Rocketmen – des fusées et des hommes
Martin Wallace est un auteur qui se défend. Il a ses hauts, ses bas ; de son chef d’œuvre, Brass, à ses essais de jeux narratifs ou plus familiaux, comme Hit Z Road ou Via Nebula, il y a toujours quelque chose à tirer de sa production, même dans les jeux qui semblent plus faibles.
Rocketmen est son dernier opus en date, à mi chemin entre la course, la gestion, et le deckbuilding.
Le scénario de Rocketmen nous met dans la peau de constructeurs de fusées à la conquête de l’espace dans un futur pas si lointain. L’humanité veut conquérir la Lune, puis Mars… Ad astra !
Fly me to the moon
Le but de Rocketmen est simple : gagner des points. Pas en salade de points avec des scores fleurant les 350 points de victoire : ici, la victoire se décide plutôt en 25 points. Ceux-ci sont acquis en réussissant des expéditions. En effet, placer des satellites en orbite, construire des stations spatiales ou établir des colonies est bien le but à atteindre. Non seulement ces objectifs font grimper sur la piste de points de victoire, mais ils contribuent à créer un semblant de moteur économique, débloquant de nouvelles options à chaque fois. Un peu de revenu par-ci, du carburant pour fusée par-là, des cartes en main supplémentaires : de quoi donner envie d’optimiser.
Comment lancer une expédition ? Eh bien, en la préparant : vous indiquez votre ordre de mission grâce à une des cartes de base de votre paquet, et vous préparez vos moteurs. Grâce à des cartes Moteur. Mais attention, il faudra aller assez loin pour parvenir à votre but : pas si facile d’y parvenir ! Avec quelques symboles bonus et un peu de stop ou encore vous permettant d’attraper les cases qui vous séparent de votre objectif, vous avez la possibilité d’aller plus loin… ou du moins d’espérer. Si vous vous arrêtez trop tard, vous perdez des cartes et devrez recommencer un peu de préparation… Et si vous atteignez votre objectif ou le dépassez, la mission est tout simplement retirée de votre paquet. Vous gagnez un petit bonus permanent, et des points de victoire (avec des bonus si vous êtes le premier à accomplir cet objectif, et un autre bonus si vous atteignez un astre en premier).
Lors de son tour, on a la possibilité d’acheter des cartes avec des sous (présents sur les cartes de votre main, poncif du deckbuilding !), mais vous pouvez utiliser votre argent pour placer une carte Mission et des cartes sur votre plateforme de lancement. Ces cartes, préparant l’expédition, sortent de votre jeu temporairement, laissant la place à d’autres et à des synergies souvent plus agressives : très intéressant ! Bien entendu, de nombreuses cartes ont des effets conditionnels.
À la fin de votre tour, vous pouvez lancer une mission. Alors vous comptabilisez la distance parcourue et retournez une carte du paquet de stop ou encore, allant de 0 à +4. Ces étapes suivantes vous permettent d’avancer un peu plus sur la piste tout en vous donnant du grain ludique à moudre : devez-vous tenter de continuer, ou abandonner votre entreprise ? Plus tard vous abandonnez, plus vous perdez de cartes de votre piste de lancement. Voire tout, si vous foirez dans les grandes largeurs. Bien entendu, la proportion des cartes est connue de tous et réinitialisée au début de chaque mission !
Le bon
Il y a beaucoup à dire sur les qualités de Rocketmen. Le jeu permet de mettre des cartes de côté en les mettant en zone de préparation, et permet d’affiner ainsi son paquet. Cela oblige à réfléchir au timing de jeu… mais ce n’est pas tout. Son système de jeu permet d’écarter les expéditions réussies, amaigrissant votre paquet de départ de ses cartes les moins intéressantes (quoique, certaines…). Les joueurs doivent faire des choix de mission en fonction de leur objectif privé, mais aussi des circonstances. Indéniablement, il y a une ouverture qui laisse les joueurs expérimenter des façons de faire.
Mais pas que : on doit gérer des à-coups. La préparation nous permet d’avoir un paquet efficace, de faire des tours d’achat sympa, et dès qu’on lance sa fusée, c’est un retour en arrière question construction de deck. Mais entre les bonus et les achats, c’est un peu “quatre pas en avant, deux en arrière”, et le fait que le jeu soit une course incite à bien estimer quand il sera le mieux de se lancer. La précipitation, dans Rocketmen, tourne souvent court !
Il y a aussi les cartes, proposant des effets souvent intéressants, en rivière figée. Mais… dans cette rivière, il y a des catastrophes qui, elles, donnent des points mais doivent être achetées à des prix prohibitifs ; il ne faut pas croire que l’état de la Terre n’a pas d’incidence sur la course à l’espace !
La satisfaction de s’améliorer, de fabriquer ses forces, fonctionne à merveille, un peu comme dans Scythe, puisqu’ici on débloque des bonus systémiques en plus de ses bonus de base. Il y a une grande différence entre les tours du début et de la fin, rendant l’expérience de croissance très plaisante.
MAIS POURQUOI ?
Il y a un éléphant au milieu du magasin de porcelaine. Ses traces de pas dans les plaquettes de beurre du frigo. C’est ce stop ou encore délétère pour savoir si on réussit ou pas notre mission. Parce que le stop ou encore peut vous être vraiment favorable… ou juste vous écrasez le nez dans la boue, sans qu’on le mérite. Nous avons vu des expéditions échouer 4, 5 fois alors que d’autres réussissaient du premier coup, pour la même préparation. Dans un jeu de gestion, il est difficile de justifier l’importance de ce hasard. Certes, des cartes sont là pour mitiger les échecs, mais la réussite ou non d’une expédition peut sembler tout à fait injuste.
Pourquoi un design aussi brillant, avec autant de bonnes idées sur le contrôle de son paquet, de son tempo, de son moteur de jeu, doit-il avoir cette part de hasard qui valide les objectifs même du jeu ? Je me suis posé longtemps la question, et suis parvenu à la conclusion qu’il s’agit d’une façon de maintenir l’intérêt des joueurs et de créer des points d’incertitude dans la partie, sans quoi le jeu paraîtrait trop calculatoire, trop solitaire ; une course en parallèle des autres joueurs. Ici, chaque expédition parvient à créer un événement. Mais ceci se fait au prix d’une profonde déception; Rocketmen exige de ses joueurs une profonde maîtrise, un certain désir d’efficience (l’objectif de course aidant), mais rend toutes leurs compétences sujettes à l’aléa, réduisant à néant leurs efforts, ou peu s’en faut. Cette frustration profonde a été partagée autour de ma table de jeu, mais aussi avec d’autres membres de l’équipe.
Vous l’aurez compris, si Rocketmen tire son épingle du jeu au département des concepts intéressants, je crains fort qu’il ne rejoigne pas le panthéon personnel de Martin Wallace. Son deckbuilding assez exigeant propose des solutions très élégantes pour manipuler son paquet, et des concepts plutôt funs à mettre en place… mais le pétard est mouillé.
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Olivier Sanguy 29/11/2021
Zut, mon précédent commentaire n’est pas passé. Je résume. Je trouve personnellement, sans remettre en cause votre approche, que ce titre est très thématique, probablement influencé par le fait que je suis journaliste spécialisé dans le spatial. Wallace a en effet (il me l’a confirmé, car je l’ai interrogé sur ce jeu) implanté non pas un simple « stop ou encore », mais une véritable mécanique de gestion du risque grâce à la faculté de préparer sa mission en mettant de côté les cartes. On retrouve alors cette idée de course que se livrent actuellement les compagnies privées dites du New Space qui, en fonction de leur stratégie et objectifs, prennent plus ou moins de risques assumés afin d’aller plus vite que la concurrence. Wallace m’a aussi dit qu’un jeu sur le spatial qui n’intègre pas l’échec passe à côté du thème et je suis d’accord. La moitié des missions vers Mars ont été des échecs, certes avec une grosse majorité pour les premières tentatives, mais n’oublions pas que l’Europe a malheureusement échoué à deux reprises dans sa volonté de se poser sur la planète rouge (Beagle 2 et Schiaparelli, on croise les doigts pour ExoMars 2022). En plus, on peut mettre dans son centre de lancement des cartes inutiles ou peu utiles afin de les sacrifier en cas d’échec très probable lors de la pioche (si on sait s’arrêter à temps) et ainsi repartir relativement vite. Ceci me fait penser à la logique de certains programmes où on envoie deux sondes identiques: les deux Viking de la NASA pour leur premier atterrissage martien par exemple, ou l’habitude de la Chine de construire en double certaines sondes importantes (notamment lunaires) afin de relancer rapidement (avec les correctifs qui s’imposent bien sûr) leur logique d’exploration.
Umberling 12/12/2021
Merci pour le commentaire ! (et désolé, le site a tendance à les manger.)
Je ne critique pas la thématisation, que pour le coup je trouve très réussie, mais plutôt le design de l’expérience ludique elle-même. Si l’on me demandait d’être évalué différemment, ou si le système n’était pas si fin et exigeant à la fois, ou si le jeu n’était pas une course aussi raide, je crois que cela ne me dérangerait pas autant qu’ici. Si la frustration et l’échec font partie de tous les jeux, ici, ce que promeut le jeu, c’est l’efficacité et la bonne planification, qui est juste réduite à néant par l’aléa. En soi, je crois que j’aurais préféré un jeu coop dans lequel nous œuvrons tous ensemble à la course à l’espace.
TheGoodTheBadAndTheMeeple 29/11/2021
C’est assez curieux, mais j’ai trouve le stop ou encore facile a controler avc les cartes et acceptable malgre le hasard.
Aucontraire, j’ai hai (litteralement) le game changer que propose la pige au hasard des cartes intrigues de DUNE: Imperium (ca donne la game, ni plus ni moins a mes yeux)
Les gouts et les couleurs.
Olivier Sanguy 29/11/2021
Je suis d’accord, grâce aux cartes mises de côté, c’est en fait une mécanique efficace de gestion du risque. Ce qui est très raccord avec la thématique spatiale d’ailleurs.
fouilloux 03/12/2021
même avis sur imperium!
Francois 02/12/2021
Je suis d’accord avec les commentaires précédent : la réponse à cette question est l’adéquation avec le thème, qui induit inévitablement la présence des aléas. Tout le sel du jeu est de les anticiper : une carte trajectoire fait avancer en moyenne de 1,83 cases, donc en fonction du nombre de cartes que nous fera tirer la mission que l’on veut tenter, il est possible de calculer les risques que l’on prend. Exemple : il y a 10 cases à parcourir pour atteindre la Lune et ma carte mission me dit que je vais devoir tirer 5 cartes trajectoires, je vais alors avancer en moyenne de 9,2 cases. Mes chances de succès sont donc faibles puisque même la moyenne ne me permet pas d’atteindre ma destination. Je vais donc placer X cartes « matériaux composites » dans ma zone de lancement pour démarrer avec X cases d’avances avant le tirage des cartes trajectoires. Le X dépendant du degré de risque que je suis prêt à accepter. Si je choisi 2, je dois alors parcourir 8 cases avec 5 cartes. 8 cases et une moyenne de 9,2, c’est déjà beaucoup moins risqué.