Prohis – Je vous demande de vous arrêter !
La caisse de matos
Prohis est une petite boîte made in Blackrock éditions. Vous allez me dire, on n’en a pas entendu parler, déjà ? Ben si. L’auteur, rencontré à Essen, nous a fait le plaisir de nous accorder une interview et nous a parlé du jeu. La suite ici si ça vous intéresse. Il vous explique plutôt bien les tenants et aboutissants du jeu, d’ailleurs. Et puis on a parlé à l’éditeur aussi, ici.
La boîte elle-même est toilée, mais pas les cartes. C’est tout à fait standard dans le milieu, mais lorsqu’on manipule les cartes à longueur de partie comme à Prohis, le matériel finit inévitablement par s’abîmer un peu. C’est pourquoi j’aurais préféré un toilage, certes plus onéreux. Le boulot d’illustration de Tony Rochon est très joli, mais on regrettera les caisses de marchandises, très plates par rapport au reste des illustrations.
Jeux interdits
Rappelons tout de même le principe. On est des contrebandiers qui cherchent à accumuler des sous. A notre tour, on a deux options :
- Piocher une à deux cartes, (dont une minimum) dans un pool de cartes visibles.
- Envoyer un convoi de 2 à 4 cartes faces cachées.
Si votre convoi n’est pas contrôlé, c’est bon pour vous, vous mettez tout ça dans votre entrepôt (zone de scoring) après avoir montré combien vous avez grugé, et surtout combien ils peuvent être dégoûtés. Bah ouais, c’est ça la vie. Quand on contrôle un convoi – c’est la que le jeu prend tout son sel – on le fait avec une carte agent de force 1, 2 ou 3. Le policier révélera 1, 2 ou 3 marchandises. S’il ne tombe que sur des marchandises légales, c’est l’échec : le policier va dans la main de son adversaire.
Un convoi contrôlé légal. Le flic va dans la main du contrôlé, le convoi est marqué par le contrôlé.
Si un autre flic ou une marchandise illégale est révélée, l’inspection s’arrête immédiatement. Le flic fait échouer l’inspection, alors que la marchandise illégale la fait réussir. Si une inspection est réussie, le policier marque le convoi et son policier. En fin de partie, les cartes policier encore en main valent quelques points. En revanche, les marchandises légales ne valent rien, et les marchandises illégales, elles, comptent en négatif !
Convoi illégal. Le contrôleur marque le policier et l’intégralité du convoi. (Note : on estime que la marchandise illégale a été retournée en dernier)
Un indicateur est présent ! Le convoi est marqué par le contrôlé, policier compris, et le contrôlé récupère le flic adverse en main. (Note : on estime que l’indic a été retourné en dernier)
Not on my watch !
Prohis est très indépendant de son texte. Complètement, même. Ce qui rend la règle un peu ardue à lire quand elle parle d’inspecteurs, de capitaines et de lieutenants… sachant que l’association n’est pas transparente, et que du français à l’anglais les titres sont différents, bien sûr. On préférera du coup les « flics à 1 », « flics à 2 » et « flics à 3 ». Mais il faut ça pour que le matériel de jeu soit complètement indépendant du langage, je suppose…
Mais en dehors de cela, Prohis mènera très vite au sacro-saint bluff. Puisqu’on peut faire des convois à base de légal, d’illégal et de policiers, on finira forcément par tenter des coups vicieux. Et à se faire pincer en essayant de passer du lourd, ou à piéger les autres en ne passant que du légal coup sur coup. L’observation importe, puisqu’au moins une des cartes doit être prise de façon visible.
Les parties se succédant, les joueurs commencent à se faire des coups fourrés, à savoir qui bluffe beaucoup, ou pas. Qui est dangereux. On s’acharne contre le toujours-gagnant, mais il ne faudrait pas qu’un autre larron prenne sa place… L’individualisme gagne les joueurs les plus altruistes ! Réussite de ce côté-là pour Prohis.
Sois sympa, vérifie pas mon convoi
L’aspect bluff n’est pas le seul à rentrer en compte. Comme les joueurs dissimulent leurs prises, on se fie parfois au tas le plus gros pour savoir qui a le plus de cartes. Comme il faut révéler les cartes que l’on marque, il est tout à fait possible que la taille du tas et celle du score ne soient pas vraiment corrélées.
Et quand un joueur s’annonce pour vérifier un convoi, il est toujours possible de le corrompre à coup de marchandises et/ou de flics. On lui propose un certain nombre de cartes pour le persuader de ne pas vérifier le contenu du convoi… Bien sûr, tout flic peut refuser le pot-de-vin s’il ne l’estime pas à la hauteur de ses attentes.
Les relations avec les autres joueurs ne tournent pas autour d’un conflit ouvert : bien au contraire, on va envier les contrebandes de ses adversaires, se dire qu’ils sont sûrement trop gourmands. Plutôt qu’une tactique définie, on préférera largement parler d’ambition, de corruption et de jalousie ; des sensations plutôt rares dans le jeu de société, et plutôt bien dans le thème !
Il est possible que la sauce ne prenne pas, et ce fut le cas avec un de mes groupes de joueurs. Pour peu que j’analyse le phénomène, je dirais que ce qui n’a pas collé, c’est l’ambiance. Ledit groupe cherchait du calculatoire, alors que Prohis ne met pas ce genre de donnée en avant. Bien au contraire, on rentre dans le personnel, et dans le jugement. Le calcul est une donnée qui vient ensuite, et qui, avec ce nombre d’infos cachées, n’est pas la meilleure approche (même si tout à fait valable).
Est-ce que vous allez accepter le pot-de-vin ? Est-ce qu’il faut seulement proposer de corrompre telle ou telle personne ? À combien peut-on acheter ce joueur ?
Comme les cartes policier vont tourner, les parties se dynamisent et les contrôles se multiplient. Pour autant, les joueurs qui piochent des policiers supplémentaires sont avantagés par rapport aux autres… Voilà peut-être le seul « défaut » de Prohis : on est limités à cette pioche, souvent injuste. Mais en se débrouillant bien, on peut tromper le hasard, brouiller les pistes et provoquer un contrôle sur du tout-légal, par exemple… La bonne pioche n’enferme pas le jeu dans une issue fatale, fort heureusement !
En fin de partie, il fait mauvais avoir des marchandises illégales en main… on peut donc parier que les derniers coups seront rouges, et pas verts du tout !
Au final, Prohis est un bon jeu d’ambiance, car il sait installer la méfiance autour de la table et susciter des sentiments rares en jeu. Mais son habillage manque un chouïa de beauté, et il manque certainement d’une ou deux petites complications pour en faire un excellent jeu. Rien que pour l’ambiance, en tout cas, je le recommande !
Notez que le thème de la prohibition est quelque peu adulte, quoi que le jeu aie des chances de très bien passer en famille. On aura meilleur compte à mettre les plus jeunes au Shériff de Nottingham (notre vidéo à la GenCon ici), plus coloré et plus joli. Prohis a cependant tous les arguments pour lui tenir tête, et on espère que vous arriverez à vous le procurer chez votre contrebandier ludique ! Le tout pour une quinzaine ou une vingtaine d’euros, suivant les tarifs de votre receleur. On souhaite que ce jeu au thème plutôt original de chez Blackrock trouve son public. 🙂
À bas la loi Volstead !
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