QE : Sortez le carnet de chèque !
Rien à voir avec le Quotient Émotionnel, bien que vous aurez sans doute votre quota d’émotions ; QE signifie Quantitative Easing ou en français, Assouplissement Quantitatif. C’est un procédé dans lequel la banque centrale d’un pays achète des titres, notamment des obligations, dans le but de stimuler l’activité financière et de relancer la circulation de la monnaie.
QE, c’est surtout la création de Gavin Birnbaum, lancée sur Kickstarter en 2019 par Boardgamestables.com et qui arrive en français chez Lucky Duck Games.
Enchères et en chiffres
Les joueurs vont prendre le contrôle de nations (Europe, États-Unis, Chine, Japon et Grande-Bretagne) en pleine crise économique. Pour relancer leur pays, ils vont faire marcher la planche à billets et acheter des entreprises, de l’argent magique quoi ! 😉
Les jeux d’enchères ont souvent quelque chose de surprenant. Ce sont des jeux où l’interaction est centrale et souvent on se laisse griser, voire emporter, et c’est souvent la banqueroute qui nous attend. Avec QE, c’est encore plus vrai puisque nous sommes dans des enchères sans limites (pas de panique vous allez comprendre !). Tout de même, un joueur sera éliminé à la fin de la partie, un peu à la manière du Grand Jeu de Reiner Knizia où le joueur ayant le moins d’argent à la fin de la partie sort du “grand” jeu…
Money, get away
La première chose qui marque quand on joue à QE c’est que nous n’avons aucun billet, aucune monnaie, et c’est normal puisque nous allons la fabriquer – enfin virtuellement – c’est ce que l’on appelle de l’argent scriptural. En revanche, nous avons un plateau symbolisant notre pays et un chèque en blanc que l’on se hâtera de remplir avec des chiffres faramineux.
À chaque tour de jeu, un joueur, nommé l’adjudicateur, révèle une carte entreprise et inscrit une valeur sur son chèque, cela peut être en dizaine, en centaines, en milliers, en millions, en milliards, peu importe. Ensuite, les autres joueurs vont secrètement inscrire à leur tour sur leur chèque ardoise, la valeur à laquelle ils sont prêts à acheter l’entreprise en question.
Une fois que l’adjudicateur a en main tous les chèques, il va en prendre connaissance, et attribuer l’entreprise au joueur qui aura proposé la somme la plus importante … mais cela reste secret. Il note toutefois la valeur d’achat sous la tuile, et l’on passe au suivant qui va devenir l’adjudicateur à son tour et révéler une nouvelle entreprise. Je vous propose une entreprise japonaise dans l’agro-alimentaire, elle rapporte 3 points de victoire, mise à prix : 150 000 € !
Transparence
Chaque entreprise comprend plusieurs informations : d’abord des points de victoire, d’un à quatre points, un secteur économique (industrie, agriculture, finances ou encore immobilier), et enfin une origine, celle de nos nations.
C’est bien sûr tout cela qui déterminera des intérêts plus ou moins forts. Par exemple, il est plutôt bien vu de nationaliser des entreprises (cela rapporte plus de points), quant aux secteurs économiques, on gagnera plus de points si l’on achète beaucoup d’entreprises d’un type, c’est ce que l’on appelle le monopole. On peut préférer la variété si à l’inverse on a une stratégie de diversification.
Toutes ces informations sont publiques, par conséquent nos intérêts seront divergents sur chaque enchère en fonction de son origine, sa valeur et finalement son secteur d’activité.
Opacité
À chaque tour, seuls l’acheteur et l’adjudicateur savent combien cette entreprise a été payée, les autres peuvent juste estimer selon la valeur qu’ils ont proposée puisqu’elle n’a pas été suffisante. Ils connaissent aussi la valeur minimale, puisque c’est celle que l’adjudicateur a proposée.
Mais comme ce rôle tourne, on a tous une part de l’information, et c’est là que ça devient drôle, car on voit passer des sommes astronomiques que l’on n’avait pas nécessairement envisagées. Le tour suivant, pour rester dans la course, on rentre dans cette folie, et à notre tour on propose des sommes mirobolantes. Et s’ensuit une incroyable fuite en avant.
Enchère mystificatrice
Si la mécanique d’enchère nous plait, c’est probablement qu’elle nous pousse au vice et qu’elle est euphorisante, ici c’est encore plus vrai que d’habitude, on a tendance à s’emballer encore plus (après tout ce n’est pas notre argent, mais celui du peuple ;))
Sous son thème intimidant, QE vire rapidement du côté du jeu d’ambiance, pour peu que l’on ait la bonne tablée autour. On fait corps avec sa nation. On parle beaucoup. On se perd en conjectures qui n’ont aucune utilité dans le jeu sauf justement animer la table. Il peut même se jouer un léger bluff. On n’est jamais autorisé à révéler une valeur d’achat, mais on peut très bien le suggérer.
Quoiqu’il en coûte !
Comme on n’a que des informations partielles, on va dépenser sans compter et cela va devenir vertigineux. Dans une partie, j’ai acquis ma première entreprise autour de 25 millions, puis les suivantes ont étés achetées autour de 150 k puis 200, 250 et la dernière plus de 500 000 …
En fin de partie, la joueuse ou le joueur qui aura le plus dépensé aura été responsable d’une inflation record dans son pays et il sera éliminé directement. Et il n’est pas rare que l’on ait des surprises. Celui ou celle qui a dépensé le moins gagne un bonus de points. Le décompte est malin, comme dit plus haut, cela reste plutôt transparent et on voit très bien où en sont les joueurs.
La main invisible des joueurs
Et oui, comme le but reste de marquer le plus de points de victoire, on va fatalement proposer des valeurs de plus en plus fortes, car il va falloir accueillir des entreprises dans notre giron.
Il y a deux cas où le jeu s’écroule comme un soufflé : si un joueur n’a pas intégré la notion de l’élimination, dans ce cas il va favoriser fortement le joueur qui aura le plus dépensé après lui, une sorte de faiseur de roi. Mais normalement tout le monde va essayer de tirer les marrons du feu de cette situation. Cela devient aussi compliqué si quelqu’un à la table est trop timoré, car il ne sera pas dans la course.
En général, le marché (ou plutôt les dépenses) s’équilibre ; Adam Smith avait raison il y a bien une main invisible ^^ Si un joueur dépense énormément on peut comprendre qu’il va être hors jeu, mais les autres vont être enclin à dilapider aussi beaucoup pour acquérir des entreprises … et c’est là qu’il peut y avoir des surprises.
Originellement, le jeu était prévu pour quatre personnes, et il a été ajouté une cinquième nation, qui permet de jouer désormais avec cinq spéculateurs. Nous avons préféré la version pour quatre joueurs qui nous semble la plus équilibrée.
Les illustrations sont sobres et efficaces, bravo à Anca Gavril. J’émets une réserve (obligataire ,^^) sur le matériel et plus spécifiquement les feutres qui montrent déjà quelques signes de fatigue.
QE s’avère une excellente surprise. Les règles s’expliquent assez rapidement et on est vite dans la course à l’échalote. L’auteur aurait peut-être pu choisir un thème plus funky, mais il a préféré le parti pris du “réalisme” qui mettra de côté certains joueurs, mais qui ravira celles et ceux qui ont envie de jouer avec le cynisme de ces hommes d’affaires flambant de l’argent qu’ils n’ont pas, jonglant avec les fausses informations et les délits d’initiés. Il fallait oser, et c’est réussi.
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Mahg 10/12/2021
Un Ponzi Scheme à un prix raisonnable, ça fait plaisir!
morlockbob 12/12/2021
Un jeu plus joli que sa boîte et bien foutu.Pour moi juste un bémol sur le début du jeu et par rapport à la pénalité liée à celui qui a dépenser le plus (indispensable néanmoins). La première enchère est déterminante : inscrivez 100 Millions, vous avez déjà perdu la partie, tout le monde va s’évertuer à parier sans dépasser cette somme et vous êtes cuit. Cela a freiné le délire annoncé sur la boîte de pouvoir parier 1000 milliards, ou alors j ai joué avec des comptables sans le savoir.