Ritual – Un peu d’ibu-profane ?

Une boîte verte qui ne fait pas penser aux inénarrables thèmes nature des dernières années. Et, autour, des gens qui s’affairent. Je ne comprends pas ce qu’ils font et quand je leur demande ce qu’ils font, ils vous répondent “après, tu ne vois pas qu’on joue”. Bon, après observation le jeu me demeure hermétique. Il faut dire il est tard dans la nuit, pas loin de l’heure des sorcières. Puis, grand soulagement et débat autour de la table. Je ne comprends toujours rien.

Ce jeu, c’était Ritual. Mais désormais, j’ai compris. Alors je vais vous faire profiter d’un peu de connaissance. Histoire que vous ne soyez pas, comme moi, largués si jamais vous rencontrez cet OLNI créé et auto-édité par Tomas Tarragon, puis repris par la maison d’édition allemande Strohmann Games.

Note : le jeu n’est pas encore disponible en français.

 

Première règle du rituel : on ne parle pas pendant le rituel

Déjà c’est un jeu coopératif à communication restreinte : on est des gens qui font des rituels sans parler en réalisant des objectifs sur des cartes secrètes et un plateau central. Et chaque joueur a devant lui un tapis (une carte vide), quatre gemmes de couleur aléatoire et un objectif : une inspiration. On la consulte et là, stupeur, on s’aperçoit qu’il faut au moins 5 gemmes pour la résoudre. Par exemple, 5 gemmes vertes. Quand moi j’ai deux jaune, une violette et une rouge devant moi au tirage de départ. Bon, bien embarquée, l’affaire. L’économie est fermée : il n’y aura jamais plus de gemmes autour de la table ni moins d’ailleurs, malgré une réserve centrale abondante. Et si chacun doit résoudre son Inspiration, c’est bien qu’il va falloir s’échanger les pierres… Le problème est tout à fait le comment.

Ce dont vous disposez en début de partie : un tapis et quatre gemmes.

 

À son tour, on effectue une et une seule action avant de donner le pion de joueur actif à son voisin. Tout d’abord, on peut… passer. Et il s’avère que passer, c’est une bonne chose : cela permet de donner une indication forte sur le fait qu’on n’a pas d’indice sur les choses à faire, ou que la situation ne nous permet pas de faire d’action qui avancerait vers la résolution d’une inspiration ou d’un rituel. D’ailleurs un pion de joueur actif passe de façon… rituelle… entre les joueurs. On peut aussi donner une de ses pierres à n’importe quel autre joueur. Et tout le monde vous en saura gré. On peut également prendre une pierre au joueur à notre gauche, seulement s’il en a trois ou plus, tout ceci dans le but de ne pas le bloquer. Jusque-là, tout va bien, mais il y a le tapis. Le tapis, c’est cette petite carte devant nous, et pour une action, on pourra y placer une pierre ou en reprendre une. À quoi cela sert-il ? Eh bien figurez-vous que les pierres sur votre tapis peuvent être échangées. Vous pouvez échanger une pierre de n’importe quel tapis ne vous appartenant pas contre une pierre de la réserve. Car oui, si votre inspiration est d’obtenir cinq pierres jaunes et qu’il n’y en a qu’une autour de la table, hasard de la distribution, eh bien il va falloir travailler. Par incréments. En vous faisant comprendre, petit à petit, en plaçant des pierres sur votre tapis jusqu’à avoir la pierre requise (disons la jaune). Et alors vous passez votre tour entier à juste récupérer cette pierre. Le signe est lancé : il faut vous aider à accomplir votre inspiration, et on sait comment.

Six rituels peuvent apparaître : ici, que chacun ait une et une seule gemme verte, qu’un joueur ait trois gemmes vertes ou plus… facile, peut-être, mais il s’agit du tout premier rituel.

 

Tirer la couverture à soi

Ritual parle quelque part d’écoute. Il est important de sentir quand s’imposer pour la réalisation de son inspiration, ou de sentir ce que veut effectuer le joueur qui possède le rituel. Bref, il faut sentir la tension de cette couverture invisible pour la tirer à soi quand cela importe. Il faut faire attention à la relâcher, à donner ses pierres, dès que c’est possible, car l’économie des actions est importante pour réussir dans les temps. C’est justement ce qui est difficile dans le jeu : optimiser notre temps pour parvenir à accomplir rituels et inspirations tout en ne communiquant pas.

Autre défi : essayer de comprendre malgré le bruit extérieur. Et je ne parle pas de l’atmosphère sonore autour de la partie, mais on va tenter d’imaginer ce que veut untel ou unetelle, mais attention, toujours par élimination, sans parler. Difficile alors d’ignorer certains signaux parasites, de penser à tout, d’oublier les inspirations de la partie précédente, de se remémorer exactement les messages envoyés par chacun ou les combinaisons essayées pour telle ou telle personne autour de la table.

Comme je le disais un peu plus haut, passer votre tour peut être un message plus que pertinent : à la fois vous dites que vous n’avez pas les moyens de débloquer une situation donnée, ou que celle-ci vous convient.

 

Rituels

Et lorsque vous avez accompli votre inspiration, vous attendez que le tour revienne à vous. Dernière action qu’il est possible de réaliser : révéler une inspiration ou un rituel effectué pour indiquer qu’il est terminé. Souvent, cela signifie aussi un changement de paradigme : il faut se concentrer sur les problématiques de quelqu’un d’autre, être à l’écoute d’un autre langage.

Une fois que suffisamment d’Inspirations sont réalisées, c’est au tour des rituels de rentrer en scène. Alors vous devez identifier le rituel à accomplir parmi six. À la deuxième manche sur les trois d’une partie, deux parmi cinq, puis à la dernière, trois (les trois restants). Une fois que vous avez fini ces rituels, la partie est remplie, remportée. Vous pouvez passer au niveau suivant. Les niveaux proposent des rituels à la difficulté croissante mais n’altèrent pas vraiment la structure du jeu.

Autre façon de corser la difficulté : l’appli. L’application est juste un timer avec une ambiance, mais signifie aussi via la bande son quand il ne reste plus beaucoup de temps, et cache délibérément un certain nombre d’informations (typiquement, donne une estimation visuelle et fluctuante du temps restant et non pas une donnée précise). Trois fois dans la partie, on pourra consulter combien de minutes et secondes il nous reste. Des modes de difficultés sont aussi là pour réduire la ressource temps… mais à vos risques et périls.

Flow

Il émane d’une partie de Ritual une sorte de concentration hyperspécialisée, une hypnotique union dans le silence. Ensemble, on crée un espace invisible que nous sommes les seuls à maîtriser. D’où cette sensation d’étrangeté que vous pouvez avoir en observant une table ; un peu la même que vous pourriez avoir en regardant une table de The Mind sur-réagir à la révélation d’un numéro trente-huit.

Sauf que là, il y a les gestes. Les échanges, les permutations, les dons qui fusent, et qui font qu’on ne comprend pas du tout si l’on ne fait qu’observer ; ce sentiment qu’un lien est tissé entre les participants au rituel, qui obéissent à des commandements étranges.

En jouant à Ritual, il y a deux choses qui peuvent nous arriver : tout d’abord la déconnexion et la confusion. On peut tout à fait passer à côté du jeu parce qu’on ne parvient pas à communiquer ou à recevoir les messages, parce qu’on est trop confus, parce qu’on n’a pas encore acquis le rythme. Tout ceci peut vous faire décrocher de Ritual ou ne pas vous faire adhérer au concept, et je serais bien en mal de vous donner tort : ce jeu n’est pas fait pour tout le monde. 

Mais pour peu que l’on accroche (et/ou s’accroche !), on se retrouvera dans un état de flow, cet état un peu second dans lequel on ne voit pas le temps passer, dans lequel l’esprit survole de façon précise, celui qui vous fait avoir des éclairs de génie en faisant la vaisselle ou qui élargit votre perception. Quelque part, un jeu qui produit cet effet, c’est déjà pour moi une réussite, alors que les missions sont triviales, alors que les limites sont arbitraires… mais tout est réussi.

Atypique, Ritual joue sur les plates-bandes de The Mind et de peu d’autres jeux. Bourré de bonnes idées, il vous met dans des conditions vraiment différentes mais il pourra aussi laisser sur le carreau car il ne fait que peu de concessions. Vous étiez profanes, vous êtes maintenant affûtés et prêts à vous livrer à des cérémonies étranges… si le cœur vous en dit ! En tout cas, je comprends tout à fait que le jury du Spiel des Jahres l’ait salué et l’ait placé dans sa liste de recommandations.

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