The Gang – Poker cambrioleur
Difficile de ne pas aborder The Gang sans parler de The Crew. The Crew, c’est une belote coopérative dans laquelle on réalise des missions. The Gang, de John Cooper et feu Kory Heath, emprunte à The Crew son concept de coopération dans un jeu traditionnel, mais c’est bien tout. Désormais, c’est au poker qu’on joue. Même chemin éditorial, Kosmos puis Iello pour la France, même format. The Gang. The Crew… On passe du mauvais côté de l’éthique ?
Hold-up sur le hold’em
Dit simplement, dans The Gang, on reçoit deux cartes et on doit évaluer la force de sa main de poker vis à vis de celle des autres joueurs et joueuses présentes à la table. Puis trois cartes sont révélées en une rivière. Et maintenant, ça a changé ? Vous avez des paires, un début de couleur ? Révélez une autre carte, répétez le processus, une dernière carte, et puis voilà. Vous avez, après la quatrième manche, de la combinatoire sur sept cartes.
Seul le dernier placement (le quatrième) importe : si vous vous êtes bien triés dans l’ordre croissant des forces de main, c’est la victoire. Sinon, snif snif. Une partie se joue en trois manches gagnantes dans lesquelles on répète simplement ce processus.
Autant le dire, The Gang est désarmant de simplicité. Oui, on joue clairement avec un jeu de 52 cartes et quelques jetons de poker. Oui, on connaît déjà les règles du jeu… ou pas ?
Le poker est un monde hermétique, rude. J’ai pu essayer The Gang avec des joueurs et joueuses coutumiers du poker, vaguement. Aficionados, accros, aussi, et ignorant tout du poker, car, selon leurs dires, ce jeu était intimidant. Et je ne peux pas leur en vouloir : en effet, le poker fait partie de ces jeux traditionnels qui ont leurs mordus, et peu de portes d’entrée. Mais The Gang, en fait, est l’une de ces passerelles. Vous demandant d’évaluer votre main vis à vis de celle des autres en prenant un jeton, The Gang crée cet élément de communication. Si vous prenez le jeton deux étoiles, vous n’avez pas la pire main, vous avez sûrement de quoi faire quelque chose, mais vous n’avez pas une bonne main non plus. Il faut prendre note de cela et petit à petit trouver un langage commun. The Gang vous donne quelques armes pour mieux comprendre les rouages. C’est là où The Gang brille : il s’appuie sur une base simple, souple, pour en faire un jeu intelligible et approchable. Il met aussi les joueurs et joueuses en situation de débriefer en fin de partie : on n’a pas perdu de mise, seulement une manche. On va affiner le langage : « si tu as une paire en main de départ, c’est fort, très fort, alors n’hésite pas à prendre un gros jeton, même si c’est une paire basse. Tu affineras ensuite ! », « Là tu as le deux et le cinq de la même couleur. Ça peut sembler nul, mais tu es bien positionné pour faire une suite ou une couleur ! Ça ne vaut peut-être pas une étoile en première main. » Jouer avec à la fois des chevronnés et des néophytes du poker ne se fera pas sans frictions, car si la courbe d’apprentissage est adoucie, les effets de l’expérience sur la façon d’aborder le jeu sont réels.
Retirer la mise du poker crée également un univers plus amical, décale les enjeux à la main en cours et pas aux gains totaux, retire de nombreuses complexités du poker traditionnel (et s’assure qu’on joue vite). On pourra enchaîner les mains de The Gang avant de faire un autre jeu là où, lorsque vous jouez au poker, vous organisez une soirée expressément pour cela.
Le problème de l’ajustement
Tout le sel du jeu vient du fait que vous devez vous ajuster au cours de la manche, puisque les combinaisons changent drastiquement avec la rivière qui débarque. Ce qui était fort ne l’est plus tant, ce qui était faible peut le rester… mais à quel point ? La granularité variera en fonction du nombre de personnes à la table : si vous êtes six, passer de trois à quatre étoiles signifie souvent peu de niveau entre les mains, alors que lorsque vous êtes trois, passer de deux à trois signifie qu’on a une main BIEN meilleure. À plus, il y a plus de nuance, mais plus d’informations et plus de facilité à se placer, quand le jeu à moins est plus sec. Cela n’ampute pas au plaisir de jouer à The Gang, même si j’aurais tendance à le favoriser pour des tables de quatre ou cinq.
La transmission d’informations ne sera jamais aussi précise que dans un Ritual ou dans un The Crew, jamais aussi enivrante que dans un The Mind, mais dans un milieu satisfaisant, confortable, dans lequel toutes et tous peuvent se projeter. L’une des forces de ce titre est clairement son universalité, sa robustesse.
On notera tout de même que certaines mains, trop espacées, peuvent rendre une manche triviale, quand d’autres, trop resserrées, compriment le faisceau de déduction. Cette disparité de tensions peut ternir certaines mains, mais ce n’est pas non plus un no-go pour l’expérience ; une main est si rapide qu’on s’en accommode aisément.
Contrefaçon
Alors oui, vous allez me dire, c’est bien gentil ton truc là, mais pourquoi on paierait seize brouzoufs pour ton jeu de 52 cartes ? Et d’ores et déjà je vous dirai que si vous voulez contrefaire le jeu, rien ne vous empêche de le faire. Vous trouverez les règles en ligne, vous avez certainement un jeu de 52 cartes à la maison, ne reste que les jetons que vous pouvez bricoler sur de l’existant. Mais je vous dirai aussi que vous pouvez récompenser la brillance de l’idée, faire vivre tout un écosystème ludique.
Sauf qu’en fait, je ne vous ai pas parlé de tout The Gang. Vous pouvez choisir d’ajuster la difficulté avec des cartes supplémentaires. Donner une info en début de donne, remplacer une carte de sa main par un valet, pour ce qui est de faciliter. Pour les complications, cela ira de se priver d’information à la première main (un quart des informations volatilisées, une paille) à au fait de geler les jetons une fois sélectionnés (pas d’échange !). Ceci permet de froisser les habitudes et d’adapter l’expérience de jeu. Quiconque a trop de facilités pourra se compliquer la vie, quand d’autres choisiront de mettre The Gang à leur niveau.
Braquage réussi
The Gang a pour moi réussi son coup. Il familiarise le poker pour en lui retirant des méta enjeux, favorise une communication douce et pourtant limitée, brisée. Il est abordable grâce à des règles intuitives et un format décent. Il apporte un plaisir immédiat, des enjeux chouettes sans pour autant négliger les joueurs et joueuses moins experts. Est-ce que c’est mon jeu de l’année ? Non : malgré tous ses très nombreux atouts, cet opus rentre en concurrence avec beaucoup d’autres très bons jeux de communication limitée, et je le trouve moins intriguant, moins obsédant qu’un The Mind. Mais le fait que je me sois interrogé sur le sujet… quand bien même mon opinion n’est qu’une opinion, elle trahit la qualité de The Gang.
Je prends donc un jeton quatre étoiles pour lui… et vous ?
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