Rencontre avec Mr Bruno Cathala
J'ai eu le plaisir de rencontrer le grand Monsieur Bruno Cathala à Cannes – je vous ai d'ailleurs déjà parlé de trois de ses protos (madame Ching, Abyss et Tribes Of Naqala devenu "Five Tribes") dans mon debrief Cannois -.
Il faut savoir que pour moi, Bruno Cathala, c'est un peu synonyme de "monstre sacré" du monde ludique. Auteur des Chevaliers de la table Ronde (le jeu qui m'a fait tomber dans la marmite, même si, à cela il m'a modestement répondu "c'est surtout Serge Laget qu'il faut remercier pour les Chevaliers !") à Noé en passant par Cyclades, Du balai!, Burdigala, Le petit Prince, Dice Town, Mr Jack, Mow, Mundus Novus, Sobek, Trolland, Jamaica…
Même si le Monsieur opère rarement en solo, sa production est impressionnante. Et le nombre de fois où son nom n'apparait pas sur la boite mais où il a quand même mis son nez dedans !
Le plus drôle c'est qu'en échangeant, on s'est rendu compte qu'on avait une autre passion commune, la musique. Et c'est donc sous cet angle original que nous entrons dans la discussion…
Je ne savais pas que tu étais musicien !
Oui, je joue de la guitare (j'en ai 4 et je me retiens) et aussi du ukulele parce que c'est rigolo de jouer des trucs qui sont pas fait pour ça (genre Antisocial de Trust, ou alors Sultans of swing de Dire Straits).
Ceci dit, je joue en amateur total, je ne me produis pas.
Ce qui ne m'empêche pas, de temps à autre, de faire une compo (par contre je chante mal).
Dans la vie aujourd'hui tu ne fais que des jeux je crois ?
Toute mon activité tourne autour des jeux. Ceux que je créé pour le marché qui nous passionne, mais aussi en tant que développeur pour des éditeurs, mais aussi de la création sur cahier des charges pour des clients privés.
Parfois aussi je travaille en boutique, je fais de l'animation à base de jeux, et un peu de formation.
Mais avant cela tu faisais quoi ?
Quand j'avais un vrai métier, j'étais ingénieur en sciences de matériaux et mon job, c'était de créer et de mettre au point des alliages de Tungstène. Si si, ça existe.
J'ai fais ça pendant 18 ans avant de me faire virer comme un malpropre, ce qui m'a amené à créer mon activité.
Tu as d'autres passions (la musique donc) ?
Oui, la pêche à la mouche (que je ne pratique plus trop par manque de temps) et le sport. Dès que je peux je fais du vélo.
Et puis les filles aussi, mais c'est pas réciproque.
As-tu fait plus de jeux que Knizia ? ?
En comptant les extensions (qui demandent souvent autant de boulot qu'un nouveau jeu) je crois ne pas être loin de la soixantaine de jeux. C'est encore TRES TRES loin du docteur.
Et puis la qualité d'un travail ne se mesure pas au nombre de publications.
Bref, si je suis très heureux d'être publié régulièrement, je ne tire aucune gloire du nombre total de publications.
Je suis prêt à troquer trois jeux publiés pour un jeu qui se vende trois fois plus, non pas pour des raisons économiques, mais tout simplement pour le plaisir de pouvoir partager mon travail avec le plus grand nombre.
C'est top secret où tu peux nous parler de ta méthodologie ?
Je n'ai aucun soucis pour partager mes modes opératoires.
Concernant ce travail d'analyse statistique sur les différentes stratégies, ça va bien entendu dépendre du jeu.
Pour des jeux familiaux, dans lesquels la part de hasard est généralement importante, le travail de calage consiste essentiellement à s'assurer qu'il n'a a pas de martingale dans le jeu. Pas d'élément qui permette au premier qui s'en empare de gagner systématiquement la partie. Le tout en tentant de faire en sorte de créer une espèce de tension progressive qui s'amplifie au fur et à mesure de la partie. Ce travail se fait par touches successives au gré des séances de test.
Pour des jeux plus "joueurs", dans lesquels la part de hasard est moindre, et qui sont conçus pour que plusieurs stratégies différentes puissent être jouables, il faut cette fois aller plus loin dans le détail.
Et là, effectivement, une fois le système globalement calé, il faut accumuler suffisamment de données pour s'assurer de la pertinence des différentes voies, évaluer leurs forces et leur faiblesses, calculer et recalculer encore les probabilités de gain.
Généralement, il suffit de temps, de bon sens, d'une bonne capacité d'analyse… et d'une feuille excel. Abyss, à paraitre chez Bonbyx cet automne, ainsi que mon prochain jeu chez Days of wonder sont passés par cette voie. [NDLR nous avons publié une review sur "Tribes of Naqala" -nom non définitif-).
Parfois, je vais même plus loin encore. Par exemple, sur Mr Jack pocket, on a commencé par créer une intelligence artificielle super balaise. Et une fois qu'elle a été calée (et qu'elle mettait des pâtées aux joueurs humains), j'ai appliqué scientifiquement et rigoureusement la technique des plans d'expérience pour analyser l'effet des différents paramètres sur le résultat final des parties, en faisant jouer à chaque fois 1000 parties par l'ordi, IA contre IA. Et c'est ainsi que nous avons réussi à trouver le paramétrage permettant de garantir des chances analogies aux deux camps.
Si tu avais un conseil à donner à un auteur débutant ?
- De croire en lui
- D'être patient
- De savoir écouter, mais de ne surtout pas tout écouter
- De ne pas aller trop loin dans le développement esthétique de son prototype et de se concentrer avant tout sur le moteur du jeu
- D'être patient
- De tester, tester, tester encore et encore
- D'être patient
- De rédiger ses règles aux petits oignons avec plein d'exemples graphiques
- De tester encore
- D'être patient
- De croire en lui
Quel jeu t'a fait tomber dans la marmite ?
FIEF !!!!! le summum de la perfidie.
Une phase de négociation dans laquelle il est bien précisé qu'on est pas obligé de tenir ses promesses.
D'ailleurs, par nostalgie, j'ai pledgé pour la superbe édition kickstarter qui va paraitre dans quelques mois !
Tu as testé l'extension Cyclades à Cannes ?
Deux parties jouées par des joueurs experts, à 6 en équipes de deux. Le jeu est plus dynamiques, plus violent aussi, et a je crois été apprécié.
J'adore ce jeu.
Et sinon, as-tu d'autres choses en cours ?
Oui, plein…
En particulier la sortie en boite d'un petit jeu auquel je tiens beaucoup et qui n'était jusque la sorti que sur Ipad: Huru Ichiban.
Mon souci ? Je manque de temps…
Tu bosses sur la réédition de Mission planète rouge ?
Avec Bruno Faidutti, on a été contacté il y a quelques mois par FFG qui souhaitaient ré-éditer "MPR".
Manifestement, le jeu est très recherché aux US. Alors on en profite pour faire quelques petits ajustements. Et ça c'est cool.
Par contre, pas de date de sortie pour l'instant (le travail graphique n'a pas encore commencé).
Tu as combien de projets en même temps ?!
En général, une bonne dizaine, à des stades d'avancement différents.