Planta Nubo : le plâteau dans le ciel
Le monde de Planta Nubo s’ouvre à nous. Dans un futur proche, la crise climatique est passée. De gigantesques arbres sont apparus et constituant de véritables jardins géants, permettant le développement de fleurs et de forêts, sources d’oxygène pour notre planète. Ils sont bien sûr la clé de notre survie.
En tant que nouvelle civilisation, il va falloir cultiver tout ça pour permettre à l’humanité de se reconstruire en harmonie avec la nature. Beau programme, non ?
Planta Nubo est la nouvelle œuvre de Mike Keller (La Granja, Agra). Initialement cela devait être une adaptation en jeu de dés de : Aux portes de Loyang, créé par Uwe Rosenberg (Agricola, Patchwork, …). Rejoint par ce dernier, puis par Ode (La granja, Cooper Island), le trio d’auteurs a considérablement fait évoluer le jeu pour devenir ce qu’il est aujourd’hui.
Édité par la jeune maison d’édition The Game Builders (qui a édité AppleJack, autre titre d’Uwe Rosenberg), il sera distribué chez nous par SuperMeeple courant 2024. Dans Planta Nubo, vous allez produire de l’oxygène, clé de la survie de l’humanité. Celle de la victoire aussi. Pour cela, il va falloir planter. Planter des parterres de fleurs de différentes espèces, les livrer, et remplacer ces parterres vides par des forêts.
Il faut vous imaginer être au sommet d’un arbre géant. Cela constitue d’ailleurs votre plateau principal pour vos actions de jardinage à l’aide de vos outils. Avoir la main verte ne s’improvise pas.
Au cours de 5 manches, vous allez utiliser 3 de vos 4 outils, tour à tour, pour activer des actions sur un quadrillage de tuiles. Et les possibilités seront multiples : Récupérer des espaces de fleurs à planter, sous forme de polyominos remplis de cubes de fleurs, qu’il faudra placer judicieusement sur votre arbre-jardin. Livrer des fleurs à dos d’abeilles-robots-transporteurs, et d’autres actions diverses comme rajouter de l’énergie à votre robot personnel, gagner des pousses à planter ou encore agrandir votre jardin.
En plus de vos outils, vous aurez la possibilité de faire des livraisons de fleurs dans des containers personnels, activer des modules, remplacer des parterres de fleurs par des forêts, et même bénéficier de l’aide d’un assistant en fonction du dernier outil non utilisé.
Mais pourquoi on s’attelle à tout ce jardinage ? Pour gagner de l’oxygène et de l’énergie verte, pardi ! Bon, l’oxygène, on a compris, c’est ce qui fait gagner la partie. L’énergie verte a une autre utilité, et tout votre développement va tourner autour d’elle, sans jeu de mots. En effet, sa progression se matérialise par une piste circulaire autour de votre jardin parcourue par un dé, chargeant des cartes modules avec des jetons activation ou batterie, chaque fois que le dé passe devant l’un d’eux.
Les modules acquis en cours de partie se placeront autour de la piste d’énergie verte, et vont permettre de déployer votre jeu, de le construire, de l’articuler.
Deux types de modules sont possibles, ceux dont il faut dépenser un jeton activation pour déclencher le bonus, et ceux dont la puissance de l’activation se fera en fonction du nombre de batteries présentes dessus.
Bien évidemment, on veut toujours plus de modules pour parfaire son jardin, donc son jeu. Mais le pendant est que plus vous aurez de modules, moins la progression circulaire de l’énergie verte sera rapide, et plus il sera difficile d’obtenir ces précieux jetons d’activation. Il faudra trouver le bon équilibre.
Les modules disposent aussi de pots de fleurs, pour y stocker nos cubes de fleurs et libérer de l’espace sur nos parterres. Surement une idée de Uwe, qui avait déjà utilisé cet élément vital à tout jardinier dans Cottage Garden. Ces pots seront la clé de l’optimisation de vos livraisons de fleurs, ainsi que de quelques points d’oxygène supplémentaires de fin de partie. Ils seront à utiliser à bon escient.
Vous aurez enfin l’aide d‘un robot, devant être alimenté par sa propre énergie, car le jeu se veut Solar Punk. Ce dernier vous sera très utile pour faire une double action par manche, ou activer certains modules.
Les forêts viendront finaliser votre jardin, car, vous l’aurez noté, on fait pousser des forêts en haut de votre arbre. Ces forêts, demandant un espace de votre jardin vidé de tous ces cubes de fleurs, seront généreuses en points d’oxygène, et parfois en revenu de fin de manche.
Au fur et à mesure de la partie, on rajoutera à notre réseau d’énergie verte des fermes à oxygène, qui sont des générateurs de points d’oxygène (sous conditions) en fin de partie, mais qui ralentiront aussi la progression de l’énergie verte.
Au terme des 5 manches du jeu, c’est celui qui aura produit le plus d’oxygène qui gagnera la partie.
Flower Power
Planta Nubo se place dans la catégorie des jeux experts, sans discussion possible. La multitude de mécaniques et de possibilités entre les différentes actions vont faire carburer nos cerveaux à plein régime.
La première entrée dans le jeu est délicate, en raison d’un livret de règles peu agréable à lire. En dehors du fait qu’il soit en anglais, une première lecture ne permet pas de comprendre aisément comment le jeu va s’articuler. Une explication par une personne connaissant déjà le jeu peut s’avérer salvatrice pour ne pas s’empêtrer dans la première partie.
J’ai cru lire que les règles seront réorganisées dans la prochaine version française, ce qui sera le bienvenu.
L’installation du jeu peut être assez impressionnante, et prévoyez d’ores et déjà une table de taille respectable pour tout faire tenir. Entre les plateaux personnels, le plateau jardin de chacun où il faut laisser de l’espace autour, le plateau central et la zone des tuiles actions, votre table va devenir un patchwork de composants. Néanmoins, ce qui se présente devant nous est réussi visuellement et donne envie de se lancer.
L’iconographie, très présente, demande un temps d’adaptation, mais s’avère claire avec la pratique.
La force de Planta Nubo réside dans la gestion extrêmement fine des possibilités du jeu. On reconnait bien là la patte d’auteurs Allemands connus et reconnus, dont l’évocation seule des noms suffit à faire lever la tête les joueurs aimant pousser du cube en bois.
L’ensemble des mécaniques s’accordent minutieusement entre-elles, telles des rouages parfaitement huilés. Tout s’imbrique, s’organise, alors que cela aurait pu facilement se gripper. On va retrouver de la pose de polyominos, chère à Uwe Rosenberg, du blocage indirect sur les actions, de la mise en place d’un moteur pour progresser sur tous les aspects du jeu, de la gestion de ressources via les fleurs et les jetons d’activation d’usine, du Pick & Delivery pour livrer les fleurs et libérer ses parterres. Tout ce qui fait la force des jeux « à l’allemande » se retrouve dans Planta Nubo, et ça fonctionne.
La pose de polyominos est peu contraignante. Mise à part qu’il va falloir vite agrandir son jardin, c’est assez adaptable, bien que la pose optimisée de parterres de fleurs sera nécessaire pour placer les forêts. Nous avons des pions pousses que l’on peut utiliser gratuitement pour combler les éventuels trous que l’on aurait laissé entre nos polyominos.
La pose des outils sur les tuiles action est une mécanique adaptée de la pose d’ouvriers bloquant une action, en plus souple. Ici, ce n’est pas l’outil qui va bloquer une action, mais sa couleur (ou son type). Les autres joueurs ne pourront activer une tuile avec un de leurs outils que si la couleur de l’outil n’est pas présente autour de la tuile action. C’est peut-être là où l’interaction sera la plus forte dans le jeu, car il faudra s’adapter aux outils déjà présents. D’autant que le dernier outil restant de chaque joueur détermine le bonus assistant de fin de manche.
On pourrait se laisser tromper par le fait qu’on n’effectue que 3 actions par manche, mais on comprend vite que le cœur du jeu va être autour de l’activation des modules et la progression de l’énergie verte, qui permettront de mettre en place notre moteur, de donner plus de puissance à notre jeu, de faire plus de choses, mais qui rendront la progression plus lente pour l’obtention des précieux sésames d’activation. Et c’est une réelle satisfaction de réussir à construire ce moteur. La progression de notre dé (qu’on ne lance jamais, mais augmenter sa valeur aura des effets bénéfiques), sera un élément essentiel au dynamisme de votre jeu.
On retrouvera un petit air des « Ruines perdues de Narak » avec le système de balancier entre les cartes modules et les fermes à Oxygène, qui évolue au cours des manches, avec de moins en moins de modules disponibles pour de plus en plus de fermes. Une piste d’amélioration permettra, elle, d’obtenir des bonus importants, mais sous conditions, cela pouvant orienter votre manière de vous développer.
Sans oublier la gestion de notre robot personnel, dont il faudra s’assurer de la disponibilité de son énergie tant il peut être utile dans certaines situations. Sans conteste, on peut affirmer que l’imbrication des mécaniques sur l’ensemble des actions est un travail d’orfèvre particulièrement réussi.
Un thème à l’odeur d’absinthe
Malheureusement, cette finesse intellectuelle se fait au détriment … de la thématique qui s’efface complètement de la partie.
Pourtant, des efforts importants ont été faits sur la promotion du jeu et l’univers innovant qu’il amène, avec même un roman à la clé (Je ne l’ai pas lu, c’est en allemand), ce qui est assez rare sur un jeu de cet acabit. Le jeu veut nous propulser dans ce futur non post apocalyptique (pour une fois…), en parfait accord avec la nature pour produire de l’énergie verte à partir de fleurs.
La couverture de la boîte nous fait miroiter ce futur bucolique à construire, et cela a été, pour moi, une première accroche forte, avec une référence évidente au film « Laputa, le château dans le ciel » de Hayao Myazaki, où on retrouve d’ailleurs quelques clins d’œil prononcés : les robots qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau, les abeilles volantes proches des véhicules des héros, sans oublier l’aspect nature omniprésent. On pourrait presque voir Pazu et Sheeta, les héros du film, atterrir sur notre arbre à jardin.
Or tout cela s’envole dés qu’on commence notre partie. À aucun moment je ne me suis senti transporté dans l’univers créé. Les mécaniques sont extrêmement calibrées, mais je n’ai pas vécu quelque chose dans cet univers. Seul compte finalement l’obtention des points d’oxygène et d’énergie verte. Vulgairement, on dirait que le thème est plaqué, mais ce n’est même pas le bon terme. Il disparaît dans le ballet des abeilles-robots-transporteurs. Dommage car j’aurai vraiment aimé être immergé dans cet univers, mieux ressentir ce que les auteurs ont voulu nous partager.
Le jeu propose aussi un mode solo, mais j’ai abandonné avant la fin tant la maintenance du joueur, simulée par un automate, était fastidieuse. Dommage pour cet aspect.
Planta Nubo est un des candidats au prestigieux prix expert des diamant d’or 2024. Est-ce qu’il y mérite sa place? Assurément !
C’est un des jeux experts qui a su le plus me convaincre ces derniers mois sur la finesse de son gameplay, sa complexité riche sans lourdeur, sa courbe de progression qu’on ressent d’une partie à l’autre, bien que son thème aurait pu être mieux exploité.
Gagnera-t-il par rapport à d’autres de la sélection ? J’aimerai, pour ma part, qu’il soit dans le trio de tête, mais le jury fera son choix (et je n’ai pas joué à tous les jeux de la sélection…).
Cela faisait longtemps que j’attendais un jeu de Uwe Rosenberg qui me donne envie d’y jouer et rejouer. Planta Nubo est enfin celui-ci. La coopération avec Keller et Ode a su redonner un peu de souffle à ses derniers jeux qui, pour moi, n’apportaient pas de réelles nouveautés. Un beau jeu, un bon jeu. Ça fait plaisir pour lancer l’année ludique 2024.
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