boite était quand même drôlement moche et peu inspirée.
C’est drôlement à la mode les rééditions en ce moment me direz-vous, et bien je pense que c’est une bonne chose, car cela remet sur le devant de la scène des pépites qui sont passées inaperçues en leur temps, soit parce que pas forcement très bien éditées, soit à cause d’une mauvaise conjoncture. Et pour le coup, je salue l’initiative de ressortir Traders of Carthage dans une version qui le mérite.
C’est cool c’est de qui ?
Alors le jeu est de Susumu Kawasaki, auteur japonais, qui est à l’origine de nombreux jeux minimalistes ou abstraits (Stack Market, Robotory…), mais peu distribués sur le marché français.
On retrouve complètement dans Traders of Osaka ces concepts de minimalisme et d’abstrait, car c’est une combinaison de ces deux paramètres, à savoir l’idée de faire profond (certains diront compliqué) avec du simple dans une petite boite.
C’est beau, c’est qui qui dessine ?
Les illustrations sont signées Atha Kanaani. Il semblerait que ce soit le premier jeu de cet artiste, mais pour ma part, je suis séduit. On dirait que la couverture du jeu est tout droit sortie d’une estampe Japonaise de l’époque Edo. J’espère donc que ce ne sera pas son dernier.
Y a quoi dans la boite ?
Alors qu’est-ce que l’on trouve dans cette petite boite ?
Tout d’abord plein de cartes, représentant les 4 types de ressources à commercer. Si vous ne reconnaissez pas les illustrations, vous ne savez pas trop ce que vous transportez, et tout au long de la partie on parle finalement des cartes suivant leurs couleurs, on ne les désigne jamais par leur contenu, tant ce paramètre est peu approfondi.
On aurait surtout aimé que les illustrations soient un peu plus variées. En effet, pour chaque couleur, on a 3 valeurs différentes (2, 3, 5), qui représentent la puissance de la carte. Mais à chaque fois, l’illustration est identique. Une illustration différente aurait été plus appréciable et thématique, et aurait évité au joueur de se concentrer sur les tous petits chiffres de la carte plutôt que sur les énormes illustrations non différentiables.
On a également des petits pions en bois (bateaux et pions personnels), et pleins de jetons en carton (pas forcement assez pour toutes les situations de jeu, comme souvent dans les jeux minimalistes. Si vous en manquez utilisez autre chose ressemblant, ou des patates…).
Et pour finir un plateau de jeu, pas très grand. On aurait aimé un plateau un peu plus grand pour plus de lisibilité et d’ergonomie, mais il fonctionne en l’état, pas de grosse déconvenue.
Et c’est tout. Oui c’est tout, et c’est ce qui me pose problème (j’y reviendrai longuement après). Car on est bien sur un jeu minimaliste, et on va donc utiliser le même matériel pour plusieurs fonctions différentes. À savoir que les cartes vont faire office de ressources, de monnaie, d’assurance et de points de victoires. Rien que ça… !
Comment on joue alors ?
Alors ce n’est pas évident… Oui en fait je préfère prévenir car le jeu est profond, et plus complexe que je ne le pensais. Le 14+ est mérité. Non pas qu’il y ait beaucoup de règles non, et le livret est très bien réalisé, mais il faut bien les comprendre pour savoir comment les éléments s’imbriquent entre eux, et ne rien louper.
Je vous renvoie vers le ludochrono pour un aperçu rapide, mais il ne vous sera pas suffisant, et vous devrez prendre le temps de lire les règles calmement pour ne rien rater.
Pour faire court, nous allons acheter des ressources (cartes visibles), en utilisant de l’argent (cartes en main), et ces achats feront avancer les bateaux vers le lieu de vente.
À son tour, on a 1 action possibles parmi 3
1) Acheter des marchandises (jouer des cartes de votre main pour acheter toutes les cartes marchandises, non réservées, du marché) ;
2) Prendre des pièces (en prenant une carte du marché et en l’ajoutant à sa main) ;
3) Réserver des cartes (en mettant son marqueur sur une carte)
La contrainte du jeu tient en 3 données.
Tout d’abord l’achat, qui impose de tout acheter. Il faut avoir assez d’argent pour tout prendre, et donc passer régulièrement son tour pour récupérer de l’argent au lieu de le dépenser. Mais récupérer une carte pour la transformer en argent diminue la valeur du marché, et le rend donc plus facilement achetable pour les joueurs suivants.
L’autre point est que l’achat de la collection entraine l’avancée de tous les bateaux de la couleur des éléments achetés (on n’a pas de bateau attitré, il y en a une par couleur de marchandise). Il vous faudra donc être attentif aux ressources qui sont laissées dans la zone d’achat.
Mais ce n’est pas tout. Il y a un gros twist dans le jeu, et il tient dans une petite règle toute simple et bien violente : Lorsqu’un bateau arrive, tous les bateaux présents sur les 2 cases précédentes sont pris dans la tempête, et non seulement reculent, mais en plus font perdre à tous les joueurs les marchandises de la couleur du bateau qu’ils possèdent (sauf si vous êtes assuré comme je le dis ci-après). C’est très violent, voire démoralisant, mais cela ajoute une dose de stress et de stratégie qui donne son sel au jeu.
Ajoutons à cela un petit mécanisme d’assurance des marchandises en payant via certaines cartes, et vous obtenez un jeu très complet, bougrement fourbe, et où chaque coup se réfléchit longuement.
Alors ça donne quoi ?
Alors je dois vous avouer que j’ai un peu perdu mes joueurs durant l’explication. Nous avons fait une partie à 4 joueurs, avec 3 joueurs que je dirais occasionnels (adeptes de 7th wonders et Takenoko pour vous situer), et les règles ne furent pas très évidentes pour eux.
La première embuche fut de comprendre que les bateaux étaient reliés aux marchandises, et ne nous appartenaient pas. Pas évident car les couleurs des bateaux font très pions personnels (couleurs rouge, bleu, jaune, vert), alors que nous avons des pions de couleurs peu habituelles (rose, blanc, bois et gris, peu).
Le deuxième achoppement, violent celui-là, est venu du scoring, car il faut avouer que c’est l’un des pires scoring que j’ai vu. Car oui, qui dit jeu minimaliste, dit matériel minimal. Du coup on score avec des cartes retournées sous notre pion qui deviennent des points de victoire, via la règle suivante : lorsqu’un bateau d’une couleur arrive, tous les joueurs ayant la couleur marquent :
{ [ (valeur de la carte la plus haute + nbr de jetons bonus de la couleur) x Nbr de cartes de la couleur ] arrondit au multiple de 5 supérieur } divisé par 5 = nombre de cartes que vous mettez sous votre pile équivalent à des points de victoire.
Ahahah, vous ne vous y attendiez pas à celle-là !
Non mais sérieusement, ce scoring est une blague.
Il est peut-être efficace, mais d’une complexité ignoble, et donne l’impression que pour économiser la fabrication d’une piste de score et l’ajout de quelques pions, on se retrouve avec une règle de scoring ubuesque, et qui plus est qui se compte avec des cartes (qui ont déjà beaucoup d’autres utilités). Pour moi on passe du côté obscure du minimalisme. Celui où l’on rogne sur l’accessibilité du jeu pour rester dans un format imposé et minimum. Il ne faut donc pas s’étonner de perdre quelques joueurs après avoir expliqué ce scoring, tout est normal, vous êtes humain ^^
Donc j’ai passé au total 10-15 minutes facilement sur les explications, et j’ai bien vu dans leur regard que tout n’était pas clair, mais que « nous verrons bien en jouant » (rahh que je redoute cette fameuse phrase qui sous-entend « j’ai rien compris »).
Mais il faut avouer que cela fonctionne bien en jouant, car le fait d’avoir une action parmi seulement trois rend le jeu très fluide. Les gens ne se posent pas trop de questions, ils prennent des pièces, et les dépensent. Il m’a fallu plusieurs retours aux règles durant le début de la partie pour bien préciser tous les impacts des achats et leurs contraintes. Mais dans l’ensemble, plus le temps avançait, plus le jeu était assimilé et devenait plaisant.
Petit bémol cependant concernant la règle de la réservation. La 3eme action est en effet de se réserver une carte plutôt que de la prendre. Un débutant ne voit que très difficilement l’intérêt de réserver une carte, et cela s’est vu tout le long de la partie où cette action est peu utilisée. Alors que cette action est primordiale quand on en saisit l’intérêt. Cette action va nous permettre d’empêcher certains bateaux d’avancer, pour permettre d’en sauver d’autres de la vague destructrice. Une action maline, mais très fine, qui échappera surement à certains lors de la première partie, mais qui deviendra très vite un indispensable, et le cœur de la victoire.
Pour cette initiation, la partie à durée 1 heure ; et j’estime que seul le premier quart d’heure était flottant via-à-vis des règles car passé cette portion, le jeu s’est avéré très plaisant, bougrement profond, et très riche en tensions. Les joueurs se le sont appropriés malgré ces quelques difficultés, et sont très vite rentrés dans le jeu du « si je fais ça, tu vas faire ça mais ça peut entraîner ça… ». J’adore voir cette situation autour de la table, qui montre que les joueurs sont vraiment pris au jeu, mais c’est un peu d’analysis paralysis, que certains redoutent – je l’ai trouvée plaisant lors de cette partie car limitée, mais il faudra se méfier de cette situation avec de très gros joueurs à la table. Certains tours pourraient très bien devenir très longuets.
La fin de partie fut un peu surprenante. En effet elle se déclenche lorsqu’un joueur possède 8 jetons bonus. Lorsque c’est arrivé pour nous, sur les 4 joueurs, 3 se sont retrouvés avec des scores identiques, et le même nombre de jetons. Nous avons donc eu 3 gagnant à la table (et je me retrouvais le seul perdant avec 2 points de retard, non mais quelle blague !). Bref, final mitigé, où l’on se demande si cela est extraordinaire ou courant. Il faut dire qu’avec un système de scoring qui arrondit à 5 avant de diviser par 5, on prend finalement un nombre de points plutôt limité, et les écarts ne se creusent pas. On aura besoin de refaire d’autres parties pour vérifier cela ; mais pas tout de suite. L’envie d’enchaîner une autre partie n’est pas là, car le jeu nécessite une bonne disponibilité de cerveau quand même. Un poil éprouvant donc pour mes joueurs du dimanche.
Et au final ?
Alors que penser de Traders Of Osaka…
Avant tout j’ai envie de dire que c’est un bon jeu.
J’ai pris une claque sur la profondeur de ce jeu qui me donnait l’impression d’être plus light. Il y a une tension très agréable autour de la table, et on prend beaucoup de plaisir à préparer ses petits coups, ou faire LA réservation qui retourne une situation.
La rejouabilité me semble correcte, et l’envie d’y revenir est également là, même si on enchaîne pas les parties.
Je trouve le jeu beau, et pour un prix très raisonnable, l’achat ne se regrette pas.
Par contre, il contient clairement pour moi des erreurs d’éditions, notamment sur le scoring, complexe pour rien, le minimaliste un peu trop poussé, le travail d’illustrations des cartes réduites au stricte minimum, et le thème finalement peu présent qui mange un peu le plaisir que l’on prend autour du jeu.
Des reproches et erreurs dommageables qui font que je ne pense pas que ce jeu percera vraiment dans le monde ludique. Mais au-delà de ça, il reste très bon et il s’adopte facilement.
Un jeu de Susumu Kawasaki
Illustré par Atha Kanaani
Edité par Filosofia, Z-Man Games
Distribué par Asmodee
Langue et traductions : Français
Date de sortie : 09/2015
De 2 à 4 joueurs
A partir de 13 ans
Durée moyenne d’une partie : 30 minutes
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Djinn42 07/11/2015
Idem, j’étais sceptique et finalement le jeu a une certaine profondeur tactique pas inintéressante. Tout est question de timing, un peu de programmation. Pour un si petit format c’est une très bonne surprise.
morlockbob 08/11/2015
Pour ma part, la meilleure config de ce jeu est à 2, même si on a tendance à fonctionner par « vague ». Je pose mes cartes, puis je me refais pendant une paire de tours, laissant a lors a l’adversaire plus de marge. Mais c est aussi à 2 que l ‘on peut temporiser… A 4 , on attend son tour et on voit, aucune planification n’est possible. A 3 c est mieux mais pas encore.
Un bon jeu en duo, de belle qualité, hélas balayé par la sortie de 7W duel qu ne lui aura pas laissé beaucoup de visibilité et par un éditeur qui ne l’a pas non plus mis en avant.
TheGoodTheBadAndTheMeeple 08/11/2015
clairement d’accord avec toi. Le jeu est un chaos total à 4, il nous a bien dégouté malgré l’envie initiale ! Pour moi c’est poubelle. chacun ses gouts.
El Gringo 08/11/2015
Je n’ai pas encore eu l’occaz de jouer a 2, mais en effet la partie a 3 etait plus plaisante que celle a 4.
La partie a 4 etait plus chaotique, mais pas deplaisante pour autant. Apres c’etait ma premiere, pas dit qu’une 2eme m’emballe autant si toutes les strategies tombent a l’eau
chrisaugwai 09/11/2015
Essayé à 3 joueurs sur le salon de Toulouse au printemps. Le jeu nous avait bien plu et il ne m’avait pas laissé un sentiment trop chaotique, notamment grâce à l’action de réservation sur le marché.
Par contre le coup des bateaux dans la tempête est clairement punitif si on ne joue pas l’assurance.