Near and Far – L’aventure à portée de tentes
Near and Far est le troisième et dernier opus dans l’univers d’Arzium, initié avec le jeu de pose d’ouvrier narratif Above and Below et poursuivi avec le moins narratif Islebound, qui proposait un jeu de bateaux nerveux et contenu, Near and Far aura mis bien du temps pour arriver en France. La faute à l’énorme quantité de textes à traduire ! Mais l’homme-orchestre Ryan Laukat finira bien par s’imposer, avec l’arrivée en 2020 d’Above and Below et à présent de Near and Far.
Une fois n’est pas coutume, voici un Just Played à deux voix, avec Atom et Umberling. Atom est un eurogamer pur de dur, et Umberling n’est jamais contre pousser le cube non plus, mais a une affinité forte à la narration.
Explo-gestion
Umberling : Near and Far propose d’explorer un monde représenté par un Atlas. Et, lors des parties, les joueurs vont s’équiper et recruter des aventuriers dans une ville principale, pour ensuite partir à la découverte du lointain. On alterne donc entre une pose d’ouvriers légère et classique pour s’équiper en ville et prise de contrôle sur un plateau qui se peuple peu à peu de vos campements. En ville, le tour est très simple : on déplace son personnage – son seul et unique ouvrier – sur un bâtiment libre pour faire son effet. Et paf ! En exploration, en revanche, les choses se corsent un tout petit peu, avec un système d’endurance. Lorsque vous partez en expédition, vous mettez à niveau votre jauge d’endurance en fonction de votre groupe d’aventuriers. Aventuriers qui, d’ailleurs, fournissent tout ce qu’il faut pour améliorer un moteur de jeu : de l’attaque pour l’aventure, de l’habileté pour miner ou faire des découvertes, des yeux pour résoudre certains événements, ou extraire des ressources du monde, ou des épées pour du combat. Parce que monde à défricher, monde qui pose des dangers. Atom, qu’as-tu pensé de cet équilibre d’actions et du panel disponible ?
Atom : J’ai un petit peu la sensation que le jeu se joue en deux phases, une première où l’on va aller en ville, recruter de nouveaux aventuriers, acheter des oiseaux porteurs pour pouvoir se déplacer sur la carte du jeu, et ensuite partir à l’aventure sur le plateau de jeu pour engranger des ressources, mais aussi et surtout prendre réaliser des quêtes. Quêtes qui sont le cœur, ou du moins l’attrait le plus fort du jeu. Puis, une fois que l’on ne peut plus se déplacer sur ce plateau livre, alors on retourne à la ville dépenser notre argent pour étoffer notre équipe d’aventuriers. Du coup une sensation de redondance s’est installée
Umberling : effectivement, il y a ces phases où la ville est peuplée, puis où la carte se peuple. J’ai l’impression vague qu’il faudrait, pour optimiser, désynchroniser ses passages en ville pour toujours avoir le choix, mais partir le plus tôt possible à l’aventure pour en récupérer les premiers bénéfices, car le monde est très largement fini. L’aventure marche pour autant bien sur moi : je me suis toujours senti impuissant en début de partie, mais, les campements permettant d’avoir des déplacements gratuits, je me suis toujours retrouvé à bien faire tel lien commercial, ou telle quête si éloignée… et pourtant, il se dégage de l’ensemble une certaine répétitivité. Il y a pourtant pas mal de choses qui devraient me donner l’impression d’être unique, et qui devraient donner à chaque partie cette sensation d’unicité : entre son groupe d’aventuriers qui confère des statistiques précises, ses objets magiques draftés en début de partie, donnant à la fois points de victoire et petits pouvoirs… Il y a de quoi faire ! Qu’en as-tu pensé, toi ?
Atom : Il est vrai que l’on part avec une petite sélection de cartes (en draft ou simplement en sélection) qui nous suggèrent une stratégie. Dès que c’est définitif, on sait quels sont nos objectifs de la session de jeu. Cela procure une sensation agréable de liberté. Je rebondis sur Above And Below que nous avons pratiqué avec mon fils. Il s’est laissé happer par l’univers, et par les choix proposés par ce titre-la. Pour ma part je les avais trouvé un peu décorrélés, mais je n’avais pas une grande exigence, sinon de passer un bon moment avec mon fils et de ce côté-là, il était conquis.
Je dois avouer que je suis assez peu réceptif au narratif en jeu de société, surtout si l’on a affaire à des pavés de texte qui finalement me sortent du jeu, comme pourrait le faire une cinématique dans un jeu vidéo. Pour moi c’est plus du baratin narratif ou du narratif bourratif, je sais pas 😉 . Above and Below m’avait convaincu à moitié de ce côté-là, mais il avait l’avantage de privilégier le jeu à la narration, du coup j’avais passé un bon moment et quand finalement ça tombait un peu à plat, ça prêtait plus à sourire qu’autre chose. J’ai appréhendé Near and Far avec cette même vision, mais en espérant toutefois que l’univers soit plus cohérent et plus dense. On a démarré la campagne, mais on y va doucement car les parties sont assez longues.
Umberling : C’est vrai qu’il y a des longueurs. Pas parce que le jeu a des ventres mous, d’ailleurs, plutôt parce que, par nature, le rythme y est lent. On doit se préparer, puis, quand on sort, on avance petit à petit. Il y a des obstacles : l’énergie qu’on doit dépenser pour placer des tentes, les menaces qu’il faut combattre… etc. Le jeu oblige à jouer sur tous les tableaux, ou presque, si l’on veut compléter ses objets magiques et vouloir prétendre à un max de points. Et, au fond, il y a des systèmes que je trouve pas si élégants que ça. La mine, en ville, fonctionne sans être ultra-intéressante, de même que les duels et la réputation qui tombent un peu à plat chez moi : un système qui parvient à la fois à être sans tension et injuste. Enfin, les oiseaux de paquetage, qui permettent de se déplacer et de transporter notre équipement d’aventurier, font un peu doublon avec nos cœurs d’endurance. Il y a un peu ce qu’on appelle en anglais le feature bloat, la surabondance mécanique. Certaines auraient peut-être dû être élaguées, au profit d’un ensemble plus digeste… non ?
Atom : J’ai trouvé en effet que ça faisait beaucoup et que ce n’était pas très intuitif, je rappelle que pour ma part, j’y joue avec les enfants. Le système d’endurance est logique, donc ça a très vite été intégré, mais sur les déplacements… c’était plus compliqué. Quelque part, c’est normal : ce n’est pas un jeu familial, mais en même temps cette mécanique d’oiseaux de paquetage fait un peu posée là pour ajouter un passage obligé qui aurait pu être élagué, en effet. La justification thématique est faible. On lui pardonne car la grande force des jeux de Laukat reste l’univers du jeu ainsi que ses illustrations.
Le monde d’Arzium
Umberling : Le monde créé par Laukat s’étend sur trois gros jeux, dont deux plutôt narratifs. Bien entendu, vous pouvez utiliser vos bonshommes d’Islebound ou de Near and Far pour l’opus de base de la série, Above and Below. Un mécanisme qui ne m’a, à vrai dire, pas tenté plus que cela, mais j’aimerais qu’on s’attarde un peu sur l’univers. À quoi a-t-on affaire, vraiment ? Eh bien, d’un monde médiéval-fantastique peuplé de créatures étranges. À la fois enchanteur, un peu gamin ou adulescent, mais surtout, un peu creux. On s’y plait parce qu’on peut s’y projeter, mais on ne se sent pas investi par l’univers… N’est pas Tainted Grail qui veut. Dans Above and Below, on s’attarde surtout sur l’écosystème du souterrain, tandis que dans Near and Far, on découvre de nouvelles contrées.
Le point commun ? L’inconnu ; et c’est très important pour comprendre de quoi il retourne et les problématiques narratives qui en découlent. Lorsqu’on parle de découverte en narratologie, on parle souvent de terrain de jeu à défricher, de limites à trouver, de choses à comprendre. Above and Below ne vous met jamais en position de pouvoir prévoir ce qui va se passer. Vous découvrirez la saynète tout à fait aléatoire, la vivrez, peut-être devinerez-vous quelque issue (un lac ! Je vais sûrement y récupérer quelques poissons), mais en soi, vous n’aviez jamais l’impression de comprendre mieux le fonctionnement de ce monde, car les événements sont aléatoires et aucun ne doit se produire automatiquement.
Dommage que les enjeux ne montent pas. Pour Near and Far, la tendance est légèrement différente. À chaque mise en place, vous placez des points de quête à des endroits aléatoires, et ce, en fonction du nombre de joueurs. Les événements sont donc liés à un environnement, mais aléatoire. Il existe même un mode arcade qui permet de les sauter, et de n’avoir que la résolution. S’ils font preuve du même genre de déconnexion que dans Near and Far, ces événements peuvent avoir des conséquences plus fortes, mais aussi très injustes.
Cependant, Near and Far propose un mode campagne, avec des fils de quêtes liés les uns aux autres…
Atom : Pour le moment, de mon côté, j’ai fait 4 parties dans le mode campagne. On a commencé à noter quelques mots-clés qui devraient nous envoyer dans des arcs narratifs précis, mais pour le moment ça reste sommaire, on est encore au stade de la promesse. J’aurais bien aimé repartir dans le monde d’Arzium, mais on a débuté avec les enfants, Clémentine (8 ans) ayant à tout prix souhaité nous rejoindre et cela demande un peu plus d’organisation car le jeu n’est pas si intuitif, comme on l’a dit plus haut.
Umberling : Après, je te rejoins sur ce que tu disais précédemment sur l’interruption du gameplay. Dans Above and Below, l’expérience est un genre de Caverna léger avec des expéditions plus ou moins narratives, mais la narration n’est que le glaçage sur le gâteau. Pour Near and Far, il y a un poil plus d’osmose entre le système de jeu et les rencontres. Cela reste, malgré tout, un gimmick. Plaisant, certes, mais pas suffisamment au cœur de l’ensemble ludique pour en être une part prépondérante. Preuve en est le mode Arcade, qui propose de changer tous les événements du livret par des cartes à choix très sommaires, sans narration. De là à dire que la matière ludique de Near and Far n’est pas dans la narration, il n’y a qu’un pas.
Conclusion
Umberling : La proposition de Near and Far intègre mieux la narration qu’Above and Below, avec des mécanismes assez parlants mais un peu lourds. Qu’il s’agisse de la gestion de son petit groupe d’aventuriers, l’élaboration de ses artefacts, les voyages dans la terra incognita qui se facilitent, la partie avançant, on s’y croit plutôt. L’opus a le chien de proposer un petit vrai voyage, malgré un univers narratif qui peine encore à trouver sa place dans les mécanismes de jeu, et qui s’avère sans doute un peu trop basique pour moi !
Atom : Je reste partagé, l’aspect narration et la mécanique est agréable malgré le sentiment de répétition. Je regrette surtout que ça puisse traîner en longueur. Surtout que mes enfants sont de l’aventure et la durée est un frein pour enchainer les parties. Je me suis laissé charmer par la promesse et l’univers, la narration est un peu plus intégrée que Above And Below et si cela reste assez en surface, cela me convient malgré tout car l’on ne se retrouve pas à lire des tartines de textes. J’ai d’ailleurs acquis l’extension et je m’intéresserai de près à la suite quand elle sera annoncée en français (Sleeping Gods).
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :
alfa 09/07/2021
Merci pour ces retours (en particulier avec les comparaisons à d’autres jeux) , même si c’est en demi teinte apparement… (peut être que 8 ans est un peu tôt non ? Le mien en a 10 et comprend tout mais n’a pas encore gagné)
Pour ma part j’ai 8 parties campagnes et je trouve le jeu très plaisant dans son mélange de gestion et narration. La trame scenaristique se dessine en filigrane via les quêtes, on rencontre des PNJ récurrents qui ont un background intéressant, tout en développant l’univers d’arzium (ses habitants, ses bestioles , ses anciens…).
Je n’ai à ce jour rencontré aucun jeu compétitif qui mêle aussi bien gestion et narration. Et vous ?
atom 09/07/2021
Oui, 8 ans c’est trop tôt, mais elle voulait jouer avec nous, donc on a essayé. Ce coté histoire l’a intéressé, mais ça restait trop long pour elle et pour nous aussi ^^ Le grand à 11 ans et il a vite compris le jeu et il en a gagné quelques unes. Je ne saurais pas trop te dire quel jeu pourrait méler compétitif, gestion et narration, si ce n’est Above And Below du même auteur.
morlockbob 10/07/2021
pour moi, N& F n ‘est pas un jeu narratif en fin de compte. Il a un bel univers, mais les quêtes et cartes qui structurent le jeu sont loin de former un tout
alfa 11/07/2021
Ah bon ? Tu as joué combien de parties ? Dans quel mode ?
Above and below n’est pas vraiment narratif, mais par chez nous en mode campagne on rencontre dans NEAR and FAR justement pas mal de quêtes qui forment de petits arcs narratifs , des perso récurrents assez charismatiques…
en fonction des choix lors de certaines quêtes, on récupère des mots clef qui enchaînent une réaction spécifique lors de la prochaine quête…
En plus d’offrir un univers cohérent avec ses peuples originaux (les gloGo, les hommes lézard…) et son histoire particulière (la guerre passée), je trouve justement que l’aspect narratif est bien pensé via les quêtes suivies , les quêtes spécifiques à chaque personnage que l’on incarne , et les mots clefs.
Near and far reste à ce jour le seul jeu de gestion narratif et compétitif que je connaisse. Mais je cherche encore ; en connaissez vous d’autres ?
morlockbob 12/07/2021
Joué en mode campagne. La totale. Et désolé , je persiste, même si la création de l’univers se tient, même si les quêtes apportent un plus au décor, je n’appelle pas cela de la narration. Histoire de définition sûrement.
Tu peux te pencher sur le Dilemme du roi, compétitif avec une histoire qui s’écrit au gré des décisions prises
Umberling 12/07/2021
Il y a Le Secret de mon Père, sur lequel on reviendra très bientôt, Charterstone, qui est compétitif et legacy, ou This War of Mine, mais qui n’est pas tant axé sur le développement que la survie, ou Seafall (mais je ne recommande pas).
nemo 12/07/2021
j’ai fait une campagne personnage (4 parties) et commencé la campagne Quete (à faire sur les 11 cartes de l’atlas). De mon point de vue, je dirai que le coté narratif donne un cadre plaisant au jeu mais n’est pas la finalité (ca n’entre pas en compte dans les mécaniques du jeu). je trouve que ca offre un petit plus à ce jeu qu’on ne trouve pas dans d’autres jeux de ressources/placement d’ouvrier.
@Alfa : Comme suggestion de jeu narratif compétitif, je pourrai te recommender Destinies (1 à 3 joueurs – 2h à 3h de partie).