NEW EDEN : UNTERWASSERSTÄDTE
Si le nom de Benjamin Schwer ne résonne pas autant que certains de ses collègues allemands, il est pourtant l’auteur de deux jeux appréciables : La couronne d’Emara et Hadara. Si ce dernier est cité, c’est à dessein, on en retrouve par moment l’esprit : prendre des cartes, en laisser d’autres pour pouvoir les reprendre, peut-être, au tour suivant. Qu’on se rassure, New Eden s’éloigne assez de ce titre pour être un jeu à part entière. Thème d’actualité nature, nous sommes projetés en 2442 où le niveau de l’eau a tout recouvert. À nous de construire des lieux de vie auto-suffisants, et de créer un nouvel Eden.
Trois ans pour atteindre le paradis
Le jeu est rapide : nous avons trois manches, divisées en trois phases, pour réaliser notre cité. Les cartes de développement sont numérotées A1/A2/A3 pour plus de facilité et pour permettre une progression dans le déroulement de la partie. La règle est claire avec de nombreux exemples. Le plateau central est biface puisqu’on le retourne suivant la phase en cours. Les plateaux individuels représentent la coupole de la base, les fondations desquelles nous allons nous étendre. Bel élément graphique qui accueille les différentes variétés de modules produisant de l’oxygène, aidant à la réparation des dégâts ou à la recherche. Il y en a six au total, trois attachés à la station, et trois en dehors.
Un module est donc une carte vous indiquant le lieu de construction, l’effet qu’elle produit lors de son activation, le ou les emplacements où garer les deeples, les sous-marins/ouvriers et le bonus de fin. Ces cartes sont le cœur du jeu, le fil rouge des trois manches et le ciment de votre développement. Il faudra avoir un peu de tout pour construire en harmonie mais privilégier celles dont vous avez besoin parfois au détriment des points de victoire.
Vous voilà prêt à construire cette station et vous servir des modules afin d’obtenir les ressources nécessaires et les avantages qu’ils octroient. Il suffit de payer pour les acquérir, mais attention toutefois de ne pas surconsommer. Déjà, il faudra les activer. Avez-vous le nombre d’ouvriers nécessaires ? Et surtout cela n’est pas une stratégie, ni un but. Maintenir l’équilibre est plus important car de nombreuses actions nuisent à l’environnement et votre jauge de dégâts peut vite grimper et vous faire perdre des points en fin de partie. L’épée de Damoclès marine, c’est la jauge. Durant les manches, son curseur, une simple baguette en bois, ne doit pas passer en dessous de 0 ni au-dessus de 15, au risque de détruire un module en place. Une gestion à surveiller qui orientera vos choix. Les modules à risque étant reconnaissables, et nombreux, grâce à un logo type. Nous serons donc en permanence titillé entre tentation d’achat et raison, car le risque de basculer dans le rouge est grand.
Revenons aux modules et aux zones de la station. Les modules sont les cartes qui vont s’ajouter, l’une au-dessus de l’autre, en file indienne, donnant chacune un effet particulier une fois activées. On peut donc glaner des pièces pour ses futurs achats avec les Crabes de récolte, prendre des points de victoire avec la Maison coquillage et baisser la jauge de dégât avec les Pieuvres de réparation. Des jolies appellations pour des services techniques.
Les zones sont des tuiles attachées au plateau. On y trouve les chantiers navals, pourvoyeurs de deeples qui permettent de se déplacer pour atteindre les modules. Ce déplacement nécessite un véhicule mais aussi l’oxygène variant avec la durée du trajet. Un module situé à 3 cartes de distance de la base aura donc besoin de 3 niveaux d’oxygène dans le réservoir de son deeple pour être atteint. La recherche se caractérise par des améliorations utiles tout au long de la partie vous donnant des pièces, des points, une réparation, voire, plus rare, une attaque avec distribution de dégâts chez les voisins. Voilà l’équilibre dont je parlais : apprendre à jongler entre toutes ces catégories pour se développer tout en minimisant les risques.
Développement, marché noir et enchère
La première phase de la manche est une phase d’achat et de blocage. Elle permet aux constructeurs d’étoffer leur station par l’ajout de modules provenant du plateau des cartes. Le marché est divisé en quatre lignes avec un prix croissant de 1 à 10 pièces. L’achat de la dernière carte d’une ligne décale vers le bas le reste des modules disponibles. Prendre ce qui nous intéresse tout en essayant de ne pas aider les autres en baissant les prix sera le challenge de ce tour. Pour ne pas léser les joueurs sans le sou, il est possible de récupérer de l’argent via la centrale électrique de son plateau personnel. Cela augmentera malheureusement votre jauge de dégâts. Les cartes achetées se placent sur le lieu correspondant de sa coupole. Pour activer un des modules, il faut se servir des deeples et du niveau d’oxygène comme évoqué plus haut. Le deeple se pose sur l’emplacement, faisant office d’ouvrier. Si vous avez un peu l’habitude des jeux, vous serez en territoire connu. Rien de bien compliqué de toute façon.
Pour continuer ses achats d’une façon différente, on va retourner le plateau et changer de paquet de modules. Entrons dans la phase B et le marché clandestin. Chacun reçoit 3 cartes. On peut en acheter plusieurs en payant bien sûr mais, vous vous en doutez maintenant, en augmentant la jauge des points de dégâts. Une carte coûte 1 pièce et 1 dégât, le lot monte à 6/6. Vraiment une bonne affaire ? Tout dépend où vous en êtes sur l’échelle de la catastrophe.
Ce marchandage illégal est suivi d’enchères (phase C) où l’on peut à nouveau acheter des modules, ceux placés à la phase précédente sur le plateau des cartes. On va alors enchérir et surenchérir pour l’acquisition de lignes. Certaines sont incomplètes, voire vides. Cela à une conséquence : déplacer ses deeples et activer des modules. Si vous payez et ne récupérez rien, vous avez droit à 3 déplacements et 3 activations. Si vous partez avec 3 cartes, vous ne bougez pas. Une bonne façon d’équilibrer cette nouvelle pêche aux ressources et de varier la prise de cartes.
Des actions libres permettent à tout moment, sous conditions, de gagner des pièces et d’agrandir la station avec des extensions. Ce sont des ajouts de deeple, pieuvre de réparation, oxygène et points de victoire qui se matérialisent par de nouvelles tuiles/cartes qui viennent se coller à la coupole.
Vient la phase de nettoyage où l’on remet de l’oxygène dans les bonbonnes, où l’on rapatrie ses deeples, gagne un bonus, remet en service la centrale électrique etc. Au terme du troisième décompte, la partie s’achève. Si le marqueur de dégâts se situe en dessous du curseur, la station est protégée et on additionne les points des modules. Sinon, votre construction s’écroule. Savez-vous nager ?
New Eden : eau bénite ?
Une base sous-marine à construire, des modules, des améliorations, de la pose d’ouvriers, on a vite fait de penser à Underwater Cities au sujet de New Eden. Ce dernier est d’un niveau plus modeste et s’adresse à un public initié plutôt qu’expert. Sa durée parle pour lui : trois manches pour une heure de jeu. Les visuels sont à l’image des grands fonds, sombres et sobres, tradition allemande des 50 nuances de marron qui malgré un petit clin d’œil steam punk ne parvient pas à dynamiser l’imagerie inspirée de Jules Verne. On s’en accommode vite, le jeu prenant le pas sur le graphisme. Les mécanismes épousent bien le thème avec une logique qui coule de source, enfin, d’eau de mer. Voilà un tout cohérent.
Plusieurs directions seront de mise, mais aucune ne se détachera forcément et il faudra un peu tout faire pour se maintenir à flots et avancer. Si on veut se déplacer, il faut de l’oxygène et des véhicules, si l’on veut acquérir des modules, il faut des pièces, si l’on casse, on doit réparer etc. Le jeu avec ses multiples phases d’achat et d’activation ne laisse pas le joueur sur le carreau, il est toujours possible de faire quelque chose. Pas toujours ce que l’on veut, mais on peut anticiper. On pourra, par exemple au départ, pester car on n’a pas pu acheter la carte voulue et que l’on s’est rabattu sur un stock de deeples qui ne servent à rien. Pour l’instant, car, comme souvent dans ce type de jeu, il faut se constituer un stock d’ouvriers et de pièces, créer un petit moteur pour s’envoler un peu plus tard. Tout en n’étant pas trop gourmand, posséder vingt deeples ne sert effectivement à rien, et pour une carte prise c’en est une autre que vous abandonnez.
Peu à peu, la station va réellement se développer en ajoutant un module à la suite d’un autre. Encore une fois, logiquement, nous serons obligés d’aller plus loin et donc de dépenser plus de déplacement et d’oxygène pour activer les effets. Pas d’écueil ni d’impasse, le jeu est fluide. On peut même le qualifier de gentil. Et la gentillesse, comme parfois, ne paie pas. En théorie, après avoir lu la règle, même à la relecture de mes propres explications, ce jeu est alléchant, donnant envie de s’y plonger. New Eden, un petit jeu de gestion exponentiel avec ses achats, sa pose d’ouvriers, le danger qui menace, voilà qui semble parfait.
À jouer, cela est, hélas, très mécanique et répétitif. On fait la même chose durant trois manches. Même si la méthode de prise de cartes est inventive et renouvelle les tours, la montée attendue, la courbe exponentielle espérée ne vient pas. Pas de vraie pression (pourtant à ces profondeurs !), le ressenti du danger est moindre, nous sommes rarement à la limite de la catastrophe avec une gestion des dégâts plutôt relax. Idem pour les effets de cartes qui ne se renouvellent pas vraiment, proposant juste plus d’oxygène, plus de danger… suivant l’avancée des manches. Un jeu qui fonctionne sans accrocs mais également sans le piquant, l’amusement ou la tension qu’on était en droit d’attendre. On a l’impression que l’éditeur/auteur a volontairement gommé toutes traces de situation épineuse pour ne pas froisser son public cible. Le jeu, malgré un univers cohérent, des mécaniques plaisantes et adaptées, reste trop en surface et lasse au bout de quelques parties. Il est temps de ranger palmes et tuba. Dommage.
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