Terracotta Army – Majorités Impériales

En 243 av. J.-C., lorsqu’il avait treize ans, l’empereur de Chine Qin Shi Huang ordonna qu’un mausolée soit construit en son honneur. Parmi les nombreuses œuvres de sculpture et d’architecture de cette nécropole qui lui a été dédiée, les archéologues ont aussi retrouvé une armée de près de huit milles statues en terre-cuite, parmi lesquelles figurent des soldats et des chevaux. C’est de cette découverte archéologique qui remonte aux années ’70 que Przemysław Fornal et Adam Kwapiński (Nemesis, Origins : First Builders, Lords of Hellas) se sont inspirés pour créer Terracotta Army.

Dans ce jeu de gestion de ressources et de majorités pour deux à quatre joueurs, vous incarnez un sculpteur au service de l’empereur qui tente de mettre ses créations en valeur pour obtenir la reconnaissance de l’empereur – et les points de victoire qui viennent avec. Vous construirez ainsi différentes statues et tenterez de les placer stratégiquement dans la grille du mausolée pour gagner le plus de points de victoire pour remporter la partie à la fin de la cinquième manche. La ressemblance avec Xi’an de Marco Legato et Francesco Testini est flagrante, mais, contrairement à ce jeu, Terracotta Army est plus long et complexe et sa mécanique centrale d’action est une roue, et non pas de la gestion de main.

Pour éviter de faire couler de l’argile sur votre clavier, je vous conseille de regarder le Ludochrono avant de commencer à sculpter !

 

La roue tourne…

Pour jouer à Terracotta Army, on place nos meeples à tour de rôle autour d’une roue et on effectue les actions de la portion que nous avons choisie. Chaque portion se compose de trois actions indépendantes qu’on réalise grâce à trois roues distinctes. Parmi les actions principales, nous pourrons récupérer de l’argent ou de l’argile, humidifier l’argile sèche et construire des statues. Grâce à l’argent, on peut tourner la roue centrale ou la roue intermédiaire. Mais la matière première pour nos statues est bien l’argile, et il vaut mieux ne pas l’oublier.

Les deux premières roues tourneront dans deux sens opposés à chaque début de manche, ce qui permettra de renouveler les combinaisons d’actions. Néanmoins, c’est la possibilité de tourner l’une des roues qui créera le plus d’interactions et de bouleversements dans une partie. Avant de choisir son action, il suffit de payer deux pièces pour pouvoir tourner une roue d’un cran, dans le sens indiqué. D’un côté, cela permet d’ouvrir de nouvelles possibilités combinatoires aux joueurs, même si beaucoup de meeples ont été déjà posés. De l’autre côté, cela oblige vos adversaires à repenser leur stratégie.

La roue centrale tourne toujours dans le sens horaire, la deuxième roue, dans le sens anti-horaire.

 

 

Le placement des ouvriers étant en partie bloquant – on peut convertir un Apprenti en Artisan pour pouvoir se placer sur des cases déjà occupées – tourner la roue présente l’avantage de débloquer la situation pour les derniers joueurs et éviter qu’ils choisissent des actions par défaut. L’envers de cette possibilité, c’est qu’elle empêche toute planification. La stratégie qu’on avait mis du temps à bâtir peut ainsi voler en éclats. Au début, cela nous tient en haleine et nous incite à suivre les actions des autres joueurs. Finalement, c’en devient frustrant, et on finit par préférer faire autre chose en attendant son tour.

 

Poterie stratégique

Sur les côtés du rack des statues, on retrouve le nombre de points gagnés lorsqu’on construit un nouveau guerrier, ainsi que les bonus propres à chaque type de guerrier.

 

La roue tourne tellement vite qu’on peut en oublier notre objectif principal : construire et placer des statues pour remporter des majorités. En effet, ce n’est pas seulement la construction, mais aussi le placement à l’intérieur du mausolée qui rapporte des points. Pour la construction, c’est intuitif : plus on construit des statues d’un certain type de guerriers, moins on gagne de points. Pour leur placement, cela dépendra tout d’abord des tuiles de décompte, mais aussi des statues neutres et des Inspecteurs.

On peut avoir l’impression que Terracotta Army est un jeu de gestion de ressources, mais en réalité, l’aspect le plus important pour les conditions de victoire, ce sont les majorités. À chaque décompte, les joueurs gagneront quelques points de présence uniquement s’ils ont rempli la condition de la tuile. Le joueur majoritaire, en revanche, remporte la domination et un joli pactole de points supplémentaires avec elle. Il en va de même pour la colonne et la ligne des Inspecteurs, ainsi que pour les statues des Spécialistes.

 

Les deux pions rouges sur les bords de la grille sont les Inspecteurs. À chaque fin de manche, on regarde quel est le joueur majoritaire sur la ligne ou la colonne de chaque inspecteur. Le joueur majoritaire gagne sept points. Les joueurs présents gagnent trois points.

 

Cela fait beaucoup de conditions à retenir et on peut parfois avoir l’impression d’être débordé par un trop grand nombre d’informations et de critères à retenir. Il faudra ainsi les rappeler à plusieurs reprises et, bien que les pictogrammes du plateau soient assez clairs, ils ne seront pas visibles par tout le monde. À cela s’ajoutent les conditions de décompte de fin de partie et la difficulté croissante, à mesure que le plateau se remplit, à compter les soldats de chaque joueur. Il est vrai que cet aspect du jeu le rend intéressant d’un point de vue stratégique, mais les décomptes en deviennent fastidieux et compliqués à maîtriser dans leur ensemble.

 

Les derniers seront les premiers

Le placement bloquant des ouvriers pourrait laisser penser que les derniers joueurs sont désavantagés car ils ont de moins en moins de choix à mesure que la manche avance. Il existe d’ailleurs une action pour changer l’ordre du tour. En réalité, les choses ne sont pas aussi simples, car parmi les bonus conférés par les Maîtres et par la construction de statues, il en existe un qui permet d’avancer ou de reculer un inspecteur. Si le dernier joueur arrive à déplacer l’inspecteur vers une ligne ou colonne où ses statues sont majoritaires, il peut gagner jusqu’à sept points de plus que les autres à la fin de la manche.

 

Parmi les bonus instantanés qu’on peut gagner en visitant un Maître, il y a celui du Maître Inspecteur (le dernier dans la colonne de gauche) qui permet d’avancer un Inspecteur d’une ou de deux cases.

 

Le déplacement des inspecteurs fait partie des éléments qui rendent Terracotta Army particulièrement imprévisible d’un point de vue stratégique. Par exemple, vous pouvez, au cours d’une manche, beaucoup miser sur une colonne ou une ligne pour découvrir, lors du dernier tour, que cela vous rapportera beaucoup moins de points que prévus. Tout en gardant à l’esprit les nombreuses informations relatives aux décomptes de fin de manche et de fin de partie, vous devrez ainsi être capable de vous adapter à mesure que la roue tourne et que les inspecteurs sont déplacés.

Ces retournements de situation rendent les parties haletantes car, en dépit de la répétition des actions nécessaires à la construction des statues, la situation sur le plateau ne cesse de changer et on ne peut, pour ainsi dire, jamais être tranquille. Toutefois, le caractère imprévisible de Terracotta Army m’a gêné, dans la mesure où il m’a forcé à repenser la stratégie que j’avais élaborée durant les temps morts – et il y en a quand même un peu ! De plus, on finit par s’impatienter quand on a cherché à construire une majorité pour un Inspecteur durant plusieurs tours et que, par un coup de Trafalgar, le dernier joueur anéantit tous ces efforts.

 

Peut-on sculpter sans patauger ?

Vous l’aurez compris, les informations à retenir durant vos premières parties de Terracotta Army seront nombreuses et concernent principalement les différents décomptes des majorités (tuiles, inspecteurs, statues des spécialistes…) et les bonus des statues de votre couleur et des Maîtres. C’est pourquoi il s’agit clairement d’un jeu pour « experts ». Ces critères permettent d’un côté l’élaboration de différentes stratégies bien que, de l’autre côté, les choix des autres joueurs rendent le jeu difficilement prévisible et maîtrisable.

Derrière l’apparence monumentale des sculptures de Terracotta Army, se cachent en effet des artisans fourbes qui essayeront de profiter de chaque occasion pour remporter une majorité voire pour casser des stratégies. C’est donc un jeu dans lequel, en même temps qu’on se développe et qu’on réfléchit au placement de nos guerriers sur une grille, il ne faut pas perdre de vue les majorités décomptées tour après tour et à la fin de la partie.

 

 

Si le plateau central peut paraître un peu terne, le mausolée de l’empereur et ses statues en argile (plastique) sont d’un bel effet, surtout en fin de partie. Cela permet de s’imaginer davantage dans le thème et de mettre un peu de côté les calculs nécessaires à tirer son épingle du jeu. Au sujet de l’ergonomie, si le récapitulatif à la fin du livret est utile, une aide de jeu rappelant les critères des décomptes, les bonus de chaque statue et des maîtres l’aurait été encore plus – on revient, en effet, de temps en temps, au livret de règles.

Je vous déconseille d’y jouer à deux car, le nombre d’ouvriers augmentant, les parties finissent par devenir longues et répétitives. À partir de trois joueurs, il y moins de meeple et suffisamment d’interaction pour que l’intérêt du jeu puisse être perçu. À quatre joueurs, c’est plus chaotique et imprévisible, mais c’est à mon avis ce que recherchait l’auteur avec les mécaniques de déplacement des inspecteurs et de tours de roue.

Terracotta Army pourra plaire à celles et ceux d’entre vous qui aiment élaborer des stratégies fluctuantes et volatiles et ne s’impatienteront pas de devoir les modifier ou les repenser complètement. De mon côté, bien que j’aie apprécié la tension de ces interactions, j’ai du mal avec la double exigence du jeu, consistant, d’un côté, à prendre en compte tous les calculs des majorités pour marquer le plus de points, et, de l’autre côté, à ne pas pouvoir élaborer une stratégie stable pour y arriver et, encore moins, anticiper entre deux tours.

À moins de vouloir suivre les changements résultants de chaque action, les temps morts peuvent devenir longs lorsque beaucoup de choses changent sur le plateau. J’y rejouerais peut-être à trois, mais j’éviterais des parties à deux – trop répétitives – ou à quatre joueurs – trop longues et imprévisibles pour un eurogame.

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2 Commentaires

  1. Umberling 20/02/2023
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    J’ai détesté. Pas le principe du jeu, ça c’était plutôt cool et dans un mélange classique-original juste pas déroutant. Par contre, c’est dans l’exécution que ça pèche : les tours sont looooongs ! On dirait que les auteurs et les développeurs n’ont pas pensé aux joueurs, en fait.

  2. El Duderiño 21/02/2023
    Répondre

    Les tours sont longs, en particulier quand on joue à deux parce qu’ils deviennent répétitifs et qu’ils finiront par beaucoup se ressembler, manche après manche. Mais c’est vrai aussi que, à trois ou quatre joueurs, on ne peut que patienter car les rotations de roue changent beaucoup la situation sur le plateau. Ce n’est pas un mauvais jeu pour autant, ni un jeu inintéressant, mais, au niveau de la fluidité de jeu, plus d’efforts auraient pu être faits.

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