Lindisfarne : petit mais costaud
Lindisfarne est une ville de Northumbrie, certes, mais c’est aussi un jeu de positionnement de dés tout droit venu de chez Runes Éditions. (Notons que qu’un des auteurs de Lindisfarne écrit pour Ludovox ; la rédaction essaie cependant d’être la plus impartiale possible dans cet article.)
Tenant dans une petite boîte, il nous propulse tout droit dans le monde cruel des Vikings qui préparent leurs expéditions. À l’assaut des terres du Sud !
Concrètement, il s’agira de positionner ses vikings en majorité sur trois plateau pour se tailler la part du lion et récupérer des cartes qui nous intéressent. Ces cartes font partie de fresques, rapportant plus de points si elles sont contiguës, et elles peuvent également conférer des pouvoirs, ou encore vous permettre de valider des objectifs.
Pour sélectionner ces cartes… eh bien, il faudra être le premier sur le plateau qui vous intéresse (chaque plateau donnant accès à deux cartes par manche).
Lors de son tour, un joueur peut passer pour le reste de la manche en rentrant au village, ou continuer à préparer ses expéditions en jetant autant de dés qu’il a de vikings restant, et en allouant ces vikings en fonction ses dés, sur un des plateaux. La performance sur chaque plateau est mesurée différemment. Pour le plateau du nord, il s’agit de la plus grande somme. Pour le central, la plus grande suite, et pour le dernier, le plus grand nombre de pions de la même valeur.
Lorsque tout le monde est rentré au village, on observe chacun des plateaux et regarde qui est le plus fort sur celui-ci.
Chacun son tour, les joueurs présents, en partant du plus fort, vont récupérer une des cartes Destination offertes par le plateau (2 cartes, pour entre 2 et 4 joueurs, vous voyez, c’est limité) ou prendre une carte objectif (un scoring différent).
L’opération est répétée tant qu’il reste des cartes destination. Sinon, c’est la faute à pas de chance (surtout la faute aux autres).
On s’aperçoit très, très vite qu’il y a beaucoup d’interaction dans Lindisfarne. On se guette comme de vieux loups de mer, on regarde ce qu’a récupéré le voisin pour l’empêcher de prendre la pièce centrale de sa collection (fresque). Tout est indirect, mais tout porte à râlerie. « Olaf, Leifr et Gudrunn m’ont damé le pion sur cette expédition, helvete* ! » s’entendrait-on presque dire. Il faut dire que les illustrations sont à la fois agréables à suivre et très vraisemblables, aidant à créer un décorum pour un jeu de collection et de scoring que n’aurait pas renié Reiner Knizia. Bien ramassé, sans clous qui dépasse, Lindisfarne n’a pas un poil de graisse, ou peu s’en faut. Peut-être la sixième manche est-elle un peu « de trop », mais elle permet de confirmer ses stratégies, de valider les bons (et mauvais) choix. En bref, elle est totalement délibérée.
Cette allocation de dés, au fond, c’est un peu un draft. Une enchère. Une sélection à la dure : on montre les biscotos pour dire qu’on veut vraiment quelque chose. Après, nos sélections de cartes destination, nos objectifs, les différents lancers de dés viennent tous s’ajouter en un heureux (ou infortuné) assemblage de points de victoire. Mais en tout cas, Lindisfarne invite à la prise de risques.
Pour ma part, j’ai bien aimé, pour cette sensation âpre de devoir faire des choix, pour l’ambiance bien rendue et tendue malgré un tout petit format et une narration somme toute ténue.
Pour aller un peu plus loin, nous vous proposons une interview d’un des auteurs de Lindisfarne, Alain Pradet.
Ludovox – D’où est venue l’envie de créer un jeu, et surtout, d’où est venue l’envie de créer « ce » jeu ?
Alain Pradet – Chez moi, le chemin est toujours le même : je m’intéresse à quelque chose, je plonge dedans, j’absorbe et puis je commence à en avoir assez d’être un simple consommateur et je me mets alors à agir. J’ai fait la même chose avec le cinéma, la littérature, j’ai écrit dans des fanzines pour finir chez « J’aime Lire », pareil avec la musique qui s’est transformée en émission de radio, interview, organisation de concert, groupe et soirée DJ… Dans le cas du jeu, cela signifie, animer, écrire des avis, puis des articles et finalement me dire qu’un jeu… pourquoi pas ? Je n’ai pas envie d’être un théoricien du monde ludique, je n’ai pas envie d’être le mec qui connaît 1 200 règles ou d’être une groupie, j’ai envie d’aller au-delà. Bref, faire un jeu était une suite logique.
Ce jeu ou un autre ? Ça aurait pu être un autre. J’ai fait des essais avant Lindisfarne, peu concluants car entre la théorie et la pratique…! Pourquoi celui-là ? C’est un concours de circonstances. À l’époque, nous passions des vendredis après midi avec Damien [Fleury, l’autre co-auteur de Lindisfarne] à tester des jeux pour un éditeur, je pense que cela nous a motivés. J’avais une idée de base avec un dragon, on en a parlé et puis… Je suis plutôt partisan de l’association de malfaiteurs que du mode solo.
Ludovox – C’est parti de la thématique de dragons à la base, donc. Dis-nous en plus.
Alain Pradet – À la base c’était un jeu de construction pour enfants. J’aime quand le décor se dessine au cours de la partie (même si c’est moins probant sur Lindisfarne, on retrouve cette idée dans la fresque). C’était un jeu de pioche un peu trop léger. Avec Damien, nous avons développé un système de marché pour acheter les morceaux de dragon. C’est très vite devenu le cœur du jeu et c’est bien ce qui a retenu l’attention des gens à qui nous l’avons montré. Le reste a été du développement, de l’ajustement, on a modifié des tas de choses, pour revenir à ce qu’on avait mis en place dans les premiers temps, mais un peu différemment. Un jeu, c’est le souci du détail, mais pour le savoir, il faut partir en exploration.
Ludovox – Comment la collaboration s’est-elle décidée, et déroulée ? Aviez-vous des rôles attribués dans le design du jeu ?
Alain Pradet – Au départ, on triturait les mécanismes, on a donc avancé un peu comme on pouvait, chacun proposant ce qui lui passait par la tête, avec néanmoins une idée commune et globale de la finalité (format, public et autres). Je voulais que le jeu forme un tout, que les éléments ne tombent pas « comme ça », mon côté littéraire.
Damien, lui c’est le « département stats et probas », c’est lui qui a équilibré le jeu. On a testé un maximum, avec le souci qu’au bout de 4 ou 5 parties, on sent bien que l’on saoule tout le monde avec notre proto tout moche. Une fois que Rémi [Gruber, PDG de Runes Éditions] s’est intéressé au projet, nos rôles ont été plus définis. Rémi proposait un ajustement, on testait, il testait, on discutait, on refusait, on acceptait, on proposait à notre tour. Rémi nous a surtout forcés à aller plus loin, sur des détails qui ont, je m’en rends compte maintenant que le jeu est sorti, leur importance. J’avais proposé des style d’illustrations qui me plaisaient, mais je suis content que Rémi ait fait illustrer à son idée, c’est superbe. J’étais parti dans l’idée d’un jeu amusant, il en fait un jeu profond. Rémi est d’ailleurs à l’origine de plusieurs éléments, comme la piste de décompte au dos des plateaux de jeu. On lui doit beaucoup.
Ludovox – Le jeu a-t-il toujours été dans ce petit format, ou est-ce que ça a varié, et a été figé par l’éditeur ?
Alain Pradet – Pour plusieurs raisons, j’ai toujours imaginé ce jeu dans une petite boîte. Je râle assez sur le vide des grosses boites de jeu, de ce fait, à moins d’une version deluxe avec des figurines (!), j’étais parti sur ce format. Dès le départ, j’avais comme objectif de concevoir un jeu qui serait dans une petite gamme de prix. Par exemple, chaque joueur avait à la base un set de dés, qu’on a vite remplacé par des jetons.
Je pensais également que pour des auteurs pas connus, une boîte autour de 15 euros serait plus facilement vendable. Une petite boîte c’est aussi une économie de matières. Je vois maintenant que l’idée était bonne, les retours sur le sujet sont très positifs : petite boîte, petit prix, beau et bon, ceux qui essaient le jeu ne se posent pas la question de l’achat sur une somme pareille.
Ludovox – As-tu d’autres velléités de création de jeu ? En collaboration avec ton co-auteur, avec d’autres, seul ? Des choses signées ?
Alain Pradet – On a beau le lire dans tous les compte-rendus ou les carnets d’auteur, on ne s’en rend compte que lorsqu’on a mis les pieds dedans : un jeu prend énormément de temps à créer et à développer. C’est un travail qui se fait de façon hachée : on propose, on attend les retours pendant plusieurs semaines, on s’y remet, on attend. C’est un peu particulier. Ça m’aura au moins appris la patience. Recommencer… pourquoi pas si l’occasion se présente. Je ne suis pas particulièrement bien organisé. Je ne rentre pas le soir en me disant « je vais bosser jusqu’à minuit sur ce jeu». J’aime aller au ciné, j’ai me balader, j’aime lire, je joue, je n’ai pas envie de me forcer. Les idées me viennent, j’y pense, j’y travaille, je teste parfois dans une école, parfois avec mes potes et puis si ça marche pas, je laisse reposer. Damien et moi, on en parle, mais avons du mal à nous réunir, chacun ayant ses propres contraintes.
J’ai quelques prototypes de jeux pour enfants (encore eux !) dans mon sac, parfois j’envoie une règle à un éditeur, mais je ne suis pas sûr de vouloir repartir pour trois ans et me pose des questions quant à ajouter un jeu de plus à la masse qui sort chaque semaine. Mon but n’est pas de devenir une figure du milieu, et pour ce qui est de gagner ma vie avec, autant oublier. Je serais plus intéressé par comprendre ce qui se passe dans les coulisses de l’édition ludique. J’écris pas mal et écrire est un acte solitaire. Monter des projets seul, ça ne m’intéresse pas : j’ai envie de confronter des idées, d’apprendre des choses, de rencontrer des univers différents, alors cela dépendra des rencontres… Pour le moment, je m’occupe de l’adaptation d’un de mes protos en un grandeur nature dans ma ville [Nancy] pour la fin d’année et je suis sur la relecture d’un roman… Alors le nouveau Lindisfarne, c’est pas gagné !
* N’a rien à voir avec la Suisse. Pensez à la partie infernale d’« Enfer et Damnation ! ». Voilà ce que veut dire « Helvete ». Félicitations, vous venez d’acquérir un point de culture générale inutile.
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Max Riock 21/03/2019
Lindisfarne est un de mes coups de cœur de Cannes … Déjà 4-5 parties et c’est toujours un plaisir d’y jouer et de le faire découvrir.
J’aime vraiment le système de majorité différent sur chaque plateau qui fait qu’on a toujours la possibilité de faire quelques choses de ses dés (encore plus si on a des runes) même si, bien sur, on râle souvent contre ses adversaires qui ne vous laisse pas la carte désirée et pire, rien du tout …Il y a beaucoup d’interaction indirect et c’est très plaisant. Ajoutons la possibilité de scorer de plusieurs manière permettant de changer de stratégie en cours de partie, enfin, si on s’y prend pas trop tard …
Les illustrations sont juste magnifiques et tout cela pour un prix modique ….
Bravo !
Raoul 21/03/2019
Venez le découvrir à Happy Games à MULHOUSE ce WE. 😉
Stand PIXIE.
Achéron Hades 21/03/2019
Tout pareil, j’adore ce « petit » jeu qui en très beau, malin à un prix mini.
A essayer d’urgence pour ceux qui ne connaissent pas encore !