Rencontre avec Maud Chalmel : être illustratrice aujourd’hui

J’ai rencontré Maud Chalmel l’an dernier, à Paris Est Ludique, au détour d’une conversation avec Natosaurus sur Path of Civilization dont je venais d’apprendre que les illustrations seraient réalisées par une IA. Plus récemment, j’ai regardé ses interventions au Festival de Cannes et la vidéo qu’elle a réalisée avec Pénélope Gaming au sujet des IA génératives dans les jeux de société – Shanouillette la mentionnait dans cette news sur Puerto Rico 1897.

Le caractère à la fois radical et construit du propos de Maud m’a donné envie de l’interviewer pour mieux connaître son travail artistique, les conditions matérielles dans lesquelles elle l’exerce, et les revendications qu’elle porte avec la Charte des Illustrateur.ices Ludiques (CIL). Si vous avez déjà joué à Unlock! Kids : Detective Stories, à Splito, ou encore à Siggil ou À la manière d’Arcimboldo, vous connaissez déjà son travail. Pour ma part, j’aime beaucoup ses illustrations et je me réjouis tout particulièrement de la voir à l’œuvre pour Port Arthur et Diluvium.

Maintenant que vous (re)connaissez l’artiste, j’ai le plaisir de vous présenter cette riche interview dans laquelle Maud nous parle de son art, de ses conditions de travail et prend parti de façon claire et directe contre l’utilisation des IA génératives dans le secteur de l’illustration et plus largement de l’édition. Merci à elle pour ses réflexions très stimulantes. Bonne lecture !

 

-Bonjour Maud, je te remercie beaucoup d’avoir accepté ma proposition d’interview.

-Salut Dude, merci à toi de m’avoir invitée 🙂

 

Pourquoi un illustrateur est-il un artiste ?

1) En quoi consiste le travail d’illustratrice ? Quelles sont les différences entre une illustratrice, une graphiste et une directrice artistique ?

L’illustrateur apporte visuellement ce que l’auteur et l’éditeur auront préconçu littérairement et mécaniquement, par les médias et outils de son choix, en fonction de la demande éditoriale. Sa mission consiste à rendre l’objet fini à la fois séduisant, attractif et immersif, tout en respectant sa jouabilité qui prévaut sur le reste.

Le graphiste crée le lien le plus harmonieux possible entre l’illustration et le game play. Son travail, quand il est bien fait, est très subtil et, selon moi, frôle le Feng Shui. Il y a des énergies qui doivent circuler en équilibre entre les vides, les pleins, les choix typographiques, la lisibilité de l’ensemble… au travers de la mise en page. La présence de tous ces éléments (textes, info, valeurs de points, pictogrammes, etc.) doit servir le jeu avec tact.

Le directeur artistique est un acteur dont on a souvent tort de vouloir se passer. Il est le chorégraphe, là où l’éditeur est le chef d’orchestre. Son travail est de bien cadrer l’univers visuel, quitte à ce que l’illustrateur propose parfois d’en sortir un peu. Il est le tuteur du plant de tomate qui fait que celui-ci pousse dans la bonne direction, sans se casser la gueule.

Ces trois métiers peuvent parfois n’en faire qu’un et la charge de travail est alors un peu plus grande. Dans certains cas, plus fluide. Mais trop souvent, plus fastidieuse.

 

2)  Concrètement, quelles sont les étapes du processus de création artistique réalisé par un illustrateur ?

On a d’abord besoin d’un cadre, donc d’une bonne définition de l’univers choisi, et de connaître la cible (jeunesse, familiale, adulte) afin de bien coordonner la suite. Un moodboard (une planche d’ambiance) donne le ton avec des exemples de ce que l’éditeur attend, voire de ce qu’il voudrait éviter. En design, rendu, colorimétrie… Cette planche sera composée d’illustrations de notre book personnel et/ou de celui d’autres confrères et consœurs, d’autres jeux, livres, affiches, ou d’artistes plus classiques, tels que les Grands Maîtres.

Parfois, l’illustrateur s’occupe de proposer un moodboard sur la base de la description de l’éditeur. Il est très appréciable de jouer avec le prototype en amont. Ça permet de bien se projeter sur les priorités du gameplay. Une fois cette étape définie, nous commençons à esquisser les bases sur un support choisi selon les besoins de l’éditeur, ou les préférences de l’artiste (couverture, carte, plateau, etc.). Un test en couleurs viendra appuyer notre proposition et si elle est validée, le reste doit couler tout seul. Mieux le cadre est défini, moins l’illustrateur pataugera dans la semoule ! C’est un gain de temps pour tout le monde.

 

Le moodboard de Stop me or let me go illustré par Maud. Il s’agit d’un jeu de Taiju Sawada publié par KYF Édition.

 

 

3) Quel est le rapport entre l’illustratrice et les clients dont elle réalise les commandes ? Peut-on affirmer que l’illustratrice reste libre dans son travail, ou encore que sa création n’est pas soumise à des impératifs extérieurs ?

Ça dépend de l’éditeur et des retours que nous avons des boutiques. En dix ans de métier, j’ai vu apparaître de nouvelles contraintes, ce qu’une couverture doit montrer par exemple. Le public et la demande évoluent. Parfois nous nous adaptons à elle, un peu comme pour un film commercial.

Parfois nous voulons aussi surprendre : apporter quelque chose de nouveau et pas forcément attendu. Comme au cinéma, ça passe, ou pas… et ça influe sur les visuels des sorties pendant les années suivantes. Je pense à La Famiglia ou encore à Dracula VS Van Helsing de Weberson Santiago qui m’inspirent énormément.

Quoi qu’il arrive, un illustrateur doit garder une bonne dose de liberté, et il doit aussi savoir sortir de sa zone de confort pour se surprendre lui-même. Par exemple, les illustrations pour Port Arthur que j’ai réalisées pour Nuts! sont dans un style qui n’est pas du tout le mien. Mais la DA de Nicolas Roblin était tellement bien faite que j’ai trouvé à peu près comment m’en sortir. Toujours avec du plaisir, même si ce n’était pas naturel pour moi et vraiment difficile. Je crois que ce n’était pas le résultat exact qu’ils attendaient mais ça leur convenait bien.

L’illustration de la couverture de Port Arthur, réalisée par Maud. Il s’agit d’un wargame de Yasushi Nakaguro publié par Nuts! Publishing.

 

4) Considères-tu qu’une illustratrice est une artiste ? Comment définirais-tu l’art ?

Oui, c’est évident, l’illustration est un « Art Appliqué ». Appliqué à un contexte et à un support. Celui du jeu de société autant que celui du livre, du jeu-vidéo, du cinéma,… Que les contraintes soient techniques, mécaniques ou commerciales et qu’il s’agisse d’une commande, ne dénature en rien l’aspect artistique de notre travail.

Nous devons faire appel à notre savoir-faire, notre expérience (même si elle est jeune), nos souvenirs, nos rêves, notre éducation, nos voyages, nos traumatismes… C’est ce qui donne une âme à un jeu, aussi simple soit-il. C’est un accouchement.

Nous avons fait des études en école d’Arts (ou, pour d’autres, nous cheminons dans un parcours artistique), nous cotisons à la Maisons des Artistes, et nous sommes guidés au travers d’une direction artistique. Je ne vois pas en quoi notre travail en serait moins artistique. Ceux qui pensent le contraire devraient regarder par-dessus notre épaule pour s’en faire une idée. La maison est ouverte !

 

La couverture de Shamans que Maud Chalmel a illustré pendant le confinement. C’est un jeu de Cédrick Chaboussit publié chez Studio H.

 

On est loin de s’imaginer à quel point on met nos tripes dans l’illustration d’un jeu. Quand nous demandons que notre nom soit apposé aux côtés de l’auteur sur la boîte, ce n’est pas (qu’)une question d’ego. Le public apprécie de savoir quels sont les acteurs principaux d’un film sur une affiche ou sur la couverture d’une BD. Ça joue sur l’acte d’achat. Une œuvre se définit par un objet dont le résultat est la somme du corps et de l’esprit de l’individu qui l’a engendrée. Nous employons les mêmes mécanismes que pour une danse, une photo ou une architecture. L’association du corps et de l’esprit dans un contexte à travers un médium.

Une illustration maison pour 2 à 4 joueurs, c’est un peu comme une recette de cuisine.

Prenez : un esprit, une main (ça marche aussi avec d’autre membres, même atrophiés), un outil, et son support (numérique ou traditionnel).
Mélangez les 4 ingrédients jusqu’à obtenir la bonne motricité et la dextérité qui va bien.
Mettez au four le temps qu’il faut pour que ça monte.
Dressez l’ensemble dans son contexte. Ici, le jeu de société.
Servez-le en festival, en boutique, au bar, en ludothèque ou à la maison.
Bonne dégustation.

 

 

Quelles sont les conditions matérielles du travail d’illustratrice ?

5) D’un point de vue juridique, comment le travail d’illustration est-il organisé ?

À ma connaissance, c’est en très grande majorité du travail indépendant. Nous sommes pour la plupart cotisants à la Maison des Artistes (depuis peu directement à l’URSSAF). Les graphistes et directeurs artistiques peuvent faire partie d’une équipe interne à la maison d’édition plus souvent. Dans ce cas, ils sont sous contrat (CDI ou CDD), et peuvent parfois illustrer les jeux – mais ça reste peu courant. Quand d’autres sont comme nous, appelés ponctuellement sur telle ou telle production.

6) Parviennent-ils/elles à gagner suffisamment pour vivre sereinement ou sont-ils/elles dans l’obligation de compléter leurs revenus par des emplois complémentaires ?

On peut voir de tout. Mais je ne saurai pas encore donner de proportions précises. Quelques uns d’entre nous travaillent très régulièrement dans le milieu ludique et arrivent à en vivre presque exclusivement. Quand d’autres sont appelés à dessiner pour d’autres milieux. Je crois que nous gérons nos entreprises à la fois selon la demande, selon nos budgets et aussi nos préférences. En ce qui me concerne, je gagnais mieux ma vie en tant qu’illustratrice dans l’événementiel et j’ai fait le choix de répondre plus souvent à des demandes d’illustration de jeux. C’est moins rentable mais plus chaleureux humainement, et artistiquement, c’est plus plaisant.

Je travaille environ 60h par semaine pour 1800€ brut. Si je signe un petit jeu à 2000€ brut sans droits d’auteur, j’ai tout intérêt à ce qu’il ne me prenne pas plus de deux semaines de travail. Car la moitié de cette somme part dans mes cotisations sociales, mes impôts, mes charges matérielles (électricité, logiciels, informatique, matériel d’art, bureautique, etc.).

Donc financièrement, c’est pas fifou. Pourtant, le budget alloué à un illustrateur est très conséquent pour un éditeur. C’est pour ça que nous devons négocier absolument des droits d’auteurs ou des systèmes de paliers. Car nous sommes autant auteurs que nos confrères et consœurs de la mécanique du jeu. Nous sommes des auteurs visuels. Du moins, pour les jeux dont les visuels tiennent une place prépondérante.

Mais trop d’éditeurs (et souvent les plus gros) prétendent que nos prestations sont « accessoires ». C’est la meilleure pirouette juridique pour ne pas nous inclure dans le succès commercial d’un jeu. Les boutiques pourront vous confirmer que notre travail n’est pas si accessoire dans l’acte d’achat.

 

7) Dans quelles conditions les illustrateurs et illustratrices font leurs études aujourd’hui et dans quel état trouvent-ils/elles ce secteur à leurs débuts ?

Ah là là, l’école me manque… c’est vraiment un vivier pour la création. On bosse comme des tarés pour arriver sur le marché du travail avec un maximum de trucs chouettes à montrer. Il y a vingt ans, quand j’ai déboulé, on m’avait dit que le milieu de l’illustration était bouché. Ce qui était loin d’être faux. Du coup j’ai bossé là où il y avait du boulot, la communication visuelle, sans pour autant m’oublier en illustration. Aujourd’hui ça n’a pas changé. C’est toujours aussi bouché et toujours aussi compliqué de se frayer un chemin parmi les rendez-vous éditeurs même si le milieu ludique semble plus ouvert que le milieu du livre.

Pire encore, les nouveaux arrivants ont la menace des IA génératives. Pour les moins dextres d’entre eux en dessin, c’est un joujou potentiellement pratique. Pour tous les autres, c’est de la triche, ils ne sont pas là pour ça. L’enfer, pour eux comme pour nous. Au début je bossais pour des cacahuètes sur des petits projets pour me faire la main et agrandir ma vitrine. Et c’était déjà pas cool de bosser pour des cacahuètes.

Maud Chalmel a commencé à illustrer des jeux de société en 2014, avec Siggil d’Henri Kermarrec (Capsicum Games).

 

Mais si aujourd’hui on arrive à se passer des petites mains des nouveaux arrivants, elles ne pourront pas grandir, et on « tuera dans l’œuf » les créatifs de demain, pour reprendre l’expression très juste de l’artiste François Baranger dans un article de Numérama. Bref ça sent le caca et de loin. Alors la solution que les écoles ont trouvée, c’est de former les artistes au prompt. Quitte à aller droit dans le mur, autant leur apprendre à ne pas le dessiner, le mur, pour bien le visualiser.

Le secteur professoral a le cul entre deux chaises. Leur mission est de stimuler la créativité des élèves tout en les préparant au marché du travail. Leur apprendre à prompter va un peu à l’encontre des valeurs des écoles d’Art. Je leur souhaite plein de courage.
Ceci dit, je préfère encore savoir l’IA générative entre les mains des artistes naissants plutôt que dans celles d’un pécore moyen frustré de ne pas savoir dessiner. Nos yeux vont saigner, je vous le dis. Le paysage artistique va de toute façon en prendre un coup. Et notre manière d’apprendre à apprendre aussi. Une fois de plus.

 

Quelles sont les conséquences de l’emploi des IA génératives pour les illustrateurs et illustratrices ?

8) Y a-t-il d’ores et déjà des effets concrets de l’utilisation des IA que tu as pu constater en tant qu’illustratrice ou comme co-fondatrice de la Charte des Illustrateur·ices Ludiques ?

À chaque jeu qui sort avec des illustrations générée en IA, c’est un artiste qui ne travaille pas. Donc oui, on commence à en ressentir les effets. Nos yeux sont abîmés par l’inconsciente recherche d’authentification d’un visuel. C’est fatiguant. On cherche les mains à six doigts, un nom associé, pour voir si le visuel est l’œuvre d’un véritable artiste. On se questionne, on les questionne… On lutte pour la véritable information.

Avec sa main d’enfant à six doigts, l’affiche du dernier Festival d’Essen a beaucoup fait couler d’encre car elle a été réalisée par une IA.

 

Tu sais, un mensonge c’est une vraie boule de neige. Ça en entraîne toujours d’autres derrière. Faire un jeu en IA, même en l’admettant, c’est un peu mentir, quand on veut que le jeu de société soit reconnu comme une œuvre de l’esprit. On voit de plus en plus de visuels créés par IA, signés d’un nom à la con ou du premier graphiste venu pour faire comme si c’était « illustré à la main », montrer que « nan, j’ai pas triché », « oui, c’est bien moi qui l’ai fait »… Tu peux même générer des esquisses pour donner une illusion d’authenticité. C’est édifiant.

Les maisons d’édition qui se font griller essaient tant bien que mal à chaque fois de se rattraper avec des « oui, mais on savait pas », « c’est pas nous, c’est le graphiste », « …mais c’est une image bank »… Bref. Tout ce qui en découle est pitoyable.
Un tout petit nombre d’artistes « vendus » commencent même à s’y mettre pour être « plus rentables ». Quand on apprend que ce sont des noms déjà bien établis dans le milieu, ça ne peut que générer du dégoût quels que soient leurs arguments.

 

9) Quelles autres conséquences tu anticipes ? Que propose la CIL pour les éviter ?

Plus de jeux en IA, cela veut dire plus de jeux, donc surproduction. Qui dit surproduction, dit aussi plus de concurrence et plus de risques de plagiat, donc moins de chance qu’un jeu bien perdu dans la masse ait du succès. Cela risque de produire une conjoncture économique bouchée comme pour la BD. C’est le pire système capitaliste qu’on aura connu jusqu’à maintenant. C’est un peu comme de manger son propre vomi, tant sur le plan artistique et moral, qu’économique. Je l’évoque assez clairement dans ma petite vidéo dessinée et racontée, qu’on peut retrouver ici.

J’ai proposé à la CIL de relayer un petit macaron « illustré à la main » pour informer les consommateurs de l’authenticité de leur achat. Ce n’est pas un label mais il fait son chemin sur de plus en plus de boîtes et même des livres. Beaucoup d’éditeurs ont annoncé leur positionnement moral contre l’IA, avec ou sans ce macaron. Pour le moment, éditer un jeu, faire une affiche de festival ou le visuel promotionnel d’un jeu en IA assisté est mal accueilli et pointé du doigt par les consommateurs et les fans autant que par les autres maisons d’éditions et les illustrateurs.

Le logo de la Charte des Illustrateur.rices Ludiques (CIL).

 

Il est question aussi de faire un catalogue de nos adhérents, afin qu’un éditeur à la recherche d’illustrateurs puisse trouver artiste à son jeu sans tomber dans les facilités de l’IA. Nous nous rapprochons aussi de la Ligue des auteurs professionnels et de la Charte pour monter des ateliers juridiques et aider à rédiger des propositions de lois à l’aide de juristes et d’avocats.

Nous avons aussi relayé le mouvement des parapluies bleus à Cannes comme l’ont fait les artistes à Angoulême pour la BD pour soutenir un statut d’artiste-auteur européen solide, via une pétition que l’on peut retrouver ici.

 

10) Matériellement, comment l’utilisation des IA se traduira-t-elle pour les illustrateur.ices ? (baisse de revenus, augmentation de la concurrence, disparition de l’aspect créatif…)

Alors clairement, la baisse de revenus, ça va pas être possible de notre côté, haha ! C’est surtout une question de concurrence déloyale et de viol culturel. Quand on te pompe ton travail sans ton consentement pour créer un emploi déviant voué à te remplacer, dans un pays où la perte d’emploi est chaque année plus forte, en plus de se tirer une balle dans le pied, comment t’appelles ça ? Mon analogie à la sexualité est assumée. Ça fait mal, c’est illégal et grâce à de nouvelles pirouettes juridiques, ça reste non seulement impuni, mais autorisé. C’est complètement raccord avec bien d’autres situations sociales encore trop actuelles. C’est de la rétrogradation déguisée en progrès.

Je ne fais ici qu’un état des lieux et des abus envers les illustrateurs engendrés par le recours aux IAs génératives. Je ne veux pas que l’avenir de l’art, de la culture, de nos yeux, et des emplois aillent dans une direction biaisée. Une des missions de la CIL est de trouver des solutions (juridiques, administratives…) pour cadrer cette gastro-entérite.

Dans le milieu ludique, on voit de plus en plus de mood boards et de prototypes de jeux en IA. Les mood boards, on les tolère, même si ça pique encore un peu les yeux. Les proto, c’est plus compliqué. Si un jeu est « éditable » tel quel, quel est notre espace de création ? Je fais quoi ? Je retire le sixième doigt ? Je décalque ? Je recommence tout ? Comment ? On a trop souvent tendance à comparer l’illustration à un métier technique et mécanique.

« Comment elles font les caissières ? » est une question oratoire qui revient souvent. C’est comme si tu demandais à une poule d’avancer en lui disant « Comment elles font, les bagnoles ? Tu fais comme tout le monde, tu t’adaptes. » Une poule et une voiture, ce n’est pas comparable. On parle de métiers artistiques. On n’est pas meilleurs ou pires que les caissières. On ne fait juste pas le même travail. Si notre métier était si accessoire et mécanique que ça, pourquoi ne pas éditer un jeu dans son état prototypal ? Je pense au contraire que notre métier apporte une valeur ajoutée non négligeable. Ça le rend plus digeste et bankable.

Au lieu de comparer l’illustration à un travail répétitif et mécanique, je préfère pour ma part la comparer à la maternité. Imagine un monde où chaque femme donnerait naissance à un bébé qu’on lui retirerait, afin qu’il soit éduqué par un robot, pour créer de meilleurs adultes et pour que ces femmes ne soient pas perturbées par la charge mentale d’un enfant. C’est le cross over de Matrix, Terminator et La Servante Écarlate. Ôtez-nous ce qui nous anime au plus profond et nous vous mordrons. La lutte sera terrible. Elle l’est déjà. Engendrer la vie, comme l’art, est quelque chose de viscéral.

Une carte de Stop me or let me go.

 

11) En tant qu’illustratrice, quel est l’avenir que tu voudrais pour le secteur des jeux de société, et, plus globalement, de l’édition ?

Le meilleur avenir qu’on puisse souhaiter pour le jeu de société serait qu’il soit reconnu officiellement par notre gouvernement pour ce qu’il est déjà officieusement : un objet culturel. Qu’il garde ses valeurs éthiques. Qu’il reste une oeuvre collaborative, un travail d’équipe et avant tout humain. Qu’on reconnaisse le travail des humains qui ont collaboré pour qu’un jeu voie le jour, auteurs comme illustrateurs, dont les noms seraient, autant que faire se peut, apposés sur les boîtes.

Je souhaite un jeu dont le succès profiterait aussi à l’illustrateur dans la mesure où celui-ci partagerait la responsabilité de la production avec l’auteur, l’éditeur, l’imprimeur, le vendeur, le distributeur… Et comme pour la BD, le cinéma, et les séries télé, qu’on ne tombe pas dans les dérives de la surproduction, et de la baisse de qualité. 

On termine en beauté, avec ce détail du plateau de Port Arthur.

 

-Je te remercie beaucoup d’avoir répondu à mes questions !

-Je t’en prie, c’était un plaisir, plein de révolte, parfois, mais avec de l’amour dedans.

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6 Commentaires

  1. Morlockbob 03/05/2024
    Répondre

    Alarmant et touchant. Bel echange

  2. bertrand 03/05/2024
    Répondre

    Je ne vais pas rentrer dans le lourd débat autour de l »IA -je dirai seulement que j »espère évidemment que les illustrateurs ne sont pas en voie de disparition- et resté très superficiel en disant que l »illustration de Port Arthur est juste magnifaïque !

    • El Duderiño 04/05/2024
      Répondre

      Merci pour ton commentaire. Nous sommes bien d’accord ! J’ai hâte d’y jouer.

  3. Morlockbob 04/05/2024
    Répondre

    Etrangement je me retrouve a table avec Maud Chalmel (a l Alchimie) et ça fait plaisir de voir quelqu un qui affiche ses convictions

  4. Jérôme S 07/05/2024
    Répondre

    Merci pour ce chouette témoignage, humain, touchant et concret.

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