Obscurio… sortir de l’ombre de Mysterium
Voici donc le nouveau jeu d’interprétation d’images made in Libellud.
Plus de 10 années après la sortie du fameux Dixit, Obscurio continue de montrer que Libellud, ici porté par les idées du studio L’Atelier, a de la ressource pour exploiter ce concept.
Je dois bien admettre que je n’étais pas super emballée la toute première fois que j’en ai entendu parler. Encore un jeu avec cette mécanique ? me suis-je entendue dire. Mais… après tout, pourquoi pas ? Je ne m’exclame pas “encore un jeu avec du deck-building !” quand un nouveau deck-builder sort, non, je regarde ce qu’il propose, ce qu’il a à offrir de nouveau, sur la base de cette méca.
L’interprétation d’images et la communication via des illustrations est devenu un genre en soi. Entre un Shadows: Amsterdam, un Detective Club ou un Greenville 1989, peu de sensations communes au final. Alors il est de coutume de présenter Obscurio comme un “Mysterium avec un traître”, et c’est vrai que c’est un raccourci difficile à éviter tant il permet de le situer efficacement. Pourtant, il a son caractère bien à lui. C’est là que l’on peut mesurer le savoir-faire de l’équipe Libellud. Ils parviennent encore à nous surprendre et à nous épater, or, après la saga Dixit, Mysterium et ses extensions, One Key, et Shadows: Amsterdam, ce n’était pas forcément gagné d’avance. Mais je dois bien l’avouer, ma partie de Obscurio m’a conquise, et j’ai fort envie de remettre ça.
Mysterium a été un vrai succès. Pourtant, il n’est pas exempt de défauts. Mais il apportait quelque chose de fort thématiquement, et de nouveau, mécaniquement. Obscurio aussi. Son univers, brossé par le studio M81 pour les cartes, et par le talentueux Xavier Collette pour les personnages, la cover et le plateau (non mais regardez-moi ce plateau, on dirait qu’il y a des diodes lumineuses à l’intérieur !), et globalement, le travail sur le matériel, l’ergonomie, les détails est simplement enchanteur. Le pupitre du grimoire est de toute beauté, et cerise sur le gâteau, aimanté. C’est un peu comme dormir dans un hôtel 4 étoiles, on se demande si on avait vraiment besoin de ça, mais se sentir choyé et chouchouté, ça fait du bien. Pas d’amateurisme, pas de racolage : on est simplement mystifié par le soin apporté aux détails, mais aussi par leur pertinence. Une véritable ambiance se dégage autour de la tablée, on plonge dans les illustrations comme dans une histoire saisissante.
Nous voilà donc dans un coopératif… Oui mais ! Il y aura un traître dans l’équipe (voir le Ludochrono). Trois rôles différents pourront être joués, ce qui, de fait, augmentera la rejouabilité du titre. Soit vous jouez un des Mages qui tente de sortir de la bibliothèque enchantée (vous êtes venu voler un puissant Grimoire). Soit vous jouez le Sorcier (le traître) qui n’est pas trop d’accord pour se faire piquer son grimoire et qui du coup met tout en oeuvre pour que les mages se perdent dans sa bibliothèque (porte trompeuse, escaliers mouvants, etc). Soit vous jouez le Grimoire lui-même, dessinant des indices abstraits au creux de ses pages pour aider les mages à sortir de ce lieu déroutant. Un pitch un peu perché, mais pourquoi pas.
Le Grimoire est un peu le fantôme de Mysterium, il tente de communiquer avec l’équipe pour leur indiquer par où passer. Mais bien sûr, il ne peut pas parler, son seul moyen de communication est de montrer silencieusement des détails sur des images oniriques. On pense à Guardians of Legend : au lieu de montrer une grande image et les autres joueurs doivent deviner le détail qui compte, ici un détail est pointé, dont on tire une interprétation qu’il faudra retrouver dans d’autres images qui n’ont pourtant rien à voir.
Le Grimoire gagne avec les Magiciens loyaux s’ils parviennent à s’échapper de la Bibliothèque. Il a donc tout intérêt à trouver les meilleurs indices. Il sait qui est le Traître, mais doit taire son identité. Ce fourbe-là va tenter de perturber discrètement les échanges entre le Grimoire et les Magiciens pour les amener à se fourvoyer.
Par rapport à Mysterium, plus de rôles, plus de moyens, plus de règles aussi (mais peut-être mieux imbriquées) : le jeu ne s’adresse sans doute pas aux grands novices du jeu de société, à moins qu’ils soient motivés bien sûr.
Le Grimoire connaît l’image de la porte de Sortie. C’est celle que les magiciens doivent pouvoir identifier au milieu d’autres images qui ne sont que des illusions. Pour communiquer il a le droit à deux images, piochées au hasard, sur lesquelles il va pointer des détails à l’aide de deux pointeurs aimantés appelés papillons. Quand il a terminé de placer ses papillons, il montre le pupitre aux mages qui peuvent discuter et analyser ce qu’ils voient. A-t-il voulu montrer la main du personnage ? Sa couleur blanche ? Et là, est-ce la tête déformée, une sorte de gargouille, une gueule ouverte que l’on voit ? Ou c’est l’ambiance oppressante de l’image qui est importante ?
C’est assez amusant d’échanger tout en sachant pertinemment que l’un des participants est un traître… Mais pour l’instant celui-ci a tout intérêt à jouer le jeu et à se fondre dans la masse.
Après ce petit instant de discussion entre Mages, vient le petit moment “Loup Garou” : le joueur Grimoire demande à tous de fermer les yeux. Puis seul le traître ouvre les yeux, et va pouvoir choisir des cartes susceptibles d’être considérées comme la bonne solution par les magiciens parmi un éventail de cartes possibles présentées dans un beau porte-cartes. Il communiquera avec le Grimoire en montrant les numéros des cartes avec ses doigts, discrètement.
Puis il referme les yeux.
Alors le Grimoire va piocher autant de cartes nécessaires pour en avoir 6. On se retrouve donc avec une “bonne” carte Sortie, des cartes choisies avec soin par le Traître qui seront très proches (s’il a bien choisi) de la carte correcte, et d’autres tirées aléatoirement. Toutes sont mélangées et placées de façon visible aux magiciens.
Ils ouvrent les yeux et ont alors un temps limité pour se positionner. Un sablier est en effet retourné (géré par le joueur Grimoire) et plus on perdra du temps pour décider de la carte Sortie, plus on subira de pièges à la manche suivante. Ce petit mécanisme d’effet papillon est d’une fourberie sans nom. On doit analyser, discuter, sachant que là, le traître a tout intérêt à subtilement ouvrir de nouvelles pistes d’interprétation pour nous induire en erreur et nous faire perdre du temps, tout ça en essayant d’être rapide sinon on le payera plus tard. C’est le palpitant du jeu… et il se corse encore si on a des pièges !
On pose finalement son jeton perso face à la carte que l’on pense être la bonne. On a le droit de tous s’éparpiller, mais c’est risqué. Chaque personnage mal placé fera perdre un jeton “cohésion” à l’équipe, or, ceux-ci sont en nombre limité au départ (fonction du niveau de difficulté et du nombre de participants) et si l’on tombe à zéro on s’est perdus, on a perdu.
Je mentionnais les pièges. Cet élément va bien sûr rajouter des règles, mais le retour au livret est facilité par un récapitulatif des divers effets en 4e de couverture. Ces pièges vont eux aussi rajouter de la rejouabilité et beaucoup de tension. Si on tombe sur la “Grande Salle”, le Grimoire devra ajouter une 7e carte au panel, corsant encore le choix des mages. Avec une “Porte Voilée”, une des cartes ne sera tout simplement pas dévoilée (et il nous est arrivé de miser dessus, par un ultime coup de bluff !). Si c’est la “Magie Noire” qui s’active, le Traître peut choisir 4 cartes au lieu de 2 dans le porte-cartes. Avec le “couloir sombre” le Grimoire devra placer un filtre de couleur rouge sur une de ses pages : ça va devenir compliqué de jouer sur les couleurs ! Et sans doute l’un des plus redoutables, “les Portes Scellées” : les cartes ne sont plus révélées simultanément, mais une par une. À chaque carte révélée les magiciens doivent décider tout de suite si c’est la bonne ou non. Un côté “stop ou encore” aussi stressant qu’efficace.
L’ajout d’un Traître peut ressembler à un petit gimmick mais s’avère tout sauf anodin, loin s’en faut. Il permet d’apporter un élément social qui nous oblige à nous observer les uns les autres, en plus d’un parasitage, subtil mais conséquent, qui pèse sur les discussions, il pose un arc narratif global sur la partie.
Parce que vous vous en doutez : qui dit Traître, dit accusation. Vers la fin de la session de jeu, les joueurs auront une minute pour débattre de leurs soupçons, puis pointeront du doigt simultanément le joueur qu’ils pensent être le Traître. Vous accusez un mage loyal ? Vous faites perdre 2 jetons cohésion à l’équipe. Autant dire que le game over peut advenir sur un bon coup de bluff et de duplicité ! À vous de ne pas vous laisser tromper et de bien rester attentif tout le temps… ou de la jouer fine, si vous êtes le Traître, en essayant de ne pas de faire gober des couleuvres qui vous dévoileraient mais en faisant tout de même perdre autant de cohésion que possible pour l’emporter !
Ce vote final s’avère beaucoup moins tarabiscoté que celui de Mysterium. On a un traître parmi nous, on le démasque et si on se trompe, l’équipe accuse le coup. Cela fait diaboliquement sens.
Le dernier avantage du Traître, c’est qu’ici les mages ne peuvent pas se laisser porter par un joueur alpha. Ils doivent rester tous sur leur garde et prendre leur propre décision.
Autre subtilité qui augmente encore la tension de fin de partie : quand il ne reste plus qu’une salle à trouver avant de sortir, la toute dernière phase d’analyse des images se joue … sans aucune communication ! Les mages devront se placer simultanément sur la bonne salle, après avoir fait un compte à rebours, sans discussion préalable. Là, dans notre partie, on s’est retrouvées à 2 points de cohésion et les erreurs pouvaient être fatales, pourtant si proches de la sortie… quel stress !
La comparaison à Mysterium est inévitable. Avec Obscurio j’ai eu la sensation d’un rythme beaucoup plus fluide (malgré un livret de règles plutôt épais pour le genre). Il y a certes les petits break (“Loup Garou”) où l’on ferme les yeux, mais hormis ça, aucun moment d’attente et de temps mort quand on est mages. La bonne idée du temps limité – provenant sans doute de Shadow: Amsterdam – met vraiment de l’huile dans le moteur. Les additions des papillons obligent à faire émerger des détails empêchant les longs atermoiements (vous vous rappelez des brain freeze du fantôme ?), et orientent la discussion sur des éléments précis. Les ajouts des pièges posent des contraintes supplémentaires dans les diverses phases du jeu et rendent le tout véritablement plus vivant, moins ronronnant. D’ailleurs, on se prend des pièges si on a été trop lents : quoi de mieux pour nous pousser à l’erreur ? Sans parler de la dynamique sociale autour du Traître qui s’avère une excellente idée à plus d’un titre.
Le seul bémol potentiel pour moi tourne autour de l’intérêt du rôle du Grimoire. Autant le fantôme de Mysterium avait peut-être trop de responsabilités sur les épaules, autant le Grimoire a une seule décision clef à prendre 8 ou 9 fois dans la partie, le reste se résume à de l’entretien (dire « fermer les yeux », piocher des cartes, retourner le sablier…). Cela étant dit, puisqu’il l’emporte si les mages saisissent ses messages, il se sentira sans doute investi lors de leur discussion, et tentera de percer leur façon de penser.
J’ignore encore comment tourne le jeu à 2 ou 3 joueurs, mais il se pratique jusqu’à 8 et c’est un atout à souligner.
Voilà donc pour un premier retour à chaud, en vrai Just played, avec une seule partie de ce deuxième opus imaginé par le studio de L’Atelier… mais je dois dire qu’il me tarde de remettre ce beau livre sur la table !
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Flemeth 12/09/2019
J’ai également beaucoup apprécié le jeu, avec aussi cette petite appréhension de « quoi, encore un nouveau Mystérium ». Il a vraiment son identité et mérite le détour. Petite remarque concernant le « brain freeze » : pourquoi utiliser une expression anglaise ? 😉
Shanouillette 13/09/2019
Oui c’est sûr je pense que c’est difficile de ne pas faire le rapprochement avec mysterium, et la parenté est réelle, à voir s’il parviendra à faire oublier son grand frère.
Pour répondre à ta question, pourquoi utiliser une expression anglaise… parce que je connais que l’expression anglaise (américaine d’ailleurs) il n’y a pas vraiment d’équivalence à ma connaissance.
Malgré les remarques des nombreux ayatollahs qui ne manquent jamais de commenter, j’aime utiliser des expressions étrangères. j’écris toute la journée, et je déteste me répéter alors piocher dans les autres langues c’est comme élargir ma palette de couleurs.
Et puis le français parfois ne suffit pas, la preuve il n’a qu’un seul mot, « jeu », pour recouvrir plein de choses, là où l’anglais offre « game » et « play » (qui permet « gameplay »), c’est qu’un exemple parmi d’autres. Donc je trouve idiot de fermer la porte aux emprunts car ils permettent souvent de décrire une réalité plus riche.
palferso 12/09/2019
A la Maison, MYSTERIUM est un hit même si il n’est effectivement pas dénué de défauts (notamment la préparation et l’installation…). Du coup, ton article concernant OBSCURIO me fait bien envie! Merci.
Shanouillette 12/09/2019
The pleasure is mine!
SuperMimmo 16/09/2019
Hello, je suis bien tenté par Obscurio… J’avais lu quelques avis pas très emballant mais le tien me rassure !
Merci
kiken 19/09/2019
J’ai quelques doutes car quand le traitre est trouvé, il ne fait plus grand chose, à 2 joueurs il n’a pas de traitre juste du coopératif avec celui qui tient le grimoire. Je reste sur mon Mystérium.