The Edict of King Budeaunia – Ça ne coule pas de source !
Le roi Budeaunia avait un jour rêvé d’une source chaude tellement stylée qu’il en ferait illico sa station balnéaire privée. Pour ça, il était prêt à lâcher son trône à celui qui découvrirait la source miraculeuse (c’est fou, les rois dans les contes de fée n’ont qu’une envie, c’est de démissionner. Ça a vraiment l’air d’être un sale boulot).
Dans ce jeu familial qui nous vient du Japon, 2 à 6 joueurs dirigent de petites équipes de prospecteurs / aventuriers creuseurs de trou. Le but : être le premier à trouver la source chaude. LES sources chaudes, devrait-on dire, puisqu’il y en a deux (deux, retenez bien, c’est important).
Il en résulte une course verticale qui durera une petite heure, où les petites mesquineries ne sont pas rares et les accidents non plus.
Prise en main – C’est beau de loin mais c’est loin d’être beau
Le matériel est plutôt simple : un petit plateau sur lequel figure six sites de fouilles et un hôpital de chantier. On a aussi quelques jetons en carton pour figurer les ouvriers, une poignée de cartes Trésors et ce qui fait la chair du jeu : une cinquantaine de tuiles figurant les différentes strates que nos vaillants chercheurs d’eau vont devoir traverser.
Les visuels du jeu, tout en manga pastel, produisent une étrange sensation d’intemporalité. Notre roi débonnaire avec couronne et barbe blanche emploie pêle-mêle des ingénieurs, de pittoresques paysans nippons, des aristos russes, des turcs en turban… Les outils modernes se mêlent aux tenues traditionnelles. On ne sait ni quand ni où se passe ce jeu au parfum de conte de fée. C’est mignon, c’est frais. Ça pourrait donner un ensemble sympa si la direction artistique était respectée. Mais certains éléments du jeu (notamment les monstres et les trésors) sont dessinés dans des styles différents (et avouons-le, moches). Du coup ça casse un peu le délire.
Quelques maladresses comme ça viennent assombrir le tableau. L’absence de rangements dans la boîte laisse les tuiles en vrac, et le couvercle ferme mal. Chaque joueur dispose au départ de deux ouvriers de sa couleur, mais les teintes pastels trop proches se confondent (ce jeton gris, c’est un ouvrier noir ou blanc ?). Il est possible d’embaucher un troisième larron de couleur neutre, indiscernable de ses collègues employés par d’autres joueurs. C’est l’origine de petits quiproquos pas bien méchants, mais qui auraient pu facilement être évités. Le tas impressionnant de pièces de monnaies fournies dans la boîte est insuffisant pour couvrir les besoins du jeu. À beaucoup de joueurs, il arrive ce moment embarrassant où la banque est vide et où il faut garder en tête combien elle nous doit.
Enfin (et ça c’est moche), le matériel n’est pas traduit. Les cartes de spécialistes et de trésors portent tous un texte en japonais, nécessitant l’usage d’une aide de jeu supplémentaire fournie aux joueurs pour décrire leurs effets. Il faut aussi donner un avertissement sur la traduction française des règles, hyper nébuleuse.
Les règles sont vites expliquées (au fond, le jeu n’est pas très complexe). Mais il y a tant de cas particuliers et d’exceptions que j’ai dû en permanence me reporter au livret ou aux aides de jeu pour savoir exactement comment résoudre une tuile.
Le jeu – « Si je soulève ce caillou, il y a quoi dessous ? »
On a donc notre plateau avec 6 sites de fouille. Chaque site est composé d’une pile de 9 tuiles réparties en trois strates : 3 tuiles de surface, 3 tuiles intermédiaires, 3 tuiles en profondeur. Les joueurs vont devoir excaver à tour de bras pour trouver les 2 sources chaudes cachées dans la strate en profondeur.
À votre tour, vous commencez par décider si vous vous payez les services d’un garde pour protéger votre chantier. Puis vous envoyez vos deux ouvriers (ou trois, si vous avez embauché un manœuvre) effectuer des actions. Cela peut-être :
- Prospecter : vous regardez secrètement les 3 premières tuiles d’une pile. Si vous tombez sur un obstacle (une dalle de pierre ou un monstre), vous pouvez le révéler aux autres et toucher deux sous de la banque. Ou vous pouvez le laisser face cachée pour que les autres joueurs tombent dessus par mégarde.
- Creuser : vous révélez la tuile du dessus d’une pile et appliquez ses effets. En général, c’est plutôt cool et vous gagnez de l’or ou des points de victoire. Des fois, c’est un obstacle ou un monstre et votre ouvrier part tout droit à l’hôpital (sécurité du travail, bonjour !)
- Combattre un monstre : vous lancez un dé. Sur un succès, vous blessez le monstre. Sur un échec, votre ouvrier est envoyé à l’hosto (Il se remplit vite, cet hôpital !). Vous pouvez envoyer quelqu’un d’autre achever la bête, ou si vous n’avez plus de volontaire un autre joueur s’en chargera pour vous. Tuer un monstre rapporte de l’or et des points de victoire, et il s’en chargera pour vous aussi. Mais hé ! fallait être meilleur.
- Faire exploser une dalle de pierre : tant qu’une dalle occuper le sommet d’une pile, personne ne peut creuser dessous. Mais pour la retirer, il faut y consacrer vos deux ouvriers à la fois (donc un tour complet). Personne ne veut s’y coller. Du coup, ça oblige tout le monde à explorer d’autres sites de fouille. Et là, ils trouvent d’autres dalles ! Seulement voilà : celui qui fait exploser une dalle récupère une quantité d’or égale au double du nombre de dalles actuellement visibles. Donc plus le jeu semble bloqué, plus il devient attractif de retirer ces fichus cailloux. C’est une manière très habile de faire zigzaguer les joueurs, ça marche tout seul.
- Recruter un spécialiste : le jeu contient quatre cartes spécialistes, des sortes de divas qu’il faut payer grassement pour utiliser pendant un tour. Chacune a une spécialité qui permet de creuser plus vite ou d’explorer plus en profondeur le contenu des piles. Après avoir rempli leur office, ces artistes ont besoin de se ressourcer pendant un tour de table, donc on ne peut pas s’en resservir tout de suite. Il y a un timing délicat à saisir où il faut faire le bon coup avant qu’un autre joueur ne vous coupe l’herbe sous le pied.
Et avec ça, on a fait le tour ! Regardez où vous allez, creusez à bon escient pour récolter les richesses du sous-sol et laissez vos adversaires se casser le bec sur les monstres et autres obstacles. Un peu de planification, un peu d’opportunisme, un peu de bluff… C’est pas bien sorcier, pas très agressif, mais ça tourne et il y a quelques subtilités sympathiques.
Les choses se gâtent sur les derniers tours. C’est dû aux conditions de victoire, vous voyez ? Si un joueur trouve les deux sources chaudes (rappelez-vous, il y en a deux), le roi lui tombe dans les bras et il gagne, là, tout de suite. Fini. Mais si elles sont trouvées par deux joueurs différents ou si on n’en trouve qu’une après avoir épuisé 5 sites de fouille, la victoire va au joueur avec le plus de points de victoires. Et enfin, si quatre sites sont épuisés sans qu’une seule source n’ait vu le jour, le roi est furax, il décapite tout le monde et c’est la défaite.
Et alors, me direz-vous ? Et bien déjà c’est compliqué comme résolution (J’exagère ? Attendez d’avoir réexpliqué ça trois fois). Mais surtout, c’est l’entrée en fanfare du kingmaking ! Vous êtes à la traîne sur tous les plans ? Vous pouvez toujours causer une défaite générale, ou vous pouvez retirer l’obstacle qui décidera si un joueur gagne avec deux sources ou si un autre gagne aux points de victoires… Ça n’arrivera pas tout le temps, tous les joueurs ne s’en rendront pas compte. Mais le kingmaking est là, tapi à la fin du jeu, prêt à mordre.
Autre scénario catastrophe : un joueur est en avance sur les points de victoire, et il trouve une source (qui lui apporte 10 points de plus, le mettant définitivement devant les autres). À ce stade, on sait qu’il a gagné. Il n’y a plus moyen de lui voler la victoire ni aux points ni aux sources, et on ne peut même plus causer de défaite générale. Ce serait très bien si le jeu s’arrêtait là, mais non. Il faut continuer (parfois pendant un moment) avant de trouver la deuxième source, et c’est une période morte ou plus personne n’espère rien.
Conclusion
« The Edict of King Budeaunia » est un conte pastoral un peu roublard, aux mécanismes aisés. Son apparente simplicité cache quelques bonnes idées. Mais les problèmes d’équilibrage et le kingmaking final un peu vaseux déplairont fortement aux joueurs confirmés. Disons-le tout net : stratèges et autres PGM, passez votre chemin ! Ce jeu n’est pas pour vous.
Il pourrait divertir un public moins exigeant, mais cela attendra que le travail d’édition soit refait. Refondez les visuels, ajoutez des pièces dans la banque, prévoyez des rangements dans la boîte et surtout, surtout, fournissez une vraie traduction au jeu. [NDLR : Ferti a prévu de publier une édition française, affaire à suivre…].
Le bon roi Budeaunia peut encore attendre sa source un moment.
Un jeu de Sayaka, Takahiro
Illustré par Iori Watanabe, Mushi
Edité par Japon Brand
Pays d’origine : Japon
Date de sortie : 2014
De 2 à 6 joueurs
A partir de 8 ans
Durée moyenne d’une partie : 45 minutes
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :
Izobretenik 15/04/2015
Très bon article que voilà. J’ai découvert le jeu un peu avant le salon d’Essen de l’année dernière. Vivant au Japon, et adorant les onsen, j’étais très intéressé par le pitch du jeu. Malheureusement, mon ressenti est très proche du tien et nous n’avons pas réussi à l’aimer. Nous avons trouvé les parties trop longues compte-tenu du véritable intérêt mécanique du jeu, les graphismes raviront les seuls fans d’animation japonaise au pastel, et globalement, le jeu mériterait d’être testé plus avant.