Rencontre avec Tolkraft, auteur et éditeur de Dendrobat productions
Dendrobat Prod est une toute jeune maison d’édition. Nous avons pu échanger avec Tolkraft, son créateur, autour de son projet Licorne d’Abondance, qui est actuellement en campagne de financement participatif sur GameOnTableTop. Nous vous présentons le fruit de nos échanges sur le parcours de cet éditeur passionné et sur ce premier – et prometteur – projet.
Tolkraft a gagné de nombreux prix pour ses créations antérieures.
Bonjour Tolkraft, faisons connaissance !
Bonjour. Je m’appelle Jean-Marc Choserot, et j’utilise le même pseudo — Tolkraft — depuis plus de 30 ans. J’en ai actuellement 44, et je travaille dans l’industrie chimique, au sud de Lyon, ville dans laquelle je réside depuis un peu plus de 10 ans.

Tolkraft (enfin son avatar)
Plutôt Maître du Jeu ou Personnage Joueur ?
Je suis un MJ de cœur, même si au final, il m’arrive assez souvent d’être joueur. Pourquoi cette préférence ? Sans doute qu’au fond de moi j’aime faire vivre des histoires, faire explorer des univers et faire ressentir des émotions à toute une tablée. Je pense que cela assouvit mon côté démiurge, moi qui n’aie pas le « feu sacré » de l’écriture de nouvelles ou de romans et qui suis aphatasique (je n’ai pas la capacité de former ni de voir d’images mentales), et donc infoutu de dessiner.
Quel jeu t’a amené au JDR ?
En tant que PJ ce fut Cyberpunk 2020 à 13-14 ans en colonie de vacances. Un ado un peu plus âgé propose une partie et j’ai hâte d’essayer. On met une bonne heure à créer nos personnages, à choisir sur de longues listes armes et améliorations cybernétiques… Et on commence à jouer. 15 minutes pour moi. Le temps que la poisse et la première balle ennemie du premier combat de la mission ne vienne faucher net mon personnage.
« Je fais quoi maintenant ? Tu regardes les autres jouer » me répond le MJ.
Cette première expérience du JdR fut un vrai désastre, mais j’ai immédiatement accroché au concept.
Je me fais offrir Warhammer — la V1, attiré par la sublime couverture et ses promesses d’aventures héroïques, premier jeu que je maîtriserais… une seule fois. Un essai de partie pas très concluant avec mes petits frères et un ami. Mais je commence déjà à rédiger les bases d’un gros scénario. Un peu plus tard, j’achète In Nomine Satanis/Magna Veritas, intrigué par la reliure en skaï et les livres tête-bêche, mais n’y ferai jamais jouer.
Ici s’arrête mon aventure avec les JdR. Mais n’est pas mort ce qui à jamais dort, et fin 2013, j‘ai envie de faire du JdR à nouveau, mais pour de vrai cette fois-ci.

Un JDR/Système/Univers préféré ?
Pas forcément mon JdR préféré, mais le plus marquant pour moi, c’est L’Appel de Cthulhu. J’ai commencé à lire Lovecraft vers l’âge de 12 ans, et ses monstres me fascinent. Se plonger dans cet univers en JdR me passionne, surtout que c’est l’un des premiers JdR que j’essaye.
Un scénario en particulier a produit en moi un déclic : j’ai l’impression de vivre cette folle traque au tueur de l’intérieur : la tension, la peur, le mystère, l’horreur… Je me dis « Wahou, on peut faire ressentir tout ça avec du JdR ? Moi aussi j’ai envie d’essayer de faire vivre ce genre d’histoires ! ».
Actuellement auteur, éditeur, relecteur et maquettiste : une casquette préférée parmi tout ça ?
Toutes sont intéressantes, mais pour des raisons différentes.
– Être auteur me permet d’exprimer ma créativité et mes idées, mais c’est celle qui me prend le plus de temps : je remets vingt fois mon ouvrage sur le métier, donc j’avance lentement. Je mets 2d100 semaines à écrire un projet : — /
– Être éditeur (dans le sens anglais du terme, la personne qui édite un texte) me permet de me plonger dans la création de quelqu’un d’autre, et d’essayer de l’améliorer, de la raffiner (voire de la corriger). C’est un exercice que j’aime beaucoup, et qui est indispensable à mon avis pour un produit fini de qualité. Il est en effet très difficile d’éditer ses propres textes, car chaque auteurice a ses propres biais.
– Être éditeur (dans le sens français du terme, la personne qui publie un livre) tend plus vers le côté gestion et administratif. Ce n’est pas forcément passionnant, mais c’est nécessaire pour obtenir un produit final à la hauteur.
– Je ne suis pas vraiment relecteur. C’est plus quelque chose que je fais en même temps que l’édition du texte, et je vais surtout me concentrer sur la clarté du texte et le champ lexical employé. Mon niveau en orthographe et en grammaire n’est pas suffisant, et c’est pour cela que je fais appel à deux relectrices implacables.
– Enfin, maquettiste est la casquette la plus immédiatement satisfaisante pour moi : j’aime « construire » un livre à partir de son texte et de ses illustrations. Je suis à la fois l’architecte et le maçon, et j’obtiens un résultat visible — un joli PDF — au bout de 3d10 heures.
Quelle est l’idée de Tel Ulysse, qui est présenté comme « un jeu de rôle croisé avec un jeu de société », un JDR solo mais pas que. Quelle a été son aventure ?
[NDLR : pour situer le contexte de Tel Ulysse : il a été créé lors d’un concours, et a terminé premier au classement.]Lorsque j’ai proposé mes services aux Fondations de l’Imaginaire, je leur ai aussi proposé de publier Tel Ulysse : c’était pour moi l’occasion d’y ajouter une dimension « jeu solo », mais aussi d’avoir une large diffusion.

On y joue un équipage perdu en mer après une terrible tempête, et qui va devoir naviguer pour rentrer à bon port. L’aspect « jeu de société » vient de cette navigation : on utilise des cartes à jouer, face cachée, pour constituer un plateau de jeu ou notre navire va se déplacer. Chaque carte est une épreuve unique détaillée dans le livre (des courants forts, une attaque de pirates, une île isolée, une flottille de guerre, un kraken qui surgit des flots…), et que l’équipage va devoir affronter à coup de jets de dés, selon ses compétences. La dimension « jeu de rôle » est apportée par la personnalisation de l’équipage et ses membres, leur interprétation lors de ces épreuves ; mais aussi lors de temps plus calmes, avec des questions interpersonnelles (inspirées de Pour la Reine) qui permettent de tisser des liens (du genre « Qui est ton meilleur ami sur le navire, et pourquoi ? » ou « À qui as-tu confié ton terrible secret ? Quel est-il ? ») et de donner vie à ces personnages.
Pourquoi devenir éditeur ?
Je pense que cela découle de mon envie de partager des histoires, de faire vivre des aventures, et de faire découvrir des univers et des jeux. Devenir éditeur, c’est un moyen de le faire à plus grande échelle, sans que j’aie besoin d’être physiquement présent pour en parler.
C’est aussi l’occasion pour moi de faire ruisseler un peu d’attention vers de nouveaux auteurs et autrices plein de talents. Percer dans le milieu du JdR francophone, c’est difficile : il faut soit beaucoup de chance, soit beaucoup de travail. Et souvent beaucoup des deux, en fait.
J’ai bossé pendant 10 ans pour me former, m’améliorer, acquérir de nouvelles compétences ; donc si je peux donner un coup d’accélérateur à quelqu’un qui le mérite, c’est cool. Je pense que l’on se sent beaucoup plus légitime et rassuré à aller voir un « gros » éditeur avec un projet quand on a en a déjà publié un, fut-ce via un petit éditeur indépendant comme moi. Cela montre que l’on a su attirer l’attention, produire un travail digne d’intérêt, et que l’on a une petite expérience des attentes, contraintes et réalités du milieu.

Comment imagines-tu l’avenir ? Quels types de JDR as-tu envie d’éditer ?
Lentement 🙂 Un projet après l’autre, au rythme d’un par an environ. Pour prendre le temps de bien faire les choses, mais aussi de continuer à travailler en freelance sur une partie de mon temps libre, pour gagner de quoi payer les illustrations dont j’ai besoin (car c’est une compétence que je ne peux pas vraiment acquérir par moi-même).Et j’envisage d’être un éditeur éclectique, autant que je le suis en tant qu’auteur.
Des conseils à donner à de futurs auteurs ou éditeurs ?
Je ne me sens pas vraiment légitime à donner des conseils en tant qu’éditeur, mais je peux donner deux conseils généralistes :
– Faites des projets qui VOUS plaisent avant tout. Vous allez y consacrer des mois, voire des années de travail, donc si le projet en cours vous saoule au bout de deux semaines, ce n’est sans doute pas le bon projet à mener à bien. Et puis la passion que vous portez à un projet, elle transpire dans le produit fini, elle se ressent. À mes yeux, un texte/jeu/livre imparfait, mais fait avec passion vaut mieux qu’un produit classieux, mais réalisé de manière mécanique, froide, et avec lassitude, uniquement pour cocher des cases ou atteindre des objectifs commerciaux.
– Faites des projets dont VOUS pouvez être fier. Que ce soit esthétiquement, dans votre éthique de travail, dans une volonté écologique, dans le soin apporté à la réalisation… Trouvez au moins une source de fierté.
De nos jours, la tentation de faire écrire (ou améliorer) le jeu par ChatGPT, de le faire illustrer par MidJourney, de la faire relire par la communauté et de le faire imprimer en Chine est grande : c’est rapide, facile, moins cher… C’est sûr, vous allez gagner beaucoup plus d’argent, mais si vous faites tout cela, de quoi pouvez-vous réellement vous enorgueillir ? Est-ce même encore votre jeu ?
Est-ce que les concours sont un tremplin vers la professionnalisation ?
Cela dépend beaucoup de votre caractère, je pense. Nombre de « pros » n’ont jamais eu besoin de ça pour se lancer.
Mais pour moi, oui, ça a été un catalyseur. Je me souviens de cette remarque de ma prof principale à ma mère, vers 11-12 ans : « Jean-Marc a beaucoup de capacités, mais manque de confiance en lui ».
Ces victoires répétées et diverses (Les Utopiales, le 3 FF), cela m’a aidé à réaliser que des inconnus appréciaient ce que je créais, et donc à croire en mes compétences, à avoir envie de les développer, puis de les proposer aux autres. (Vous noterez au passage l’ampleur de mon manque de confiance : j’ai quand même participé 6 fois au concours de scénario des Utopiales, pour me prouver que ce n’était pas juste une erreur, ou un coup de bol passager !).
Aujourd’hui, je franchis une nouvelle étape en allant vers le public pour leur proposer de croire en mes projets afin de les préfinancer. Et je vais faire de mon mieux pour ne décevoir personne, moi le premier.
Le mot de la fin ?
Je vous remercie de cette tribune, je suis toujours très heureux de parler de mon parcours, car j’espère que cela pourra aider de nombreux créateurs et créatrices de JdR à se dire : « moi aussi je peux le faire ».
N’hésitez pas : identifiez le premier pas de ce qui deviendra votre voyage, et lancez-vous. Que ce soit rejoindre un Discord de créateurices, écrire votre premier scénario, ouvrir votre compte Itch.io pour diffuser vos œuvres, participer à un concours, contacter un éditeur pour lui proposer un projet… trouvez ce qui vous semble être à votre portée, et tentez le coup !
Ce ne sera peut-être pas une autoroute directe pour le succès, mais comme on dit, le voyage est plus important que la destination.
Si vous avez des questions, des remarques… je suis disponible via de nombreux réseaux.
Merci Tolkraft
=> Retrouvez Licorne d’Abondance, le premier projet de Dendrobat Productions, dans un prochain article !





