Reflecto – des sauts et des lettres

Roberto Fraga est un auteur qui a crée des jeux avec des idées très originales en termes de matériel. Nous pouvons citer par exemple La danse des œufs, dont la boite a l’apparence d’une boite d’œufs et contient 10 œufs en bois, Squad seven avec ses pistolets à flèches et son CD rythmant la partie, Dr Eureka et ses éprouvettes transparentes où l’on transvase des billes colorées, Kaboum et sa catapulte qui détruit les empilements construit par les adversaires.

En 2018, il nous proposait Princess Jing. La matériel était composé de 25 imposants standees représentant des paravents, dont deux étaient équipés de petits miroirs permettant de voir l’arrière du paravent se trouvant en face du miroir. En termes de mécanique, c’était principalement du bluff et de la mémoire. Le jeu avait bien plu à l’équipe à l’époque, vous pouvez trouver divers retours écrit et vidéo.

Très bien, mais pourquoi est-ce que je m’attarde autant sur ce jeu ? C’est parce que Reflecto partage des éléments communs avec Princess Jing en termes de matériel mais il offre des sensations de jeu très différentes. Nous sommes toujours dans un jeu exclusivement pour deux, mais plus question de mémoire puisque chaque joueur dispose uniquement de sept chevalets clairement repérables sur le grand plateau de 49 cases. Et naturellement, il y a à nouveau des miroirs servant à voir l’arrière des chevalets adverses. Sur les cinq autres chevalets, les joueuses vont écrire un mot de cinq lettres, puis mélanger les sept sur la première rangée du plateau. L’objectif est double :

          Soit deviner le mot de l’adversaire grâce aux miroirs.

          Soit faire traverser ses lettres et les sortir dans l’ordre de l’autre côté du plateau.

À tour de rôle, chacun va déplacer un de ses chevalets tel un roi aux échecs (une case dans n’importe quelle direction) ou tel un pion du jeu de Dames chinoises (sauts successifs au-dessus d’autres chevalets). Au lieu d’effectuer un déplacement, on peut faire une proposition si on pense avoir trouvé le mot adverse. Si c’est le bon, victoire, sinon, c’est perdu.

Vous voulez des images qui bougent ? Ça se passe ici

Quel est mon mot ?

 

Il était une fois, le thème du jeu

Vous souvenez-vous de l’histoire de la Reine des Neiges ? Pas celle qui est libérée, délivrée. Non, je parle du conte d’Andersen d’origine. Dans ce dernier, Gerda essaie de libérer son ami Kai des griffes de la Reine des Neiges et doit trouver en premier un mot caché. Le pauvre Kai a de la poussière de miroir de troll dans les yeux qui ne lui laisse voir que la laideur du monde. Des miroirs, des mots à deviner, voilà pour le cadre du jeu. Le thème est cependant bien vite oublié malgré la face arrière des chevalets qui représente des flocons de neige. Ce n’est pas foncièrement un souci car Reflecto est un mélange entre jeu abstrait et jeu de lettres, deux catégories qui se passent bien souvent de thème. Les parties très rapides (15-20 min) ne laisseraient quoi qu’il en soit pas le temps de rentrer dans un quelconque univers.

Flocon VS rose

 

Miroir, mon beau miroir

Comme je vous le disais en introduction, Reflecto repose (en partie) sur une originalité de matériel : les miroirs. Tout comme dans Princess Jing, il faudra se pencher discrètement pour voir l’information sur le chevalet adverse. Les règles laissent une grosse zone de flou sur ce qu’il se passe quand on effectue plusieurs sauts avec son miroir et que l’on passe derrière des chevalets adverses : peut-on faire une petite pause au passage pour zieuter les lettres qui s’y trouvent ? Dans ce cas, on dévoilera sans ambiguïté la position de notre miroir et cela manque de finesse, à mon avis. De même, quand l’adversaire amène une lettre sur la dernière rangée et qu’il peut la sortir du plateau, ça me semble maladroit de demander un temps d’arrêt pour voir la lettre. Au final, il reste assez délicat de voir les lettres de l’adversaire. Il faudra y aller pas à pas, ou tendre des pièges et attendre que ce soit lui qui vienne placer un de ses chevalets-lettres devant l’un de nos miroirs.

Deuxième point : le positionnement des chevalets est plus laissé à l’appréciation des joueurs que dans Princess Jing, car les cases sont bien plus grandes que le pied du chevalet, ainsi si on ne le place pas parfaitement au centre, on aura plus de facilité ou de difficulté à voir la lettre (ou permettre à notre adversaire de la voir). De même, selon la position de l’éclairage dans la pièce, on risque d’avoir un reflet sur le plateau, trahissant la position du miroir. Enfin, il arrive toujours le moment en cours de partie où nos miroirs se retrouvent face à face,  ce qui n’a jamais manqué de nous faire sourire mon adversaire et moi.

Bref, la position des miroirs est souvent découverte en cours de partie mais cela ne retire rien au plaisir du jeu : on sait où est la menace, on doit l’esquiver.

En cours de partie, joueur flocon peut voir une lettre à gauche

Coup d’œil discret pour repérer la lettre

 

Drôles de Dames

Reflecto est un drôle de mélange entre jeu de lettres et jeu abstrait. Avec une condition de victoire ressemblant aux Dames chinoises et l’autre … au Pendu ? Sans surprise, on apprend dans cette vidéo que d’après les statistiques de l’éditeur, quatre parties sur cinq se terminent par une victoire abstraite (sortie des lettres du plateau). Le matériel – des pièces sur un plateau – oriente l’esprit des joueuses vers ce style de jeu. Je me suis donc fixé l’objectif lors de certaines parties d’essayer de gagner en devinant le mot adverse. Et bien, ce n’est pas si facile, car parfois une seule lettre vous manque et tout est dépeuplé et vous avez un large éventail de possibilités. Par exemple :  ?, I,  C,  H,  E. Est-ce Niche, Fiche, Riche, Biche ? (et en plus, dans cet exemple on connait aussi l’ordre des lettres).

La règle de base stipule qu’on n’a qu’une tentative pour trouver le mot. Je préfère nettement la variante proposée : si on se trompe, on perd juste son tour. Je pense qu’ainsi ça donne plus d’importance aux miroirs et au jeu de lettres, et permet de s’éloigner un peu du jeu de Dames chinoises.

Si on ne place pas les miroirs au centre des cases on a du mal à voir la lettre en face

 

Modularité

Il existe diverses variantes pour ajuster la difficulté entre deux joueurs de niveaux différents : utiliser un mot plus long ou avec l’indication de la place de la lettre dans le mot pour le joueur plus expérimenté et utilisation d’un miroir en moins. Je n’ai pas essayé mais ça me semble une bonne idée pour des parties enfant-parent.

 

Conclusion

Roberto Fraga utilise à nouveau des chevalets avec miroirs, matériel central dans Princess Jing, mais pour un jeu avec des sensations totalement différentes. J’étais très curieux de découvrir le mélange de jeu abstrait et jeu de lettres. Malheureusement le cocktail n’est pas bien dosé : on s’approche trop des Dames chinoises et on ne sent pas assez le goût des jeux de lettres. La condition de victoire par découverte du mot est vraiment dure à atteindre, même en connaissant la quasi totalité des lettres qui composent le mot. En outre, les sauts successifs et l’envie de ne pas démasquer l’emplacement de ses miroirs rendent l’observation des lettres assez rare et/ou compliquée.  Le principe de mot à écrire implique la présence de grands chevalets et de mini ardoises en plastique, ainsi que d’un plateau assez imposant, mais on final, les parties ressemblent fortement aux Dames chinoises, jeu pour lequel le matériel est souvent moins encombrant, en bois et qui permet des parties jusqu’à 6 (donc plus facile à sortir). C’est vraiment dommage que l’aspect jeu de lettres soit aussi anecdotique dans Reflecto. Il n’a pas été assez exploité pour lui donner une identité propre et lui permettre de se démarquer de son illustre mère. Voici un jeu que j’aurais aimé aimer, mais qui au final a déçu mes attentes. 

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