San Juan seconde édition : l’occasion d’une réévaluation
La massification et la diversification continue de l’offre ludique pourrait donner à penser que plus aucun jeu de qualité, désormais, n’échappe à la traduction et à la distribution. Le moindre jeu japonais, russe, tchèque, allemand qui soulève un peu d’échos est très rapidement suivi de l’annonce d’un éditeur qui va le rendre disponible chez nous.
Pourtant, depuis quelque temps, je suis personnellement surtout frappé par les « on ne le fera pas à priori ». La refonte et la suite de Dominion, l’extension de Port Royal, celle de Targi et, donc, cette seconde édition de San Juan. Loin de provoquer chez moi une frustration, cela réveille plutôt un pur réflexe de snobisme : retrouver ce temps que je n’ai pas vraiment connu, quand il fallait se débrouiller pour trouver une boîte, coller des pastilles, traduire les règles et, surtout, tenter de faire connaître le truc autour de soi. Un peu comme ce qu’on voit dans certains films SF : quand la société devient trop confortable, les gens vont s’amuser avec des stages de survie en milieu hostile.
« San Juan (officiellement en espagnol : « Municipio Autónomo de San Juan Bautista », et également connue sous le nom de la « Cité fortifiée ») est la capitale de Porto Rico, territoire non incorporé des États-Unis » nous dit le site encyclopédique. Un petit Porto Rico, une réduction, un lieu essentiel aussi. C’est ce titre qui a été choisi par Andreas Seyfarth en 2004 pour faire suite à son grand succès de 2002 : Puerto Rico. À distance, maintenant que les nouvelles éditions du jeu de plateau ont incorporé des illustrations, l’écart n’apparaît plus trop, mais à l’époque le design graphique était beaucoup plus agréable.
Les bâtiments originels de Puerto Rico et San Juan
Le jeu de cartes reprenait outre le thème, le moteur de son aîné : sélection de rôles, tout le monde fait l’action choisie et celui qui l’a déclenché à un bonus, construction de bâtiments, bâtiments plus chers qui favorisent le développement, etc. Il le dépouillait aussi des colons, marchandises, etc, pour tout régler ou presque avec les cartes. Celles-ci deviennent successivement de la monnaie, des marchandises, des projets de construction. Tout cela parait assez commun, maintenant, mais à l’époque ce fut assez marquant.
San Juan est un jeu rapide, facile d’accès, reposant sur des principes amusants. La version pour deux joueurs est plutôt réussie et aucune configuration n’est vraiment faible. Bien sûr, tout cela reste moins profond que le jeu de plateau, mais ce n’était ni vraiment destiné au même public, ni aux mêmes contextes. San Juan est très bon pour démocratiser notre hobby.
Obsolescence non programmée
Depuis, la sortie de Race For The Galaxy (RFTG), en 2007, a changé la donne. En prenant les mêmes principes, mais en les étendant (plus de rôles, plus de phases, plus de cartes, plus d’effets secondaires), le jeu de Tom Lehmann a fait plus que souligner les limites stratégiques du jeu de Andreas Seyfarth. On se sentait à l’étroit avec les stratégies « Guilde » ou « Hotel de Ville », déjà moins riches que le jeu de plateau.
Au petit jeu de « quelle boîte a rendu obsolète telle autre », l’écrasement de San Juan par RFTG est très souvent cité. Et Race n’est pas le seul : La Gloire de Rome par exemple, Innovation ont amené des choses bien plus fun.
Le cadeau d’anniversaire
On aurait pu en rester là. Cependant, une réplique est apparue en 2009, à l’occasion de son dixième anniversaire, l’éditeur Alea avait sorti un « coffre aux trésor« , inaugurant la vague des boîtes d’extensions. Celle-ci était vraiment remarquable de qualité et fut très recherchée. Les auteurs Andreas Pelikan, Andreas Seyfarth, Rüdiger Dorn et Stefan Feld avaient travaillé sur des extensions pour plusieurs jeux, Puerto Rico, Notre Dame, Les Princes de Florence… ou encore San Juan.
Non traduite en français, rapidement épuisée puis proposée à des prix prohibitifs, elle a échappé à pas mal de monde. San Juan bénéficiait de 6 cartes Evènement et 33 Bâtiment et une nouvelle tuile, la Cathédrale. Ces aménagements majeurs amenaient un tout autre regard sur le jeu. De nouveaux bâtiments aux effets marquants (la Banque où il est possible de cacher de l’argent, le Parc sur lequel on peut construire), et surtout deux nouvelles cartes à six points qui donnent des stratégies complémentaires (groupes de cartes de la même valeur par exemple). À 3 ou 4, les évènements (une fois piochés, ils sont posés à coté des rôles et peuvent être joués à la place) et surtout la Cathédrale (points marqués en fonction des Bâtiments à 6 points adverses) changeaient une donne routinière. Etrangement, alors que l’extension de Puerto Rico aurait pu être plus attendue, c’est celle-ci qui fut la plus marquante et qui complétait le mieux le jeu de base.
San Juan seconde édition
En 2014, et cela est passé globalement inaperçu chez nous, Alea et Rio Grande Games ont produit une seconde édition du jeu. En premier lieu, ce qui saute aux yeux est la refonte graphique de la boîte, qui est mise en accord avec le style de la seconde édition de Puerto Rico. Cette version qui n’a semble-t-il pas dépassé les frontières de l’Allemagne, est un mélange heureux : éléments graphiques de la limited anniversary edition, éléments contenus dans le Treasure Chest et dans une extension.
Look de la nouvelle version dont on peut avoir également un aperçu sur Boardgame Arena :
… et les nouveaux bâtiments de San Juan :
Ajustements mécaniques
Les coût et les points apparaissent plus clairement, le dessin est mieux inséré dans la carte, les teintes sont plus franches… Techniquement, c’est un vrai progrès, mais comment dire, je ne m’y fait pas pour l’instant. Les cartes semblent un peu chargées et disgracieuses pour qui a connu la simplicité de la première boîte. Sans doute est-ce là une une affaire d’habitude, et en tout cas cette version plus moderne sera plus en capacité de séduire un public large.
Dans sa grande majorité, la seconde édition de San Juan va reprendre et rendre disponible les avancées contenues dans l’extension. Les bâtiments sont conservés à l’identique, les évènements oubliés au passage, mais l’essentiel est là. C’est-à-dire que la pratique est vraiment densifiée et diversifiée.
De plus, le coût de certains bâtiments a été revisité :
- La mine d’Or (on pioche quatre garde et on en garde une si leur coût est différent) ne permet que de garder la carte la plus faible (un 3 au maximum, si 3 / 4 / 5 / 6, mais ce n’est pas le cas statistique le plus fréquent vu la répartition des cartes.)
- La librairie (garder une carte de plus dans la phase de conseiller) voit son coût augmenter
- La banque (de l’extension) baisser de 4 à 3
- La Guilde est affaiblie : 1 PV par bâtiment de production et 1 PV par type de bâtiment différent.
Il faut agir sur des points du jeu qui avaient été repérés par les pratiquants comme un peu… systématiques. Il s’agit de redonner du choix, des alternatives. Etrangement, la Bibliothèque (double le privilège) n’est pas modifiée au passage .
Enfin, un nouveau bâtiment est ajouté en trois exemplaire, The Hut (La Cabane ?). « Coût 1, PV 1. Effet : gagner une carte si aucune marchandise n’a été produite ce tour ».
Alors, en pratique?
Il faut un peu de temps pour intégrer les nouveaux changements. Ceux qui avaient pratiqué l’extension ne seront concernés que par les ajustements et par la Cabane. Ce dernier cas est vite réglé : la carte est assez neutre, car la plupart de ses homologues ont des effets plus intéressants, susceptibles de se déclencher plus souvent et plus rémunérateur. De la petite monnaie. Du petit bois de construction. La Guilde se joue autrement, de manière moins bourrine. La mine d’or est un bon changement. De manière globale, ce qui ressort est que les habitudes sont bousculées, les parties plus différentes. Le regard sur le jeu change complètement.
Tout le monde n’était pas fan des cartes Evènement, dont la brutalité dérangeait le cours d’une partie se déroulant d’ordinaire dans une interaction assez feutrée. Une course où le plus embêtant qu’on pouvait faire à l’autre était de lui prendre un bâtiment. Esthétiquement, mécaniquement, c’était un peu grossier, mal inséré, contrairement aux bâtiments se fondaient parfaitement dans la masse. les éditeurs ont donc enlevé là la part la plus discutable de l’extension, ce qui fait que cette perte, sans être insiggnifiante, n’est pas la plus dommageable.
Pour autant, on ne va pas crier au génie. En matière de jeu de cartes, il y a, disponible en français, des jeux contemporains au moins aussi bons. Race, Dominion, Innivation, etc. Néanmoins, il tient encore son rang. Il a cette évidence et cette simplicité des jeux de l’époque qui le rend vraiment agréable.
Donc, à moins qu’une occasion se présente, inutile de courir. Mais s’il est dans les parages, donnez lui sa chance. Le jeu est meilleur que ce qu’on peut en dire. Surtout dans cette édition révisée. Il est à noter d’ailleurs, qu’à la suite de ce travail de refonte et d’approfondissement, Alea ait entreprit de revivifier ses classiques : en 2017, ce sont L’année du Dragon et Notre Dame, tous deux de Stephan Feld qui ressortiront agrémentés des extensions de la décidément inépuisable boîte Treasure Chest.
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Djinn42 27/01/2017
Race for the Galaxy ? Quelqu’un a parlé de Race for the Galaxy ?
Grovast 27/01/2017
Comme tu le dis, il est étrange que la Bibliothèque n’ait pas été ajustée au passage. Elle est surpuissante, et manière particulièrement évidente à deux joueurs (puisque c’est plus souvent ton tour…).
Ça me donne presque envie de racheter le jeu, car, autre atout qui peut être mis en avant, c’est un excellent jeu de voyage, qui s’emporte dans une boite à deck (enfin la première édition ça tient) et jouable sur une tablette de TGV par exemple (testé-approuvé par votre serviteur).
motlockbob 28/01/2017
tres agreable de se replonger pendant un moment dans San Juan. Merci.