Living Forest, une forêt bien animée !
Quatre esprits de la nature ont été désignés pour sauver l’Arbre sacré en proie aux flammes dévastatrices d’Onibi. Tel est le point de départ de ce dernier Ludonaute qu’on a eu le plaisir de découvrir dernièrement et qui recèle plus d’une qualité.
Dans ce jeu d’un nouvel auteur, à savoir Aske Christiansen, basé sur une mécanique de deck-building, vous allez jouer des cartes Animaux pour cumuler des symboles qui vous permettront de planter des arbres (si vous en avez 12, vous gagnez), d’éteindre les flammes d’Onibi (si vous avez 12, vous gagnez), ou de collecter des fleurs (si vous en avez 12… hé bhé oui, vous gagnez !). Au passage tout de même, quel bonheur cette triple condition de victoire avec toute la richesse qu’elle promet sans devenir un casse-tête contre-intuitif à retenir grâce à cette règle des “12” !
Living Forest rappelle Mystic Vale en ce sens que vous pouvez jouer autant de cartes que vous le souhaitez à votre tour ; c’est en cela un vrai « deck- building » puisque l’on construit son deck et non pas sa main. En effet, dans un système de stop-ou-encore très agréable, vous tirez et alignez vos cartes, une par une, puis, selon ce que vos cartes vous offrent, vous pouvez jouer deux actions différentes. Cependant, si vous alignez trois symboles noirs (les animaux “Solitaires”, les trouble-fêtes), vous devez arrêter de piocher immédiatement et vous ne jouerez qu’une seule action. Mais rassurez-vous, il existe des moyens pour parer ces mésavenants effets. 😉
C’est très agréable comme système de pioche disais-je, à la fois intuitif tout en étant fluctuant, avec sa dose d’incertitude qui nous tient en haleine. Il permet de voir au fur et à mesure nos options se dessiner. Selon ce que l’on arrive à sortir comme symboles (de cela dépendra directement nos capacités d’action) on prendra des risques, ou pas, suivant votre profil et les enjeux au moment présent.
Certains tempéraments voudront en effet jouer avec le feu quand d’autres au contraire assureront leurs arrières au maximum. Comme nous le verrons, il est possible de récupérer des Fragments qui permettent de défausser une carte indésirable et ainsi poursuivre sa pioche. Si vous êtes plus un vrai deck-builder dans l’âme, vous miserez peut-être plutôt sur les animaux Grégaires et leurs symboles blancs qui peuvent contrer les Solitaires.
Au pire, si vous vous cramez les doigts en piochant de façon trop gourmande et en sortant un symbole noir de trop, alors pas de punition trop restrictive : vous jouerez une action au lieu de deux – à éviter donc – mais vous jouerez quand même.
Quoi qu’il en soit, on s’en rend vite compte, l’ensemble des cartes est savamment équilibré. Les salvatrices cartes Grégaires arrivent souvent avec des valeurs négatives, tandis qu’au contraire les rabat-joie Solitaires présentent en contrepartie des icônes alléchantes (grâce à quoi, même si vous n’avez pas de chance au tirage, vous devriez pouvoir jouer de façon un minimum satisfaisante tout de même).
La même chance pour tous
Vous débutez tous avec le même paquet de 14 cartes Animaux, que vous allez enrichir progressivement. Vous pouvez en effet utiliser votre total de symboles Soleil afin d’acquérir de nouveaux Animaux au marché. Ce dernier présente trois niveaux de cartes, du moins cher au plus coûteux, soit 12 cartes dispo au début du tour, le tout restant très lisible avec ses icônes (aucun texte).
Attention, tout est imbriqué dans cette forêt qui se présente comme un écosystème. Par exemple, comme nous allons le voir, plus vous achetez des cartes puissantes au marché, plus vous alimenterez les flammes d’Onibi. Risque ou opportunité ? À vous de voir.
En effet, à la fin du tour, Onibi nous attaque, tous. Ce système, aux faux-airs collaboratifs, n’est pas sans conséquences multiples. Concrètement, on compare la somme des tuiles flammes encore présentes à la puissance en icônes Eau des cartes de chaque joueur. Si cette valeur vous est défavorable, vous ajouterez des cartes “Feu” à votre deck qui ne présentent qu’une seule et unique information : une icône noire. Bref, on pourrit votre groove deck. Face à ce danger, vous pouvez prévenir (éteindre le feu en amont avec vos Eaux) ou guérir (récupérer des Fragments qui, entre autres, permettent de détruire ces cartes néfastes).
Mais éteindre le feu est un jeu dangereux. De prime abord, sur votre première partie, cela ressemblera peut-être au chemin le plus direct vers la victoire. Sauf que c’est aussi le plus ostensible et le plus versatile. Chaque fois que vous éteignez le feu qui attaque tout le monde, vous prenez ces tuiles rouges et les mettez devant vous : chacune compte comme un point qui vous rapproche de la victoire. Cela paraît donc facile comme voie vers la victoire, sauf que. Déjà, pour la discrétion, on repassera. Et puis, vous n’avez pas tant prise que ça sur les flammes, puisque leur nombre et leur puissance dépend directement des achats effectués par tous au marché (on placera des flammes selon les cartes achetées). Les adversaires peuvent donc tenter d’agir directement sur cette manne de PV en régulant leurs achats. Sachant que le premier joueur dans l’ordre du tour aura forcément la priorité sur les flammes à éteindre, cette donnée sera donc aussi à prendre en compte dans vos actions. Ainsi, avec une bonne lecture du jeu, vos camarades pourraient vous mettre consciencieusement des bâtons dans les roues dans cette voie flamboyante. D’autant qu’il existe une dernière petite bravoure dans le jeu : le Cercle des Esprits.
Il s’agit d’un petit plateau circulaire annexe sur lequel tout le monde est représenté. Il vous est possible, en jouant des symboles “sagesse”, d’avancer sur cette piste giratoire. Certaines cases vous donneront des Fragments utiles pour annihiler les cartes Feu ou défausser un Animal non souhaité ; d’autres cases vous permettent de jouer une action bonus, et ô joie, même une action déjà jouée (ce qui est formellement interdit autrement). Cela peut bien changer la donne.
Dernier élément croustillant à considérer : nous commençons tous la partie avec trois tuiles victoire (un arbre, une fleur, une flamme) qui valent chacune un point. Si d’aventure un camarade vous double sur la piste des Esprits, il peut vous piquer directement un de ces points. Autant dire que vos tuiles Flammes qui crépitent bien visiblement aux yeux de tous donneront à coup sûr envie aux adversaires de venir vous voler directement.
Le jeu est donc bien loin d’être une bête course aux points où chacun a le front dans sa main de cartes. Ici, on se surveille, on se double, on se chipe des points, on se fait des croche-pattes. Les flammes apportent une dimension interactive sur laquelle il faut jouer, en laissant des flammes brûler les autres ou au contraire en leur éteignant le feu sous leur nez (oui la DA choupinette cache bien les cruautés de Mère Nature ^^). Mais les moyens d’entrer en interaction sont parfois moins directs (en prenant cet arbre puissant qui n’est pas en assez grand nombre pour que tout le monde en ait un, par exemple). La nature de Living Forest recèle plus d’un coup dans sa botte.
Il existe une autre voie, moins ostensible que les flammes, vers la victoire. Sur certaines cartes vous trouverez des symboles de fleurs. Si à votre tour vous parvenez à présenter 12 fleurs, vous réveillez le gardien de la forêt et vous l’emportez sur les autres.
L’avantage de la voie des fleurs, c’est qu’elle est difficile à prévenir pour les adversaires. L’inconvénient, c’est qu’elle peut être difficile à prévoir aussi pour vous – à moins de parvenir à un deck parfaitement équilibré où vos Solitaires sont contrés par des Fragments ou des Grégaires, afin de pouvoir jouer un max de cartes (qui sait, peut-être toutes !) et ainsi dérouler vos fleurs jusqu’à la consécration. Un joli défi pour les fans de deck-building. Les fleurs, contrairement aux arbres et aux flammes, représentent un investissement discret, et complètement sans impact sur votre moteur ; et c’est aussi une donnée à prendre en compte dans vos choix.
Dernier chemin vers la victoire, sorte de voie du milieu : les arbres. À votre tour, vous pouvez cumuler le nombre de symboles de petites pousses d’arbre pour acheter des tuiles Arbres que vous planterez sur votre plateau personnel : ceux-ci apportent des pouvoirs permanents (et si vous en avez planté 12, vous gagnez la partie). Les arbres sont de prime abord un peu difficiles à faire pousser, du moins avec des contraintes dont les autres voies ne souffrent pas : un seul achat d’arbre est autorisé à son tour, et si on peut planter deux fois le même arbre, un seul comptera dans la condition de victoire.
Mais pour compenser cela, ils vous apportent réellement de l’huile dans le moteur (+2 Eau permanente par exemple) plus des gros coups de boosts si vous parvenez à en planter assez (avec surtout la possibilité de rejouer une action avec un bonus !). D’ailleurs, si vous comptez miser sur la stratégie Arbre, il existe des façons de contourner la contrainte de l’achat unique. Par exemple, la capacité permanente de l’arbre le plus cher permet de jouer deux fois la même action à son tour, ce qui peut potentiellement bien changer la donne pour acheter deux arbres par tour. Et on l’a dit, jouer sur le Cercle des Esprits permet aussi de rejouer une action déjà jouée. Attention aux combo qui se cachent dans la forêt !
Les arbres sont donc clairement moins neutres que les fleurs sur votre moteur, mais plus ostentatoires que ces dernières, et nécessitent là aussi une bonne lecture du jeu.
La nature n’est jamais figée
Le plus excitant dans Living Forest, c’est que l’on n’est pas condamné à suivre un chemin donné. On peut très bien se lancer dans la partie en pensant jouer une stratégie “arbre” mais selon ce que les adversaires font et ce que les cartes ouvrent comme options, se rendre compte qu’une stratégie “flammes” s’impose. Rien n’est jamais figé dans la nature. Plus on joue, plus on découvre des richesses dans cette Forêt bien animée où le (dés)équilibre est le maître mot, selon vos décisions.
Les trois voies offrent des dynamiques différentes, et comme les fins de partie se terminent souvent dans un mouchoir de poche, on se laisse aisément convaincre (du moins du haut de mes quatre parties avec des fins très différentes) qu’aucun chemin n’est mieux taillé que les autres une fois les subtilités acquises.
Par dessus le marché, Living Forest offre une réalisation éditoriale aux petits oignons avec une illustration (Apolline Etienne) des plus charmantes. Le jeu a de la présence sur la table, avec un peu de 3D de carton (les présentations d’Arbres, particulièrement pratiques) pour une lisibilité accrue (seul petit bémol, les silhouettes des Esprits qui ont tendance à se défaire quand on les déplace, mais un point de colle devrait arranger ça).
En tout cas, le gameplay est définitivement fluide, élégant, agréable, accessible, sans oublier d’être très interactif. Même s’il y a quelques petites subtilités à retenir pour du tout-venant (par exemple les fragments qui contrent les effets négatifs de deux façons différentes : annihilation du Feu mais défausse des Animaux…), on a ici une formule fraîche et édité avec goût, qui donne très envie de faire découvrir les joies du deck-building au plus grand nombre !
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Chuten 29/10/2021
« Les arbres sont de prime abord un peu difficiles à faire pousser, du moins avec des contraintes dont les autres voies ne souffrent pas : on ne peut pas planter deux fois le même et un seul achat d’arbre est autorisé à son tour. »
Je me permets une petite correction sur une règle : il n’est mentionné nul part dans la règle qu’il est interdit d’acheter plusieurs exemplaires du même arbre arbre, d’ailleurs sur les exemples en dernière page du livret de règle, on voit que plusieurs plateaux de jeu contiennent deux arbres identiques 🙂
Shanouillette 29/10/2021
C’est exact, je vais modifier ma phrase ; on peut mais le 2e arbre identique ne comptera pas dans les conditions de victoire des 12 différents.
morlockbob 30/10/2021
une des belles surprises de cette rentrée automnale. Plus complexe que son imagerie le suggère
Shanouillette 01/11/2021
true !