Pacte avec le diable : N’oubliez pas les petites lignes
Cherche quatre joueurs pour donner leur sa.., heu non pardon, je m’égare, il vous faut juste parapher ce petit document, n’ayez crainte, je l’ai signé moi aussi.
Pacte avec le diable est la nouvelle création de Matus Kotry, l’auteur d’Alchimistes sorti en 2014, et accessoirement mon deuxième article sur Ludovox. Alchimistes fut pour moi un coup de cœur, avec sa mécanique de déduction que l’on résolvait à l’aide d’une application, c’était même révolutionnaire à l’époque.
Ce présent article est écrit à quatre mains, avec mon ami Julien, Diable de son état 🙂
Avec ce titre, on nous propose un jeu prévu uniquement pour 4 joueurs, avec des rôles cachés. Nous incarnons 4 suzerains prêts à tout pour gloires et richesses. Parmi nous loge un Adepte et surtout le Diable. Tout le jeu réside dans les transactions occultes que nous allons mener pour quelques ressources, un peu d’argent et même des morceaux de notre âme.
Comme son précédent jeu, celui-ci nécessite une application qui va gérer les transactions secrètes. En début de partie, chaque coffre contenant tout le matériel des quatre rôles est scanné et attribué aux joueurs.
Au-delà de la contrainte matérielle, le titre requiert surtout quatre joueurs motivés et bien au point sur les règles. Soit vous avez transmis celles-ci à tout le monde, soit un joueur est en capacité de tout bien expliquer, car une fois en jeu, on ne peut plus poser de questions, au risque d’être irrémédiablement trahi.
– Dites, c’est normal que je n’ai pas d’âme dans mon coffre.
-Oui, c’est parce que tu es le diable ! Et pas un diable très malin à mon avis.
Quatre Royaumes sans histoire
– Permettez-moi de me présenter : Diable, pour vous servir. Ou plutôt, c’est vous qui allez servir mes desseins, chers concurrents ; je vous présente mes deux amis Mortels, ainsi que l’Adepte qui a déjà perdu un morceau d’âme.
L’Adepte démarre avec quelques ressources de départ, ainsi que deux morceaux d’âmes (souillées les âmes). Il va devoir la jouer fine pour ne pas dévoiler ses intentions. Son but, est de vendre ses âmes impures au Diable, cela lui donnera des points de victoire. Les humains eux se débattent dans cette existence, ils démarrent avec bien peu et seront probablement tentés de céder leur âme.
Après une phase somme toute assez classique de revenu, nous allons drafter des cartes bâtiments que l’on va construire à la fois pour se construire un moteur, et gagner des points de victoire en fin de partie. Tout ceci est classique et ne mérite pas trop que l’on s’y attarde en fait.
Un jeu qui a du (des) coffre(s)
Avant de jouer nos cartes bien à l’abri derrière notre paravent, on va placer des ressources dans notre coffre et les proposer. C’est ici que l’application entre en jeu, tous les coffres sont scannés, et l’application détermine à qui va chaque coffre. Une fois celui-ci ouvert, soit on réalise la transaction, soit on le referme. Il sera à nouveau proposé à un autre joueur.
Le diable peut demander un morceau d’âme ou deux. Mais en général, il sera généreux en ressources et argent sonnant et trébuchant.
– Oui, enfin, c’est ce que pensent les naïfs Mortels qui espèrent monnayer leur misérable bout d’âme au prix fort. Mais considérons déjà que la générosité envers les Mortels n’entre pas dans le cahier des charges du Diable : affamer, faire miroiter, compter sur le dénuement de ces malheureux pour leur faire accepter un marché de dupes, telle sera l’ambition d’un Diable bien avisé et fidèle à ses principes…
Attention cependant, on a vu des Diables si parcimonieux qu’ils laissaient l’initiative à l’Adepte et aux mortels pour négocier âmes et ressources entre eux, en dédaignant ses offres parfois un peu trop timorées et prudentes. Pour le joueur incarnant le Diable, une des principales difficultés sera donc de rester le plus longtemps possible sur une ligne de crête entre excès et défaut de générosité : il ne devra pas oublier que les fragments d’âmes sont sa principale source de points de victoire lors des phases d’inquisition. Là encore, il faut avoir bien briefé tout le monde, et savoir tenir sa langue, fut-elle fourchue.
C’est certainement lors de cette phase que la profondeur des interactions se révèle le plus, par le jeu des négociations et du double échange de coffres. Chacun a l’opportunité de trouver l’équilibre pour une négociation à son avantage. C’est le moment où chaque joueur va pouvoir faire valoir toutes ses exigences sans se faire démasquer dans son rôle. Nul besoin de bagout, seule compte la finesse de votre proposition.
Une fois que l’on récupère notre propre coffre, on découvre si notre offre a trouvé preneur, ou si elle était peu intéressante et n’a finalement pas eu de succès.
Crédit à la consommation
Avec les ressources dûment gagnées, vous allez pouvoir construire vos bâtiments. S’il vous manque une ressource (ou deux, ou trois,) sachez que vous pouvez toujours emprunter de l’argent, mais ce faisant, vous mettez le doigt dans un engrenage diabolique, car vous devrez payer les intérêts à chaque tour.
Cependant, un endettement savamment planifié pourra parfois vous sauver la mise : quitte à ne pas rembourser sa dette en fin de partie et perdre des points de victoire, quitte aussi parfois à laisser une mécanique de surendettement se mettre en place, emprunter beaucoup vous permettra de construire des bâtiments hors de portée de votre bourse, mais pourra aussi faire croire aux autres joueurs que vous êtes pauvre comme Job…
– … alors que vous êtes peut-être le Diable plein aux as !
Attention aussi de ne pas trop flamber devant les autres royaumes, sans quoi cela pourrait être un peu suspect et attiser la curiosité de nos voisins. Dans l’esprit, il vaut mieux s’endetter, même si vous avez ce qu’il faut, cela permet de noyer le poisson.
– Dans cette phase également, mon naturel de Diable risque fort de revenir au galop : tout Diable digne de ce nom voudra en temps normal s’afficher exubérant, flambeur, cabotin, chambreur, alors qu’ici, la modestie sera de mise pour éviter de me faire pincer la main dans l’escarcelle !
Ces bâtiments manquent de liant thématique, on les construit surtout pour se construire un moteur ou bien pour faire la collection et gagner des hauts faits. On perd la cohérence thématique au contraire des cartes événements. L’achat de bâtiment permet tout de même de détourner l’attention, de brouiller les pistes ; c’est une autre forme d’interaction indirecte du jeu.
– Je déclare solennellement ne pas être en mesure de construire autre chose qu’un Séminaire m’accordant une réduction sur les ailes d’ange, tandis que ce pauvre et innocent Mortel a malencontreusement construit une université qui va plomber sa réputation et attirer l’inquisition sur lui. Je suis machiavélique, mais était-il encore besoin de le prouver ?
La mauvaise réputation
Les cartes Evénement vont permettre au choix de dépenser des ressources afin d’évoluer sur une piste de réputation et prouver votre grandeur d’âme, réparons ces vitraux (en payant du verre) pour redonner sa grandeur à notre chapelle. Ou bien démolissons-la afin de gagner un peu de marbre. On a beaucoup apprécié ces cartes qui nous donnent des choix très tranchés, mais qui en plus sont assez thématiques.
En fin de manche, le joueur avec la meilleure réputation (le plus haut sur la piste) gagne une petite aile d’ange, tandis que celui avec la plus mauvaise « gagne » une aile de démon. Avec les ailes d’ange, on peut s’offrir une indulgence, tandis qu’avoir trop d’ailes de démon risque d’attirer les inquisiteurs sur vous.
– Notez qu’un Diable qui aura fait preuve de bonté se verra pousser des ailes d’ange, ce qui ne manque pas de piquant (mais, on l’aura compris, être Diable est dans ce jeu est un bien dur métier puisqu’il faut savoir faire profil bas en permanence).
Là encore, on est dans du très classique, mais si l’on vend son âme au diable et si le diable souhaite avoir des âmes, c’est pour se cacher aux yeux de l’inquisition, par deux fois dans la partie, les joueurs vont pouvoir essayer de deviner qui est qui. Et surtout, il faudra montrer une âme à chaque inquisiteur du royaume. Sans quoi on perdra des points de victoire. Les mortels peuvent gagner quelques points s’ils trouvent qui se cache derrière le diable et l’Adepte.
Nos bâtiments donnent des points de victoire, ainsi que nos hauts faits, sauf pour le diable qui n’en a que faire, le démon va surtout marquer des points de victoire pendant la phase d’inquisition en révélant la ou les âmes qu’il a réussi à obtenir, il n’est pas obligé de toutes les révéler, cela pourrait éveiller la curiosité d’autres inquisiteurs, et chacun d’eux va exiger un morceau d’âme (ou des indulgences) pour regarder ailleurs.
Les âmes en peine ?
L’éditeur (CGE pour le citer) connaît bien son travail, travail éditorial assez incroyable : on retrouve des rappels partout, chaque joueur possède son aide de jeux avec toutes les phases (nombreuses), elle nous indique aussi les ressources de départ de chaque rôle. La règle est bien écrire, avec une FAQ plutôt rigolote en plus d’être utile. On peut aussi louer le gros travail d’illustration de David Cochard qui donne vie à cet univers.
On lui reproche surtout le côté laborieux, on a l’impression que le jeu pouvait être streamliné, épuré. On dirait qu’il y a plusieurs jeux en un seul. Finalement, tout cela pour faire une salade de points, et de la collection. Toute cette lourdeur ne sert pas tant le jeu, et c’est bien dommage.
Il semble plus amusant de jouer le Diable qui va essayer de se cacher parmi les mortels, ou encore l’Adepte qui doit revendre ses âmes que les mortels qui eux commencent avec pas grand chose, si ce n’est leurs âmes à vendre à vil prix, mais pour en être sur il faudrait jouer tous les rôles.
On regrette encore plus le manque de liant thématique, dans Alchimistes, tout fait sens, on mélange des ingrédients dans notre chaudron, on fait boire une potion à un pauvre étudiant qui passait par là. Dans ce Pacte, on construit des bâtiments surtout pour des raisons de collection, on se moque bien des noms en fait, seules les cartes Evénement aident à se raccrocher au thème, le cycle des intérêts aussi.
Avec ce jeu, l’auteur (et l’éditeur) ont pris un risque, le jeu est clivant à plus d’un titre : l’application, les rôles cachés, de la négociation. J’ajouterais une certaine lourdeur procédurale. En bref, on était soulagé d’avoir terminé la partie, content d’avoir été au bout et d’avoir vécu l’expérience, mais pas immédiatement prêt à remettre cela. D’autant qu’il vaut mieux jouer avec le même groupe pour bénéficier d’une expérience améliorée et plus fluide, c’est plus facile quand tout le monde a bien compris les enjeux. Une fois la tension nerveuse retombée, on avait tout de même envie de rejouer, voir ce que peut donner le jeu une fois que l’on comprend mieux les tenants et aboutissants.
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