Lacrimosa : sur les traces d’Amadeus

Lacrimosa : sur les traces d’Amadeus

Amadeus (Milos Forman) n’est qu’un exemple de la douzaine de films qui prennent pour sujet le maître reconnu de la musique classique, Mozart. Des fictions il en existe en livres, au théâtre, aujourd’hui nous parlons de notre sujet qui nous rassemble, le jeu de société. Ce sont deux auteurs espagnols qui se sont penchés sur le sujet. Après avoir produit 1998 ISS dans la série des 19xx que nous affectionnons à la rédac, et On the origine of species qui met en jeu Darwin (ni les traces, ni le projet, encore un autre), ce nouveau jeu de Gerard Ascensi et Ferran Renalias prend à nouveau pour cadre un point central de l’histoire de l’humanité. Lacrimosa qui avait fait parlé de lui à Essen dernier, nous fait marcher aux côtés de Mozart.

 

Requiem for

Sur son lit de mort, Mozart écrivait encore de la musique, Les huit dernières mesures sont le Lacrimosa du Requiem en ré mineur. Faute de moyens, Constance, sa veuve, fait appel à des mécènes pour parrainer l’écriture des derniers mouvements de l’œuvre inachevée. C’est le rôle que nous jouons dans Lacrimosa, des mécènes qui ont connu Mozart et partagé des souvenirs avec lui. Ainsi en cinq périodes de sa vie, faits de voyages et de compositions, nous allons vivre aux côtés du maître, commandant des opus, nous remémorant des souvenirs, et en finançant l’écriture de la fin du Requiem.

À qui s’adresse ce jeu ? Iello le classe dans sa gamme expert, voyons de quoi il en retourne.

 

Charmant Wolfgang ?

Le jeu nous balade dans la vie du compositeur, ses voyages en Europe qui ont forgé sa nature, ses époques de vie et d’écriture. Il s’agit d’un jeu à point de victoire certes, mais pas de salade ici, le calcul se fait rapidement à la fin, et principalement tout au long de la partie. Objectif et gestion de ressources sont assez classiques, mais ce qui charme, c’est la gestion de l’action.

Cinq types d’actions, que nous allons choisir au gré du tirage des cartes de notre deck. Ce deck ne sera jamais composé que de neuf cartes.

 

Deux cartes à glisser dans la fente du plateau perso : en haut l’action, en bas la ressource gagnée pour la prochaine manche.

 

L’une des actions, Souvenirs, va nous permettre d’acheter une nouvelle carte, qui viendra remplacer une autre carte associée à l’action. Ce qui est élégant, c’est que parmi les quatre cartes que nous avons toujours en main, nous en choisissons une pour l’action, et une autre pour la ressource qu’elle amènera pour la prochaine manche. Cinq actions de base, un choix restreint à chaque tour, mais un choix tout de même. C’est un guidage pour nous permettre de choisir plus rapidement l’action du tour, ne pas être figé devant un arbre des possibles. Chaque tour nous laisse le choix entre deux à quatre actions possibles, mais lors d’une manche, on aura vu passer en main toutes les possibilités. Cette façon de nous mettre sur des rails pour le tour en cours est appréciable, avec évidement le côté chance du tirage qui intervient, nous laissant parfois frustré de na pas pouvoir prendre de vitesse un adversaire sur un bon coup.

 

Plateau personnel : les finances à gauche, les Instruments à droite, la barre des 3 ressources. Au dessus et en dessous les cartes que l’on glisse dans les fentes.

 

Ces actions vont nous permettre de voyager pour prendre des objectifs et des bonus, écrire un opus, jouer cet opus ou participer au requiem. 

Le plateau central présente la carte de l’Europe centrale avec une douzaine de villes. En utilisant l’action Voyage, nous déplaçons le pion Mozart, chaque ville nous offrant des bonus immédiats ou des objectifs de fin de partie. Première ressource, le voyage.

Sur ce plateau central, on va trouver au-dessus une rangée de cartes Opus et souvenirs. L’action Opus, permet d’acquérir un opus, une autre action permettra de vendre ou interpréter l’opus. Les cartes Souvenirs (action Souvenir) acquises vont améliorer votre main. Il vous faudra dépenser la ressource Talent de Mozart.

Et en bas du plateau, le requiem, en cinq mouvements, sur lesquels vous pourrez placer vos jetons Notes contre la ressource Composition, faisant ainsi contribuer l’un des deux compositeurs (choisis pour la partie) à l’écriture de ce requiem.

 

En haut la rivière de Souvenirs et Opus, avec leurs coûts glissant. Au milieu le voyage en Europe, à chaque étape un bonus ou un objectif de fin de partie. En bas le Requiem (on y revient plus bas).

 

Le plateau personnel comporte plusieurs zones : une qui permet d’ajuster les ressources, qui seront perdues en fin de manche si non dépensées. Un plateau en double layer qui permet d’être à l’aise avec la manipulation, nous offrant ce plaisir assez savoureux de glisser nos deux cartes du tour, cela quatre fois par manche. Une piste Finance qui pourrait être la clé de la réussite, la bourse vous rapporte des ressources en début de manche, mais surtout, montée au maximum, chaque incrémentation fera gagner 2 PV. Enfin une piste Instruments qui iront rejoindre la requiem grâce à la dernière action, Requiem.

Le jeu nous demande de gérer plusieurs types de ressources, nous propose cinq actions, des ressources fortement utiles mais que l’on perd en fin de manche. Des actions à choisir parmi un spectre réduit à chaque tour. Pour le moment classons le titre en Expert moins.

Mozart et la gestion des ressources

De la vie d’un être comme cet artiste qui a une renommée, une aura, une vie mouvementée, une fin tragique, il est bien vu de faire un jeu de gestion. Le personnage a voyagé, a reçu beaucoup de commandes, gagné de l’argent, mais menait un grand train de vie. L’argent est clairement une ressource critique dans la vie de Mozart,

L’artiste est connu aussi pour sa capacité à composer différentes pièces, opéra, symphonie, musique de chambre, différents opus qui feront un élément de richesse du jeu.

Et ce requiem, qui semblerait avoir été une commande, et qu’il ne peut achever. Mozart meurt en 1791, à 35 ans. Le Requiem sera terminé à la demande de Constance sa femme par trois de ses élèves, Franz Xavier Süssmayer, Joseph Eybler, Freystadler et probablement l’abbé Stadler. Une fin de vie qui est le propos même du jeu. Nous, mécènes, devons charger les compositeurs de la partie (deux parmi quatre) de participer à finir ce requiem. L’idée est audacieuse, la mise en œuvre plutôt réussie, même si la position de mécène embauché par la veuve pour financer des compositeurs à terminer l’œuvre du défunt est un peu alambiquée.

Le thème est fort, et tout semble bien documenté, mais peut également passer au second plan.  Si vous souhaitez une meilleure immersion dans le thème, vous connaissez sans doute la playlist qui va bien, mais vous aurez un choix considérable d’œuvre, ça dépasse le demi-millier tout de même !

 

L’art du crescendo

Restons un peu dans la musicalité du titre pour parler du tempo du jeu. C’est une œuvre bien orchestrée de ce côté. Le démarrage se fait en douceur avec le même deck pour tout le monde. Les actions étant assez limitées, on essaiera de faire un coup opportun qui pourra constituer un démarrage de moteur. En acquérant une nouvelle carte Souvenir, celle-ci viendra prendre la place de la carte du bas jouée, une façon d’épurer et de construire sa main très directe. Ces nouvelles cartes sont de plus en plus fortes au fil des manches, et amènent vers une accélération du rythme. Les cartes souvenirs double-action nous conduisent dans le dernier tiers de la partie vers un climax, avec des tours a plusieurs actions qui font monter fortement la jauge de satisfaction. La fin de partie n’est pas une redescente des possibilités, et arrive au bon moment, quand tout est fait, que peu de choses n’ont pu être finalisées. On est alors en pleine capacité, on pourrait continuer, mais tout est dit, la pièce se termine bientôt, Lacrimosa n’est pas de ces jeux qui ajoute des manches inutiles. Bonne progression, crescendo raffiné.

 

Solo de trompette

Les quatre tours s’enchaînent, en cinq manches, qui sont les périodes de la vie du virtuose. L’interaction est assez légère sur chacune des actions, mais tout de même présente. La partie Requiem étant un enjeu important en Points de Victoire, fonctionnant sur un système de participation majoritaire, c’est également celle qui nous propose le plus d’interactions. Chaque note provenant de notre piste instrument que nous plaçons dans l’un des cinq mouvements du Requiem fera des points, mais en fonction de la contribution du compositeur que nous avons fait intervenir. Le choix du compositeur (parmi deux à chaque partie) est autant à faire en fonction de la majorité et des points que rapporteront la note posée, et éventuellement enlevés aux adversaires, que la tuile que nous octroie ce compositeur pour ce mouvement donné, tuile qui peut participer à notre construction de moteur. L’action Requiem est source de points de victoire, à ne pas négliger. Le nombre de notes est limitée, il ne sera pas possible de truster toutes les mouvements, surtout qu’il faudra respecter les instruments, un trompette de la piste instrument ne pourra aller que sur un emplacement trompette, et il n’y en a pas dans tous les mouvements.

 

côté croche ou double croche du jeton Instrument pour déterminer quelle tuile on achète, et quel compositeur sera majoritaire dans chaque mouvement. Pour le mouvement 4 (Sanctus) c’est double croche qui est majoritaire, chaque note rapporte 5 PV à jaune, alors que violet gagne 3 PV pour chacune de ses note.

 

Écouter en boucle ?

La découverte de ce jeu est très plaisante. Les règles sont peu complexes pour un expert, les tours sont fluides, le système de choix d’action très agréable, et laisse du choix tout en réduisant l’arbre des possibles. La main bloquée à neuf cartes donne une vision complète de sa main lors d’une manche, mais permet de la faire évoluer avec l’action Souvenir. La progression dans la partie est bien rythmée. Reste à savoir si la progression au fil des parties sera intéressante.

Le jeu offre de la rejouabilité de par sa mise en place qui vient avec des compositeurs différents pour le requiem, des bonus de manche, des bonus et objectifs de voyage variables, une mise en place de notes différentes sur les différents mouvements du requiem. Pour autant, est-ce que tous ces éléments vont donner une grande rejouabilité, ce n’est pas certain. L’impression est qu’une voie assez intéressante est celle de développer rapidement sa piste de finances, ne reste plus ensuite qu’à prendre de façon opportuniste. De façon assez étonnante, ce ne sont pas les objectifs que nous cueillerons au gré des voyages en Europe qui seront source de points. Ces objectifs sont souvent assez contraignants, demandant de garder des opus plutôt que de les vendre par exemple, pour un gain qui n’est pas à la hauteur de l’effort engagé.

Le rejouabilité ne vient pas sans inconvénients, il est en effet nécessaire pour moduler les parties, une mise en place légèrement fastidieuse de tri de cartes, de tuiles, et en fonction du nombre de joueurs. Pour le rangement il en va de même. Le travail d’édition est soigné, les icônes très lisibles. Le plateau prend beaucoup de place sur table, et il sera difficile d’avoir une vision du haut et du bas. Mais tous ces éléments sont importants sur le plateau, la piste des cartes souvenirs du haut du plateau ne pourrait être enlevée car, fonctionnant comme une rivière, les coûts et éventuels bénéfices des cartes en sont modifiés au fil des tours.

 

Beaucoup de choses élégantes dans Lacrimosa qui en fait un titre que je rejoue avec plaisir. Une bonne tranche d’opportunisme entre les cartes souvenirs/ opus et la possibilité que nous offrent les actions du tour, mais la nécessité de mettre en place un moteur à ressources ou à point de victoire, qui peut sembler un peu évident, les prochaines parties en seront témoins. C’est un type de jeu qui me correspond, car il nécessite de s’adapter. Les joueurs qui préfèrent planifier leur partie pourront y trouver moins de saveur. Malgré son classement expert par l’éditeur, et pour sûr il n’est pas familial, le titre est assez « léger » en complexité. Il est agréable à découvrir, procure de bonnes sensations aux opportunistes. Il a sa place dans les bonnes découvertes.

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