Poser des lapins sans culpabiliser ! [Bunny Kingdom]
Le Roi Lapinot était avide de carottes d’or, et malheureusement, les terres du Royaume n’étaient pas en mesure d’en produire suffisamment afin d’étancher sa soif. C’est pourquoi, le jour où les éclaireurs furent de retour dans la salle du trône avec d’heureuses nouvelles des frontières extérieures, le Roi Lapinot renversa son cocktail d’un geste maladroit, avant de convoquer ses Seigneurs Lapin les plus valeureux. Chacun d’entre eux fut alors chargé de réunir ses hommes (enfin ses lapins) afin de partir installer de nouvelles colonies.
La promesse du Roi de donner le titre de Grandes Oreilles au Seigneur le plus prometteur mis rapidement le feu au poudre, entraînant la discorde parmi les nobles lapins. Ceux-ci s’empressèrent alors de prendre la route afin de partir à la conquête de ces terres pleines de promesses.
Il ne fallu pas longtemps à ce nouveau territoire pour devenir le siège d’une rivalité croissante.
Vous aimez bien le sanglier lapin, vous les gaulois ?
Le premier contact avec le jeu est la superbe couverture de la boîte. Comme souvent avec Iello, l’utilisation du vernis ajoute une plus-value indéniable à l’esthétique de l’ensemble, mettant en valeur la typographie du titre et le Seigneur Lapin se dressant au milieu de son armée. On se demande cependant si le jeu va tourner à l’affrontement, car le positionnement de cette ribambelle de lapins fait penser à un rassemblement de forces avant l’assaut. Le sourire amical du Seigneur exclut pourtant toute notion d’animosité.
Notre curiosité attisée, ouvrons donc le couvercle et découvrons ensemble un rangement cartonné qui, sans être irréprochable au niveau de son ergonomie, donne un petit effet luxe avec sa décoration bois qui trompe facilement le regard.
On y trouve des jolies petites figurines de lapins (oui, je sais, je risque d’évoquer souvent ces petits mammifères) de quatre couleurs différentes (quelle désillusion de ne pas y voir de vert), des figurines de forteresses (ornées de une, deux ou trois tours), une poignée de jetons, et un énorme paquet de cartes (182 au total, excusez du peu).
En plus de ces éléments, on découvre également un plateau plié en quatre, qui semble un peu exigu une fois déployé sur la table. J’aurai préféré quelque chose d’un peu plus grand afin de mieux faire ressortir les détails des illustrations, et de repérer plus facilement les différentes sections (surtout les coulées de lave).
Une fois les figurines de nos amis à grandes oreilles placées dessus, on a une impression de fouillis et on ne distingue plus très bien les choses. De la même façon, la piste de score est constituée de cases étroites qui ne permettent pas d’y faire tenir les marqueurs de plusieurs joueurs (ce qui est dommageable principalement en début de partie où les écarts de points carottes d’or sont faibles).
L’ensemble reste cependant très cohérent graphiquement et assez facile à manipuler si on a des doigts à l’échelle de nos héros. Notons que les illustrations de Paul Mafayon sont superbes et fourmillent de détails. J’ai vraiment eu un gros coup de cœur pour la diversité des dessins des cartes qui ne sont pas pour rien dans le plaisir de déployer le matériel du jeu sur la table.
Bien évidemment, que serait un jeu sans ses règles ? Celles de Bunny Kingdom sont bien pensées et riches en exemples pertinents qui ôtent toute ambiguïté. On peut rapidement se lancer dans une partie sans avoir peur de se perdre dans les méandres d’un fascicule compliqué. La dernière page résume l’ensemble du livret et permet de se rafraîchir la mémoire lorsque le jeu est resté trop longtemps au placard.
Quoi de neuf docteur ?
Maintenant que nous avons observé les forces en présence, il est grand temps de passer aux choses sérieuses et de plonger dans le vif du sujet : comment faire pour obtenir le titre de Grandes Oreilles ?!
Comme vous l’avez compris avec vos esprits affûtés, le but du jeu est de parcourir un nouveau monde avec vos hordes de fidèles afin de récupérer le plus possible de carottes d’or, histoire de faire plaisir à votre vénéré souverain (et surtout de devenir respecté de tous).
Pour cela, la partie sera divisée en quatre manches. Au cours d’une de ces manches, on distribuera un certain nombre de cartes à tous les joueurs. Chacun devra alors choisir secrètement deux cartes avant de passer celles qu’il ne désire pas conserver à son voisin : c’est le système bien connu du draft (on tournera en sens horaire pour les manches impaires, et en sens anti-horaire – l’autre sens donc – pour les manches paires).
Bien entendu, il ne s’agira pas de sélectionner ses cartes au hasard, et comme chacun le sait, tout choix est un renoncement. Il existe quatre types de cartes :
Territoire : C’est avec elles que vous poserez le plus de lapins (!) et renforcerez vos positions sur le plateau. En effet, ce dernier est constitué d’un quadrillage avec des colonnes de 1 à 10 et des lignes de A à J. Les cartes « territoire » (au nombre de 100, soit une par case) vous permettront de vous installer sur la case correspondante, indépendamment du fait qu’il s’agisse d’un champ, d’une forêt, d’une mer, d’une plaine, d’une montagne, ou d’une cité. Elles seront à usage immédiat.
Construction : Il existe quatre type de constructions. Les Exploitations permettront de produire de nouvelles ressources (de base ou de luxe) sur les cases où nos propres lapins auront élu domicile : à noter que certaines ressources ne pourront être installées que sur certains territoires (les champignons dans la forêt par exemple).
Les cités vous donneront la possibilité d’ériger des forteresses de niveau 1, 2 ou 3 (sachant que ces dernières ne pourront être bâties que dans les montagnes).
Les campements autorisent un de vos lapins à se positionner sur n’importe quelle case vierge du plateau (attention à ne pas vous faire déloger dans une manche future).
Et enfin les relais aériens permettant de relier vos fiefs afin de les unifier malgré leur distance sur le plateau.
Toutes ces cartes seront jouées uniquement en fin de manche avec la limitation suivante : une seule construction par case (les constructions ne pouvant pas être réalisées seront perdues).
Ravitaillement : Ces cartes (3 seulement) permettent d’accélérer votre déploiement dans le Royaume. Vous piochez immédiatement deux cartes au hasard : un bon moyen de prendre vos adversaires de court, mais en agissant complètement à l’aveugle.
Parchemin : C’est une façon discrète de collecter de nombreuses carottes d’or en fin de partie, au nez et à la barbe de vos adversaires. Une fois conservées, ces cartes sont disposées faces cachées devant vous, et ne seront révélées qu’en fin de partie. Elles représentent des missions que votre Souverain vous a ordonné d’accomplir ou encore des trésors qui rapportent des carottes d’or sans condition.
C’est bien gentil tout ça, mais jouer des cartes n’a jamais permis de conquérir le monde (et ce n’est pas Minus et Cortex qui me contrediront). À la fin de chaque manche, on passe à la phase de collecte : c’est le moment de faire le plein de carottes d’or ! Pour connaître le montant du pactole, ce n’est pas très compliqué (c’est à la portée de n’importe quel lapereau de six semaines!) : pour chacun de ses fiefs, il suffit de multiplier le nombre de tours par le nombre de ressources différentes à l’intérieur de celui-ci. Précisons qu’un fief est un ensemble de territoires (contenant un de nos lapins) connectés orthogonalement (attention aux coulées de lave dans les montagnes qui sont des frontières coupant potentiellement vos fiefs).
On recommencera ensuite : phase de draft (appelée ici phase d’exploration), phase de construction (pendant laquelle on utilisera nos cartes… construction), et phase de récolte, pendant chacune des quatre manches de la partie.
Enfin, on révélera les cartes parchemins récupérées et on gagnera des carottes d’or supplémentaires pour les missions réussies et pour les trésors. Le gagnant sera le Seigneur ayant collecté le plus de carottes d’or.
Un titre à jeter à la trempette ?
Que donne ce Bunny Kingdom et quelles sont mes premières impressions sur cette partie de découverte ? Eh bien, je dois l’avouer, j’ai été un peu déçu lors de cette première conquête. J’ai enchaîné quelques parties supplémentaires à 3 et 4 joueurs, et cette impression initiale peu flatteuse heureusement ne durât pas.
Le titre est déconcertant, car malgré son habillage graphique plutôt enfantin, il s’agit en fait d’un jeu de placement et d’optimisation extrêmement calculatoire qui laisse peu de marge aux mauvais choix (même si un tirage peu favorable est toujours possible). Du coup, si vous êtes à la recherche d’un jeu purement familial, passez votre chemin (même si la boîte est attrayante), vous éviterez une réelle déconvenue.
On peut facilement se retrouver complètement largué au score en laissant échapper un adversaire qui profitera d’une position tranquille et isolée pour faire ses points. Surveillez les autres ! Et oui, malgré une interaction indirecte qui semble de prime abord faiblarde, il faudra en permanence épier ce que tout le monde joue autour de la table. Récupérer une carte importante afin d’en priver un concurrent est parfois indispensable (j’ai pu lire que le contre-draft était inutile, et je trouve qu’il s’agit d’un raisonnement qui ne peut que vous conduire à la défaite).
Par conséquent, la mention 12 ans et + est à mon avis entièrement justifiée, malgré le fait qu’on puisse y jouer à un âge moins avancé, force est de constater que les petits levrauts ne prendront peut-être pas autant de plaisir que leurs aînés. Le jeu présente également une courbe d’apprentissage très agréable car la connaissance des cartes parchemins permettra de jouer plus en finesse et de mieux se concentrer sur une tactique précise.
Ces cartes parchemins entraînent cependant un bémol que m’a souligné notre chère Shanouillette : le temps passé à effectuer les décomptes (intermédiaires et final). En effet, si les deux, voire trois premiers décomptes se déroulent sans accroc (après un effort de concentration afin de ne rien oublier à cause de la mauvaise visibilité sur le plateau tout de même), on ne peut pas en dire autant pour le grand final. Ceci est tout particulièrement vrai à 4 joueurs, car il y a une multiplication de parchemins (mention spéciale aux cartes copiant les objectifs de son voisin de gauche ou de droite) et de fiefs.
Si vous trouvez que 10 minutes passées à évaluer le dernier scoring alors que la partie a duré 34 minutes avant cette dernière phase (montre en main) est acceptable, alors un des critères pour l’acquisition de Bunny Kingdom est rempli [temps défini après 6 parties, et une relative connaissance du jeu].
Cela est d’autant plus dommage que le jeu est très fluide par ailleurs, grâce à sa mécanique de draft qui permet à tous les joueurs de planifier simultanément, ce qui évite bien les temps morts.
Quoi qu’il en soit, le jeu s’avère être bien plus malin et retors qu’il n’y paraît, et si vous aimez les jeux calculatoires, la légèreté (de par son thème) et la fluidité de celui-ci pourrait bien vous séduire.
Malgré quelques bémols, Richard Garfield signe un solide opus qui saura sans nul doute trouver son public, que l’on soit plutôt Bibi ou Jojo Lapin (petit clin d’oeil à la jeunesse) !
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Fredovox 04/01/2018
Je partage ton avis en tout points. Bon bilan !
Meeple_Cam 04/01/2018
Ah, va falloir que je retente alors, car je suis resté sur une première impression de beaucoup de hasard sur le tirage. Le comptage de point m’a aussi assez refroidi