The One Hundred Toriis, les jardiniers de l’arche perdue
Nihon Teien
Pour ceux et celles qui ont déjà passé quelques heures dans des jardins japonais, il ne fait aucun doute qu’ils ont un caractère tout à fait particulier. On y entend des ruissellements venus de fontaines discrètes, souvent légèrement cachées par le feuillage d’arbrisseaux faussement sauvages. On y voit des jardiniers prompts comme l’éclair, qui passent d’un espace à un autre, sans concéder le moindre bruit, sachant à quel point le silence fait partie de l’expérience propre aux jardins japonais. Certaines fois, au hasard d’un croisement inattendu, vous ferez la rencontre d’un poète, vêtu d’une tenue au drapé artificiellement inconsistant, au tissu un peu usé, comme s’il y passait la main plusieurs dizaines de fois par jour pour que sa richesse d’âme devienne une humilité à voir…
The One Hundred Torii n’oublie pas non plus ces portes de bois, ajustées comme des jeux d’enfants aux esprits d’architecte. Pas le moindre millimètre de trop, ni d’angle déséquilibré. On pourrait croire qu’ils vont jusqu’à sous-peser le moindre grain de terre pour parfaire l’intégration de ces lieux de passage sacrés.
Dans The One Hundred Torii, les joueurs et joueuses vont essayer de réunir le plus efficacement possible les différents objets qui décorent les jardins japonais. Il leur faudra aussi faire, au hasard des chemins qu’ils ou elles empruntent, des rencontres qui leur apporteront différentes aides précieuses.
C’est probablement le jeu de course le plus paisible auquel j’ai pu jouer. Sous ses airs de nous laisser errer sans penser à demain, charmés que nous sommes par son ambiance graphique et mécanique, le jeu d’Eduardo Baraf et Scott Caputo demandera de la concentration et de l’opportunisme.
Carca à Kyoto
Le jeu a pour mécanique centrale la pose de tuiles. Ces tuiles, fort joliment illustrées par Vincent Dutrait, vont permettre aux joueurs et joueuses de créer, au fur et à mesure de leur parcours, un jardin japonais fait d’un entrelacs de chemins, courts ou longs, ouverts ou fermés, agrémentés des objets et des visiteurs que l’on croise dans de nombreux espaces propres à cette culture si raffinée.
Les tuiles que vous allez poser vont vous permettre, à votre tour, de recueillir de simples traces de ce que vous y avez vu.
Ces traces, comme des souvenirs qui se créent à chacun de vos pas, sont symbolisés par des jetons représentant les différents objets décoratifs : des fontaines, des statues d’Inari, des ponts, des sekimori ishi, des tsukubai, des pots remplis d’eau au milieu desquels des fleurs de lotus s’immobilisent…
La vie c’est avant tout des rencontres
Vos rencontres avec les différents visiteurs du jardin vous permettront aussi de les accueillir dans votre mémoire, passages fugaces à l’empreinte durable. Ils ont chacun, chacune, leur spécialité et ces dernières vous seront très utiles pour profiter plus que vos adversaires de l’expérience que vous vivez : le Marchand vous offrira plus de choix, vous invitant à revoir le parcours que vous aviez envisagé, le Samuraï vous aidera à protéger un bout de chemin, pour quelque temps. Le Poète, inspiré par l’un des objets du jardin le fera disparaître à la vue de tous et toutes le temps d’un haïku. La Geisha saura vous guider dans le jardin, elle qui le parcourt si régulièrement, tandis que le Jardinier vous expliquera, si vous le dérobez à sa discrétion, comment voir la beauté qui se cache sous certaines parties du jardin…
Les principes mécaniques du jeu sont très abordables et permettront à tous les publics de profiter de l’expérience. À votre tour, il s’agira de poser une tuile, toujours de façon adjacente à une tuile posée précédemment, de manière à créer un bout de chemin entre deux objets identiques. Si, le long du chemin parcouru, vous avez le bonheur de passer sous un ou plusieurs Torii, vous bénéficierez d’avantages plus importants.
Quand vous posez votre tuile de ce tour, si deux symboles identiques sont présents le long du chemin, vous obtiendrez un jeton représentant cet objet. Lorsque lors de votre promenade vous passez sous des Torii rouges, vous obtiendrez un jeton supplémentaire de ce même objet. Si le Torii que vous traversez est bleu, vous choisirez un jeton différent de celui que vous avez déjà obtenu… Vous voyez se profiler la suite du jeu, j’imagine.
Il va vous falloir bien observer le jardin qui se dessine devant vous, toujours changeant et dynamique, car à votre tour, vous devrez non seulement trouver le chemin qui vous apportera le plus de jetons objets mais aussi prendre garde à ne pas offrir de trop belles opportunités à vos adversaires. C’est en cela que les pouvoirs proposés par les visiteurs vous seront vraiment utiles.
Attention toutefois à les inviter à vous aider au moment opportun parce qu’il vous faudra les payer, en ryo, la monnaie de votre moment de jeu, ou en jetons objets.
Le calcul des scores est lui aussi assez simple : dès que vous aurez 5 jetons d’un objet, vous gagnerez un jeton plus gros le représentant. Ce jeton vous rapporte 5 points de victoire en fin de partie. Son verso, quant à lui, vous donnera 10 points si vous parvenez à tous les voir dans le jardin.
Ces jetons sont disponibles pour chacun des objets décoratifs. Il en sera presque de même pour les visiteurs. Ces derniers vous donneront des points de victoire dès la première fois que vous ferez appel à eux, mais ces points seront plus importants si vous les appelez une deuxième fois. À la troisième fois, pour vous remercier de votre amabilité, ou de votre fidélité, vous obtiendrez des points bonus.
De la tuile oui mais de la tuile culturelle
J’ai toujours été très client des jeux de pose de tuiles, et celui-là m’a donc plu assez rapidement. Il donnera l’impression de ressembler à du déjà-vu, certes, mais le travail sur le côté culturel du jeu est vraiment à souligner. L’équipe composée des deux auteurs et de l’illustrateur s’est aussi entourée d’experts en matière de culture japonaise, et cela se ressent. Vivant moi-même depuis de nombreuses années au Japon, c’est l’un des points qui m’a le plus intéressé. Le livret propose d’ailleurs de très nombreux éclairages sur les différents objets décoratifs, ainsi que sur les personnages qui viennent compléter l’expérience de jeu.
Nous avons découvert le jeu à deux et trois joueurs. Les parties sont courtes et agréables, mais il faut vraiment être sur le qui-vive continuellement, les opportunités laissées par les autres joueurs étant vraiment capitales dans votre parcours vers la victoire. Le jeu dispose aussi d’un mode solo, qui ravira probablement ceux et celles qui aiment cette configuration. Elle semble désormais indispensable à toute campagne Kickstarter… et s’avère pour ce jeu être tout à fait opportune. N’étant personnellement pas du tout intéressé par ce type d’expérience, je me suis contenté des parties en multijoueur.
Les illustrations de Vincent Dutrait laissent transparaître toute la passion qu’il a pour cet univers si exotique. Il est évident que cette démarche a dû s’accompagner d’un travail préparatoire très important. Il ne fait aucun doute que tous les acteurs qui ont composé ce jeu se sont investis de façon très importante dans la vérification du pan culturel, un « détail » des histoires ludiques souvent laissé à l’abandon, ou enfermé dans des clichés qui évoquent toujours les films américains tournés à Paris. Voici une évocation très crédible de ce que les jardins japonais ont à offrir. Vincent Dutrait revient longuement en fin de livret de règles sur sa démarche et sa façon d’appréhender le jeu.
Bref, The One Hundred Torii est un jeu qui plaira à ceux et celles qui aiment ce type de mécaniques, mais aussi aux amateurs d’univers très fidèles incarnés dans le matériel et les illustrations qui l’accompagnent. Ouvert vers un public familial, son côté gentiment opportuniste satisfera aussi les joueurs et joueuses plus averti(e)s.
Ndlr – La campagne KS débute le 21 mai. Cela reste à confirmer et dépendra du Kickstarter naturellement, mais le jeu pourra être dispo en France, via Surfin’Meeple. (Tout comme Skulk Hollow du même éditeur Pencil First games, qui sera bientôt dispo en boutique via Surfin’ Meeple également).
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