Paneveggio : Déroulez votre partition

Le parc naturel de Paneveggio, situé en Italie, est une zone protégée réputée pour la qualité des bois, servant à la fabrication d’instruments de musique.
C’est aussi désormais le nom du premier jeu de Lionel Graveleau, qui n’est pas un iconnu dans la sphère ludique, eu égard notamment à sa présence de longue date sur les forums de Tric-Trac (sous le pseudonyme de ocelau) et ses années de rédacteur dans le magazine Plato.

Le tout sort chez Creative and Cool, une maison d’édition fondée à l’été 2024 par un groupe de sept joueurs devenus amis. Il s’agit de leur troisième titre édité, après Quadri puis Djeser.

 

Une question d’harmonie

Cette sortie est l’aboutissement d’un long travail de développement pour l’auteur, qui dévoile une partie de son cheminement dans un carnet d’auteur. Si le corpus de règles n’est pas le plus massif qui soit, le public visé est ouvertement expert, du fait des nombreuses subtilités et surtout de son gameplay atypique, propre à en dérouter plus d’un.

Les joueurs endossent le rôle de jeunes luthiers qui lancent leur propre atelier. Il s’agit d’une course, car la partie prend fin lorsqu’un joueur a confectionné 12 violons. En terme de scoring, il n’y a que deux sources de points : les violons eux-mêmes (de 1 à 4 points chaque) et les cartes Apprentis (jusqu’à 4 points également).


Partie à 4 joueurs : pas besoin d’une table immense.

Les objectifs généraux et la structure du jeu sont particulièrement lisibles, puisqu’à son tour, on se contente de dérouler une séquence de jeu au choix parmi deux : Atelier ou bien Convervation. Simple en apparence, mais cela se complique dès qu’on rentre dans les détails, et encore plus pour jouer correctement. C’est peu de dire que Lionel Graveleau ne s’est pas lancé dans le grand bain avec un jeu prémâché.

Pour palier à cette prise en main potentiellement abrupte, les decks « pré-construits » et la mise en place qui va avec ne sont pas de trop : on peut ainsi se laisser plus ou moins porter lors des premiers tours de la partie de découverte.

 

Garder le rythme

La séquence de Convervation est la moins fréquemment déroulée : il s’agit en fait d’une respiration, plus ou moins fréquemment souhaitable et/ou nécessaire, et qui de fait sera désynchronisée selon les joueurs.

Le cœur du jeu se situe en réalité dans la séquence dite de l’Atelier, qui est celle faisant intervenir le concept le plus évidemment original de Paneveggio : la partition. Il s’agit d’enchaîner plusieurs actions, dont l’ordre, la nature, et l’intensité, sont déterminées par le placement de « notes » sur son plateau personnel.


De gauche à droite : la séquence commencera par une action Bois de 2 temps, puis une action Etude de 1 temps, etc.

Les enjeux autours de cette partition sont multiples : non seulement la bonne optimisation des actions en fonction de la situation est un casse-tête d’importance, mais en sus, la pose de chaque carte Apprenti est conditionnée à la présence d’un certain pattern de notes successives sur sa partition.
Or, ces cartes sont loin d’être anodines, car elles fournissent à la fois un pouvoir permanent (souvent une sorte de mini-action bonus), mais aussi des points de fin de partie conditionnels qui pourraient bien faire la différence.


Cet apprenti veut de la diversité.

Certaines actions semblent devoir s’ordonner de manière logique. Pour confectionner un violon (et le confier par là même à un musicien), il faudra avoir préalablement créé un Bois. Eh bien oui mais non, c’est loin d’être si simple ; car les violons s’usent à chaque tour, et il est souvent préférable de s’appuyer sur un bois de grande qualité. Comme les bois en stock vieillissent eux-même à chaque tour, l’ordre inverse (créer un bois, le laisser vieillir puis confectionner lors d’un tour ultérieur) devient une technique tout aussi valable.
Autre exemple : l’action dite de Restauration permet de prévenir l’usure d’un ou plusieurs violons existants, et il faudra donc avoir une cible intéressante au moment où elle s’exécute.

Deux autres actions, un peu moins fortement couplées (ou disons avec un effet minimum assuré), peuvent s’intercaler de manière moins cruciale dans le déroulé de la partition. Néanmoins leur timing reste rarement tout à fait anodin. Il serait dommage de ne pas pouvoir appliquer son action de création de Bois faute du ducat nécessaire, alors même que l’action Relation, qui arrive juste après, aurait pu me permettre d’obtenir ce ducat.

Pour couronner le tout, les cartes en main sont à usage double : soit pour leur type et effet, soit en tant que renforcement d’une action en cours (de la couleur de la carte). Cette souplesse bienvenue permet de palier à des déroulées sinon suboptimaux, par exemple en rendant possible d’activation d’un effet de niveau 2 alors que la note n’est que de 1 temps. D’un autre côté, en tant que néophyte, il est facile de se sentir submergé par une telle démultiplication des possibles.


A droite du plateau la zone dite de « Patrimoine » :
des violons qui ne sont plus utilisés et de fait ne se dégradent plus.

 

Jouer de concert

Si nous sommes face à un eurogame relativement solitaire par essence, des efforts ont été produits pour inciter à lever la tête du guidon. Ainsi, on peut échanger une carte de sa main avec une carte du carnet d’adresses (sorte de défausse temporaire) d’un adversaire. Plus subtil encore, on peut restaurer un violon d’un musicien adverse. Outre un retour sur investissement lorsque ce violon vieillira, cela ouvre la voie à la confection d’un autre violon pour ce même musicien. Des incursions dans le jeu des concurrents sont ainsi possibles, en prévoyant bien son enchaînement. Le cas échéant, l’adversaire ainsi visé n’est pas totalement perdant non plus, puisque c’est la garantie que son violon durera plus longtemps.

Même s’il est difficile d’évaluer Paneveggio à l’aune de l’unique partie que nous avons pu faire, il a au minimum le mérite de sortir des sentiers battus, et donne envie de creuser le sujet.

La trouvaille mécanique de la partition a été bien exploitée pour lier des enjeux à plusieurs niveaux : mini-optimisation du tour à court terme, vues à long terme pour se rapprocher d’une disposition nécessaire à un Apprenti. On se prend ainsi à réfléchir à deux (ou trois) fois avant de retoucher sa partition, car toute modification se paye, et défaire pour refaire n’est sans doute pas une bonne idée. Si une vraie maîtrise ne s’acquiert probablement qu’avec l’expérience, l’espace de décision existe dès la découverte, et on se prend à bouger ses premières notes au bout de quelques tours. Difficile par contre, en tant que débutant, de vraiment exploiter les possibilités interactives, tant on a déjà du grain à moudre dans ses propres affaires.

Déclencher divers bonus de placement (lesquels ?), miser sur les musiciens dont l’effet de relation sera approprié, jongler avec les contraintes de pose pour monter progressivement en gamme (finir par livrer un violon à Vivaldi, classe), rester lucide sur la nécessité ou pas d’une Restauration (qui prend un tour complet, mais est-il plus pertinent de continuer au risque de s’épuiser ?) : le challenge est permanent.


Pour pouvoir poser ce musicien, il faudra posséder trois violons de niveau 1+
et trois autres de niveau 2+. Pas forcément pour tout de suite !

Saluons pour finir une proposition s’appuyant sur un matériel restreint, en rupture avec les excès de sur-production dans lesquels tombent désormais un bon nombre de titres expert. Résultat : une mise en place en 5 minutes, pas plus. Et des plateaux « double-couche » pour un prix de vente contenu.

Poncer les jeux est votre dada, et faire vos gammes lors d’une partie de mise en jambes à tâtons ne vous fait pas peur ? Alors il se peut que Paneveggio soit fait pour vous. Verdict à Essen 2025.

 

Un jeu de Lionel Graveleau
Illustré par Apolline Etienne
Edité par Creative and Cool
De 1 à 4 joueurs
A partir de 12 ans
Durée d’une partie constatée : 120 min
Durée d’installation constatée : 5 min
Prix boutique conseillé : 40€
Date de sortie : octobre 2025

 

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3 Commentaires

  1. ocelau 26/08/2025
    Répondre

    Merci beaucoup, ça fait super plaisir de voir le jeu ainsi apprécié bien sûr 🙂 , mais surtout bien compris dans ses intentions.

    Quelques petites notes:

    – niveau terminologie la séquence c’est Conservation et non Restauration 😉 (qui est une action du jeu bien décrite) mais c’est bien le principe décrit avec l’idée de respiration (j’aime bien aussi ce terme 🙂 )

    – niveau interaction, il y a tout l’aspect course aussi et l’adaptation au rythme des adversaires (le rush à faire 2 ou 3 violons par tour est l’une des stratégies possible).
    – niveau scoring, l’idée est bien d’avoir quelque chose d’assez épuré, mais il y aussi des effets en cours de partie qui permettent de valoriser des violons (donc gagner du prestige) et les demandes d’aides parfois précieuses qui elles feront perdre des points.
    (mais ce sont des petits détail 😉 )

  2. Grovast 27/08/2025
    Répondre

    Désolé pour cette confusion, d’autant que je parle ensuite de l’action Restauration

    Je demanderai un correctif dès que possible.

    • ocelau 27/08/2025
      Répondre

      Pas de souci, c’était pour info 😉 , rien qui ne gêne la compréhension de tout façon . Très bonne preview encore une fois , ça m’a même donné un éclairage nouveau sur notamment l’aspect place occupée sur une table et rapidité d’installation.

      J’espère que tu auras l’occasion d’y rejouer et notamment expérimenter la configuration personnalisée (carte + partition) et que le jeu confirmera ta bonne première impression.

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