Orléans Stories : Aventures au Moyen-Age ?
Orléans de Reiner Stockhausen chez Dlp Games et édité en français par Matagot est arrivé sur nos tablées en 2014. Déjà 6 ans de vie ludique et le jeu garde une certaine aura. Il faut dire qu’à l’époque il avait apporté un vent de fraicheur (avec Hyperborea) avec cette idée d’Eurogame porté par un mécanisme de deck-building, ou ici plutôt du bag-building.
L’article qui suit étant plutôt épais vous le trouverez structuré en chapitres, de sorte que vous puissiez évoluer dedans comme vous le souhaitez.
Bag-building… de quoi parle-t-on ?
Cette mécanique de bag-building n’est autre que du deck-building finalement, mais avec des jetons plutôt que des cartes, mis dans un sac. On pouvait reprocher à Orléans le hasard que cette mécanique induit. Pas de défausse, à chaque action on remet ses pions dans le sac et plus on a de jetons et plus on le dilue. Mais justement, il faut savoir gérer son sac au mieux pour l’emporter. Quitte à parfois laisser des jetons esseulés sur son plateau quelques tours. J’ai longtemps préféré Altiplano (du même auteur) pour la présence d’une défausse et la sensation plus proche du deck-building finalement. Mais Orléans demande une autre gestion : il faut savoir quand épurer et quand recruter de nouveaux partisans. La gestion de son sac (d’où le nom bag-building) est intéressante. Il faudra l’épurer au bon moment, et au contraire recruter de nouveaux partisans quand ça devient nécessaire.
Mais ce n’est pas tout, si le jeu a tant marqué les esprits, c’est aussi grâce à son extension Invasion (2015). Un petit bijou, cette énorme extension proposait plusieurs modules, et une version coopérative. En effet dans Invasion, nous avions 18 tours pour nous préparer à une… invasion. 18 tours pour récupérer des ressources et les stocker dans la grange, placer des chevaliers aux murailles, construire des forteresses, enrichir le trésor de la ville. Quand on perçoit l’ampleur de la tâche, on réalise que cela va être très compliqué, mais en réalisant les bons choix, en coopérant, on monte en puissance et on approche du succès.
Toutes ces actions ont une cohérence thématique. De plus, chaque début de manche, un événement survient pour briser la monotonie et les plans. On avait prévu de remplir les caisses du royaume, ouuups ! il faut s’acquitter de l’impôt, projet ajourné. Si cela ne suffisait pas, chaque joueur a aussi son objectif perso secret et il est nécessaire que tous les joueurs accomplissent le leur. Ceci réduisait de fait le fameux effet leader. Des parties fortes, faites de discussions, de choix, de renoncements, et fait exceptionnel à l’époque, le jeu nous racontait une histoire sans forcément être narratif.
Orléans Stories (2019) comme son l’indique nous propose une véritable épopée. C’est tout du moins la promesse. Avec un titre, comme cela on espère un jeu narratif, pourquoi pas en campagne.
L’histoire est-elle intéressante, et le gameplay ? Le jeu se renouvelle-t-il ? La première chose qui choque quand on découvre ce Orléans Stories c’est l’énormité de la boite. Les plateaux des joueurs nous emmènent en terrain connu, mais nous avons aussi un plateau central fait d’hexagones de terre qui serpente autour de la Loire… Intriguant. De prime abord, on ne peut pas dire que l’auteur ait choisi la voie facile.
Dans Orléans, le jeu de base, nous avions au début le droit de ne piocher que 4 jetons dans notre sac, et en recrutant des chevaliers on augmentait ce seuil jusqu’à un maximum de 8. Évidemment, plus on a de jetons et plus on réalise d’actions (nerf de la guerre dans tout Eurogame qui se respecte). Dans ce nouvel opus, on n’augmentera (ou réduira) cela que contraint par le scénario. Autre élément contraint, nous avons 6 tuiles lieux à notre couleur, mais elles n’entreront en jeu que lorsque le scénario le décidera. Un brin déterministe.
Visitons les terres d’Orléans
Cette fois, aucune coopération entre les joueurs, nous sommes dans un jeu compétitif. Fallait oser ! Mieux que ça, nous allons même pouvoir nous fritter, du jamais vu dans un jeu du genre. Nous avons deux histoires différentes avec certes le même mécanisme, mais ouverts sur deux objectifs différents.
Dans le premier royaume nous réalisons une course de fond à travers les 8 époques du jeu. Le premier à compléter tous les objectifs l’emporte. La faveur du roi, quant à elle propose un challenge relevé. Cinq années pour prouver notre valeur et s’anoblir pour devenir le protégé du roi. À la fin d’une année, le couperet tombe : soit vous avez complété les demandes du roi et vous gagnez un titre de noblesse, soit vous êtes éliminé (pas tout à fait, en réalité on a tous un petit jeton qui nous permettra malgré tout de passer une année).
Si vous souhaitez vous faire une idée plus précise de chacun des scénarios, vous pouvez cliquer sur les titres qui s’affichent. Si vous souhaitez vous faire une idée générale continuez votre lecture 🙂
LE PREMIER ROYAUME
Si nous avons les mêmes bases pour les deux histoires, elles sont néanmoins différentes, “Le premier royaume” nous propose de traverser 8 époques, avec ses règles changeantes : par exemple n’espérez pas engager des chevaliers avant la 6e époque.
Changer d’époque est lié à la condition sur son livret, ainsi on ne changera pas d’époque en même temps. Oui c’est un twist un peu étrange, les joueurs peuvent être dans des époques différentes, un peu comme dans Tapestry. Pas d’effets boule de neige pour autant, car parfois un élément commun peut équilibrer le jeu, ainsi, si les joueurs n’ont pas rempli la grange, entrer dans l’époque 3 peut devenir coûteux, il faudra payer de la nourriture à chaque tour.
Dans un autre ordre d’idée, je suis passé à l’époque 7 avant ma compagne, mais je n’avais le droit de piocher que 4 jetons partisans dans le sac, alors qu’elle en bénéficiait de 7. De fait, elle rattrapait rapidement son retard.
Pour l’emporter il faudra cocher toutes les cases de sa feuille de tâche, cela consiste à envoyer via l’action du portail de l’argent, des ressources, des partisans et obtenir 20 citoyens. Dans le jeu de base, les citoyens étaient acquis en étant le premier à faire telle action, ou le dernier à placer un partisan chez le maire, etc (personnellement, je n’aime pas trop cette mécanique opportuniste qui consiste à attendre le dernier moment pour se placer). Dans ce scénario on les obtient en marquant des points de victoire, en déplaçant son marqueur de points de victoire sur la piste, on récolte des sous, des citoyens ou même des ressources. Par conséquent, se construire un moteur de points de victoire est efficace pour l’emporter.
Accueillant ce royaume ?
Le premier souci de ce scénario reste la contrainte un peu trop forte liée aux scénarios et aux époques, un peu trop dirigiste. Le marché est une bonne idée, mais quand il n’y a plus d’une ressource, les rouages se grippent. Pire, c’est en passant une époque que l’on recharge le marché (les partisans étant des ressources) cela génère une pénurie un peu artificielle, mais surtout qui peut avoir pour conséquence de bloquer un joueur. Par exemple, j’ai besoin de bois pour construire une forteresse, et il n’y en a pas, je vais devoir attendre de passer à l’époque suivante, pour aller vite en chercher avant que quelqu’un ne s’en accapare. La fin arrive de manière abrupte, un peu comme dans tous les jeux avec une course de fond finalement. Dans le livret, on nous raconte que cela peut survenir à n’importe quelle époque, ce n’est pas tout à fait vrai, une des conditions étant de construire une église et on ne pourra pas l’accomplir avant l’époque 7.
Nous avons joué à 2 joueurs et pour terminer le scénario, cela a nécessité 3 heures de jeu. Je n’ose penser ce qu’il serait advenu si on avait été 3 ou 4 joueurs. Je m’attendais à un scénario en campagne aussi pensais-je avoir la possibilité de mettre le jeu en pause, sauvegarder pour reprendre plus tard. Eh bien non, vous devez tout faire d’une traite. À moins de vous organiser comme nous, pour noter les ressources restantes, photographier le plateau central et placer tout votre matériel dans un sachet zip.
Bilan, ce scénario me laisse un arrière-goût d’inachevé et je n’ai pas vraiment envie d’y rejouer dans l’immédiat.
Les idées sont intéressantes, mais dans la réalisation ça pêche un peu trop.
LA FAVEUR DU ROI
Ce scénario fonctionne différemment : nous allons traverser 5 années en 4 manches qui représentent les 4 saisons. À la fin de l’hiver, on passe à l’année suivante si l’on a assouvit les demandes du roi. Pas de panique ! On a tous un jeton faveur du roi et si jamais on n’atteignait pas l’objectif, il suffirait de défausser ce sceau du roi pour passer à la suite. Si au début c’est relativement simple (il faut “juste” contrôler deux zones et avoir payé 10 sous), en progressant ça devient plus complexe et il faudra avoir construit un moteur de points de victoire efficace pour atteindre les seuils demandés.
À l’époque 3, il faut avoir atteint 31 points, et à la fin de la 5e il faut avoir atteint les 70. Pour vous en sortir, vous allez devoir gérer l’urgence tout en planifiant sur le long terme.
Le choix du roi ?
Dans notre partie, j’ai dû utiliser une faveur du roi (le fameux joker) dès l’époque 2. Je n’avais pas anticipé la livraison des ressources, ne produisant pas de poisson, il fallait que je me rende d’abord au marché en acheter, pour le livrer au tour suivant, mais il m’a manqué un tour. Je me suis donc focalisé sur les tours suivants et j’ai produit un moteur de points de victoire pour passer le seuil fatidique, atteint rapidement. À côté, ma compagne Joëlle avait bien planifié son époque 2, mais elle n’avait pas de moyens pour marquer des points, elle a dû donc se triturer les méninges pour se fabriquer un moteur à point et elle passa le seuil au dernier moment. Les seuils suivants furent tendus aussi et se sont tous joués à une action près.
Finalement, on arrivera tous les deux au bout des 5 années et elle l’emporte au point, car elle n’a pas utilisé de jetons faveurs.
L’affaire est dans le sac !
Orléans reste un jeu de mes jeux fétiches, surtout avec Invasion, mais la mise en place et le rangement est incroyablement long et il faut donc prévoir la soirée. Avec un système de rangement comme Folded Space ou bien Broken token on réduit un peu ce temps. Orléans Stories comprend un rangement en thermoformage pour ranger tous les jetons. Facilitant de fait l’installation, la manipulation et le rangement. Le plateau central se place dessus et ferme hermétiquement le système. Pour le reste on a de nombreux sachets zips. Chaque scénario est en quatre exemplaires : un par joueur, pratique pour anticiper les prochains tours.
Le livret des règles est plutôt bien agencé, mais une partie du matériel sert les deux scénarios, une autre s’utilise pour l’un ou pour l’autre et il y a une petite exception pour 2 joueurs. À mon sens, il manque un petit encart précisant tout cela (dommage car on aurait gagné en temps !).
Klemens Franz a un style un peu suranné, certains diront traditionnel, qui ne me séduit pas du tout en général, mais qui s’accorde ici bien avec l’art médiéval moyenâgeux d’Orléans. La boîte de Orléans Stories ressemble à une tapisserie d’Aubusson avec ses dorures qui tranchent bien avec les tons plus terne du reste de la composition.
Orléans Stories nous vend une histoire, deux mêmes, mais en réalité nous sommes dans un jeu de gestion, de planification, la trame est en toile de fond, qui ne va pas nous apporter les sensations d’un Legacy par exemple.
Je rejouerais avec plaisir au scénario La faveur du Roi qui offre un challenge assez relevé (je le tenterais à plus de deux joueurs). Mon premier royaume est beaucoup trop long et scripté pour être réellement passionnant, et c’est dommage, car il ne lui manquait pas grand chose pour donner envie de retenter l’aventure.
Une autre extension est sortie novembre chez Dlp Games l’éditeur allemand. Le premier scénario est d’ailleurs disponible en Pnp chez l’éditeur. Le second implique quatre joueurs, deux joueurs combattront pour la France, tandis que les autres combattront pour l’Angleterre avec un twist de taille, puisqu’on ne saura qui est notre coéquipier qu’en cours de partie. Suffisamment intrigant pour me donner envie de remettre le couvert !
En tant qu’amateur du jeu Orléans je ressors un peu mitigé sur ce Stories, pourtant l’auteur est clairement sorti de sa zone de confort : les plateaux-joueurs et les actions changent totalement du jeu de base, on peut coloniser les terres des autres joueurs (oui de l’interaction ramasse-tes-dents dans un Eurogame, étonnant non ?).
Selon l’expression consacrée, j’aurais aimé l’aimer plus, car malgré tout, j’ai pris plaisir à construire mon jeu, à gérer mon sac de partisans. Bref, nous avons là tout un florilège de bonnes idées, mais l’ensemble pèche un peu dans sa réalisation et traine en longueur. Je ne le conseillerais qu’aux vrais fans qui savent à quoi s’attendre ! Si vous ne connaissez pas Orléans je vous invite à découvrir avec le jeu de base et éventuellement ses autres extensions qui ressortent en ce moment chez Matagot (La réédition du jeu de base et de toutes ses extensions est prévue pour février si tout va bien).
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Pour aller plus loin :
- Grovast revenait sur Orléans et ses extensions dans sa chronique en 2 parties. Dans la toute première il faisait l’état des lieux dans un jeu qui s’inscrit dans le temps et dans le cœur des joueurs, mais il revient aussi sur l’extension Invasions.
- Dans la seconde, cette fois il nous parle de Commerce et Intrigue qui ouvre de nouvelles possibilités.
- Orléans peut aussi se jouer en solo, Zuton nous en parlait dans cette chronique.
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Xavo 20/01/2021
Merci pour cet article très complet.