ONCE UPON A LINE : La Genèse
Once upon a line arrive bientôt sur nos tables. Un projet que nous attendons depuis que nous avons croisé ses grilles argentées lors de la convention Octogone en 2021. Un jeu atypique qui nous fait vivre une aventure en explorant des grilles de mots, des mots à trouver, des lettres à gratter. Comment est née cette idée, et quelles ont été les étapes pour mettre toutes ces lettres dans des boîtes qui arrivent en ce moment chez les backers ? Une quadrilogie de près de 70.000 mots, le projet est épique, et c’est Dan Thouvenot, de Perte & Fracas, qui nous raconte l’histoire, la genèse du jeu.
Avant propos
Ce texte n’est pas un carnet d’auteur mais un carnet d’auteurS. L’aventure Perte & Fracas, c’est avant tout l’histoire d’une amitié indéfectible de plus de 25 ans entre Dan & William. Ça y est ? Vous commencez à comprendre le nom de la maison d’édition ? Bien, alors on va pouvoir raconter cette genèse de Once Upon a Line. Mais comme le plus bavard des deux c’est moi, ben c’est moi qui m’y colle. Il en faut bien un !

Se piquer au jeu
L’histoire de Once Upon a Line trouve sa toute première étincelle de vie le soir même de la fin de la campagne Kickstarter de notre tout premier jeu : RagnaRok Star. Fourbus mais galvanisés par 30 jours d’une campagne épuisante, nous avons été conviés à une soirée de célébration chez notre ami L’Alain où nous attendaient en surprise tous les membres d’une petite asso locale qui avaient soutenu dans l’ombre le projet … et aussi fébriles que nous pour ce premier financement participatif. Or donc, après une soirée arrosée et saupoudrée de jeux de société, nous sommes rentrés en voiture. Et sur les quelques kilomètres qui nous séparaient du domicile, on s’est regardés et on s’est dit mutuellement “bon, et on fait quoi pour le prochain ?”
William qui est toujours torturé par des embryons d’idées de jeux en tous genres me répond “Écoute, je voulais pas t’en parler pendant la campagne mais j’ai déjà quelques idées. Mais surtout, j’aimerais bien un jeu narratif !”
La suite des échanges n’a que peu d’intérêt tant les idées étaient évidemment confuses et à 1000 miles d’un … jeu narratif à gratter !
La puce à l’oreille
Après avoir essuyé les plâtres de l’édition de notre premier jeu, nous avons donc commencé à débroussailler la silhouette de ce projet narratif cher à notre cœur à tous les deux.
Oui, parce qu’évoquer ce projet, c’est parler de notre rencontre à l’été 1998 dans un relais forestier au beau milieu du massif vosgien. C’est là qu’un tout jeune organisateur de jeu de rôle grandeur nature a rencontré un rôliste passionné de dessin et de fabrication d’armes en latex. Du GN, on s’est retrouvés pour du JDR (et aussi des séances de “combat de dessin”).
Alors oui, raconter et faire vivre des histoires, ça a en fait toujours été un peu le truc qui nous rassemble.
Ensuite, nous avons vécu notre vie d’adulte et œuvré dans les métiers de la communication publicitaire d’abord séparément, puis au sein de l’agence que j’avais créée. Et cette longue expérience professionnelle nous a permis de nous rôder à énormément de supports et de techniques de fabrication de l’offset au numérique en passant par la sérigraphie. Mais notre leitmotiv, ça n’est jamais d’utiliser un moyen pour un moyen. Formé à la sauce éducation populaire, j’ai toujours pensé que le moyen se mettait au service d’une méthode, elle-même au service d’un objectif.
Le premier jet de William était un concept d’exploration souterraine et isométrique dans lequel les joueurs pourraient communiquer uniquement quand les personnages auraient pu se réunir ou sous contrainte lorsque des réseaux l’auraient permis. Tout à coup, je lance (comme des centaines d’autres idées en vrac) “ça serait marrant que pour creuser, les joueurs doivent gratter une couche d’encre à gratter”. Quand William marque un blanc, c’est qu’on a réussi à connecter nos cerveaux (ou qu’il est agacé mais c’est une autre histoire). Et là, le blanc m’a semblé durer une éternité !
On creuse et pousse l’idée mais on bute souvent sur le caractère assez “gratuit” d’un cherche-trouve un peu basique. Oui, c’est sympa, mais ça ne fait pas un jeu en soi. Pourtant l’idée continue de trotter dans nos têtes avec tout un tas d’options diverses pour utiliser ce support jusqu’ici quasi jamais exploité dans le monde du jeu de société. Le soir même, je ne saurais pas dire pourquoi, je repense à ces images stupides qui circulent souvent sur les réseaux sociaux et présentant une grille de lettres au hasard mais dans lesquelles se cachent des mots, dont le premier vu est censé être notre prochaine bonne fortune. J’en parle à William le lendemain matin et là … c’est le match parfait. Immédiatement, on voit tous les deux le potentiel d’un jeu dans lequel des mots croisés formeraient un arc narratif et apporteraient des rebondissements en fonction des écueils des joueurs.
C’est à William que l’on doit la suite de la mécanique le week-end suivant. Littéralement grisé par le concept, il conçoit sous Excel une première grille avec des cellules noircies à passer en blanc à mesure que l’on défausse des cartes représentant nos actions de grattage. On trouve un mot, un texte nous est donné, on bute contre des murs, on obtient une mission, etc. Dans sa toute première version, nous baptisons arbitrairement le jeu “Protograt” (on ne juge pas ok ?)
Pour ce premier scénario, nous avons utilisé un thème suffisamment riche et permissif : la mythologie grecque.

Les joueurs découvraient ainsi l’aventure par cette introduction :
Vous incarnez des héros de la Grèce antique, originaires du petit village de pêcheurs d’Asklepieros. L’ancien du village vient à vous tout essoufflé, la PYTHIE vous demande, elle a un message important à vous transmettre. Vous savez qu’elle réside dans un TEMPLE situé en haut d’une COLLINE. Grattez en ligne droite de la case I18 à S18 et révélez la carte correspondante.
Et voilà … Once Upon a Line était né !
Once Upon a Line ? Hum non, pas tout à fait, pour tendre l’histoire et mettre un peu de suspense au système de jeu, nous avons assez rapidement imaginé la Ligne de Tragédie rappelant au joueur que le succès de son histoire était soumise à la qualité de son aventure. Dans sa version originelle, le jeu s’appelait donc légitimement Il Était une Voie.
Enc**ler les mouches
Au terme de 10 jours et après 2 ou 3 mini-scénarios pour éprouver les grandes lignes de la mécanique de jeu et aussi pour faire la surprise, l’un à l’autre, d’un scénario tout neuf ; nous avons acté qu’il fallait à présent nous attacher à poser les bases d’un univers. Ce fut sûrement le plus difficile car tout est possible lorsque l’on tient un moteur de jeu narratif ! On peut aussi bien explorer du contemporain, du futuriste, du médiéval fantastique, etc. Et nous, pour nous mettre d’accord, c’est généralement soit 2 secondes soit 2 jours ! Ca argumente, ça propose, ça conteste, ça fulmine, ça se résigne, ça valide, ça annule la validation, ça pinaille sur un mot, ça digresse … bref ça débat !
Mais William et moi partageons malgré tout beaucoup de curiosité scientifique. Notre passion commune du dessin nous a toujours amenés à nous intéresser au monde qui nous entoure et principalement au vivant. Une de mes plus grandes émotions de littérature à l’adolescence, c’était la trilogie des Fourmis de Bernard Werber. Si les premières réflexions m’amenaient vers un récit plutôt historique, William a soudain proposé un univers post-apocalyptique avec des insectes géants, un univers façon Dinotopia en quelque sorte, et ça a été un coup de foudre mutuel. Nous le savions tous deux, le peuple de l’herbe est un réservoir infini d’idées en tous genres.
Si la Terre était un livre de 1000 pages, on verrait la vie apparaître aux alentours de la page 165, les insectes à la page 910, les dinosaures vers la page 950 … et l’humanité dans les dernières lignes de la dernière page ! Autant dire que leur ancienneté et leur résilience forcent notre admiration et la science elle-même ne cesse d’être stupéfaite par les découvertes liées à l’étude des arthropodes en tous genres. Loin d’être bio-inspirés, William et moi sommes très modestement de grands geeks friands d’histoires fabuleuses sur les coléoptères bombardiers, les fourmis magnan ou les larves de phrygane…

La suite, vous l’imaginez sûrement.
Nous avons cherché à imaginer pourquoi et comment les insectes auraient pu devenir géants. Scientifiquement parlant, et même si les archéologues ont découvert des fossiles de libellules géantes (70 cm) datant de la période du Carbonifère, la science a démontré l’impossibilité biologique de leur croissance liée à leur système respiratoire dépendant du taux d’oxygène dans l’air. Mais le privilège de l’écriture, c’est de pouvoir s’affranchir des règles pour rêver d’autres possibles. Alors ensemble, arthropode après arthropode, nous avons imaginé comment les survivants humains d’une immense pandémie auraient pu tirer parti des capacités phénoménales de nos amis les insectes et c’est ainsi que naquit notre Cité de Kell !
Chercher la petite bête
Au terme de plusieurs semaines de travail (et de désaccords nourris), nous avons réussi à accoucher d’un prologue et d’un premier Chapitre, histoire de dimensionner la durée de nos épisodes, évaluer le challenge que cela pourrait représenter pour un joueur lambda, testé différentes mécaniques liées à notre grande grille d’encre à gratter. Mais le format tel qu’on le connaît aujourd’hui est né d’une longue et profonde recherche, errance, construction, déconstruction et des dizaines de tests de nos cobayes préférés (nos familles).

Un anagramme comme défi final ? Non, ça ne marche pas (enfin pas pour le moment et pas en l’état). Des coordonnées à gratter pour débusquer les lettres du mot d’une énigme ? Non, ça prend bien trop de place précieuse dans le haut de la grille. Rabattons cela plutôt à droite de la grille. Oui mais alors, les joueurs sauront combien il y a d’énigmes et s’ils en ont raté ! Ok, on bouge ça sur une grille indépendante. Des flèches pour marquer le début / fin des mots ? Non, ça prend trop de place dans la cellule et quand il y en a 2, ça mange sur la lettre. Etc, etc, etc.
Que ce soit sur le plan technique, le plan mécanique ou le plan littéraire, concevoir un jeu narratif est sans doute l’expérience professionnelle la plus longue et la plus laborieuse que nous ayons eu de notre carrière.
Le battement d’ailes de papillon
Des mois à bricoler en secret et un jour on se décide à montrer notre travail. Timidement d’abord à quelques copains ludistes dont quelques uns, malgré toutes les imperfections matérielles liées à un prototype, perçoivent le potentiel d’un “ O.L.N.I. ” (ce n’est pas nous qui le disons). Alors on se met à y croire assez pour le montrer à d’autres et l’excitation ludique est au rendez-vous à chaque fois. Un vent de fraîcheur s’est abattu sur notre réseau et il souffle à présent à plein régime dans les voiles de notre motivation !
Allez, c’est décidé, au prochain festival, on sort le proto.

La cible choisie : Ludimania 2021 ! On annonce publiquement notre présence pour notre autre jeu mais aussi la possibilité de venir tester en avant-première notre nouveau projet. En parallèle de cela, nous commençons à ouvrir un topic sur un forum dédié au financement participatif “jeu de société” et si les premiers retours sont moqueurs (“c’est des mots croisés et un Tac O Tac quoi !), les plus aventureux décident de franchir le pas et viennent découvrir ce que ce projet a dans le ventre.La mayonnaise prend très vite et nous enchaînons les démos au point de tomber en rupture de stock d’encre à gratter.
Tout cela a un coût mais devant l’engouement, nous décidons d’aller plus loin et inscrivons Once Upon a Line au trophée ProtoGônes du salon OctoGônes de Lyon, THE endroit pour mettre notre bébé sous le feu des projecteurs. Et ça marche !
Le “jeu narratif à gratter dont vous êtes le héros” remporte le prix et amène à notre table plusieurs éditeurs désireux de signer le jeu. Nous repartons dans nos Vosges avec une euphorie inégalée, des étoiles plein les yeux et nous nous délectons des commentaires de quelques sceptiques venus tester en secret et désormais convaincus. Un grand moment pour les deux “potes à la compote”.

La suite de l’histoire est un long processus d’échange avec tous les gros du milieu pour trouver le partenaire qui nous permettra d’aller le plus loin possible mais sans nous priver de la paternité de notre œuvre. Et c’est chez Lucky Duck Games que nous trouvons l’écho le plus favorable, un deal très humain dans lequel Perte & Fracas, notre petite maison d’édition française conserve la pleine paternité et jouissance sur le marché francophone, tandis qu’à l’international, leur équipe sera chargée de la localisation et d’un support pour la confection de la campagne Kickstarter à venir.

Evolution du matériel entre 2021 et 2023
Un travail de fourmi
En Janvier 2023, près de 2 ans après les premières présentations, la campagne est lancée.
Au terme d’un mois d’effort, la levée de fond affiche la somme rondelette de 235.000€, une somme aussi importante qu’insuffisante au regard du travail colossal que représentent ces années de développement, l’investissement abyssal en illustrations, les frais de salon, etc.
Mais nous gardons en tête la maxime d’un ami entrepreneur “innover, c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration”. Alors voilà, pendant plus de 2 ans ensuite, nous avons transpiré sang et sueur pour accoucher d’une quadrilogie de près de 70.000 mots, traduits en 2 langues (et une 3ème en cours), dirigé l’exécution de près de 400 illustrations.
Un bref retour justement sur le travail artistique : pour ce projet, William et moi en tant qu’illustrateurs, avions envie de le voir transcendé par la vision d’autres artistes et constituer pour les besoins de ces sagas une équipe graphique aux styles complémentaires. La facilité eut été de prendre des pros déjà installés mais nous n’avions pas les moyens et nous voulions que cette aventure soit partagée avec des personnes soucieuses de constituer un “book” pour leurs futures expériences professionnelles. C’est pourquoi, outre 2 couvertures illustrées avec talent par Vincent Lefèvre, nous avons établi un partenariat avec l’école en ligne Digital Painting School, où se cachent de petits diamants bruts qui ne demandent qu’à être exposés ou à affiner leur polissage de facettes.

Planche de recherche de Caste par Leandro DiTerlizzi
C’est ainsi qu’une douzaine d’artistes sont venus étoffer peu à peu les rangs de Once Upon a Line et agrandir la petite famille en devenir. Nous souhaitons ici rendre hommage au travail de titan abattu par nos amis Leandro DiTerlizzi / Bastien Boulai / Romain Mottier / Alexandre Gimbel / Guillaume Weber / Adrien Gion / Tonny Branzza / Adrien Rives Pierre-Yves Real et Vincent Delafontaine.
Nous sommes fin 2025 et l’aventure Once Upon a Line arrive à son épilogue … ou son prologue, cela ne dépend plus de nous. À l’heure où j’écris ces derniers mots, près de 20 tonnes de papier et de carton transitent vers la France. Et nous, petites fourmis laborieuses, n’avons jamais eu à la fois, aussi hâte et peur de toute notre vie …
Sources du document :
Carnet d’auteurs
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :





Morlockbob 12/11/2025
J y avais joué il y a bien 2 (3) ans et depuis plus aucune traces. Trop content de voir que ce projet original a abouti