Kronologic – Paris 1920 : récital neuronal

Certains murs renferment des secrets. Un air de mystère résonne au cœur de l’Opéra parisien. Trois affaires inexpliquées nous sont confiées. On aiguise la pointe de notre crayon, la réflexion peut s’enclencher. Logique correcte exigée ! À nous de briller de mille feux par la pertinence de nos déductions pour résoudre les enquêtes et rétablir la vérité.

Oui, certains murs renferment des secrets. Une question a persisté longuement, au fil de mes parties : que penser de ce jeu ? C’est ce que je vais tenter d’élucider en remontant le temps, à travers les paragraphes de ce Just Played.

Temps 1 : au début, j’étais…

… dubitatif.

Tiens, un jeu de déduction logique ? Est-ce amusant ? Je me posais simplement la question, tout en scrutant la boite pour la première fois.

Le visuel nous transporte il y a un siècle, à l’époque des années folles (une période d’intense activité sociale, culturelle et artistique). Je distingue différents noms sur la couverture. Il y a un duo d’auteurs (Fabien Gridel et Yoann Levet), un duo d’illustrateurs (Arch Apolar et Yann Valeani), et un duo d’éditeurs s’étant associés pour ce jeu (Origames et Super Meeple). Quand j’ai vu le nom de Yoann Levet, j’ai songé à Myrmes, ArcheOlogic, Humanity et Temple Code dont il est l’auteur, entre autres. Avec Fabien Gridel, ils ont déjà proposé ensemble le jeu de déduction logique Turing Machine, qui n’est pas passé inaperçu à sa sortie. Vis-à-vis de ce précèdent jeu, Kronologic m’a donné l’impression d’être plus thématisé, davantage scénarisé, instaurant ainsi un rendu que je jugerais moins austère. L’envie et la curiosité devenant trop grandes, j’ouvris la boite pour découvrir ce que nous avait réservé tout ce beau monde.

À la lecture du fascicule de règles, de nouvelles questions affluèrent.

Tout d’abord, j’ai lu les termes « scénario » et « enquête » sans parvenir à me projeter, ici, dans une aventure narrative digne de ce nom. Adorant les jeux racontant aussi une histoire, j’ai compris être davantage face à un jeu de déduction avec l’ajout d’un thème, d’une ambiance, qu’en présence d’une profonde expérience narrative. Je reconnais tout de même que ce thème, ainsi que le travail d’édition soigné, constituent un effort appréciable favorisant les sensations ludiques.   

Ensuite, je me suis interrogé sur l’aspect répétitif que l’exercice de déduction proposé pouvait instaurer. Va-t-on réellement suivre toujours le même procédé, en boucle ? C’est-à-dire, se saisir d’une plaquette, l’associer à une carte, noter l’information ainsi fournie et recommencer la même opération, encore et encore, d’un défi à l’autre. C’est tout ? Oui et non.

Chaque partie propose effectivement toujours de répondre à une question (définie par le scénario en cours) en étant le premier à combiner correctement les informations suivantes : « Qui, quand et où ? ».

Il y a 15 défis en tout (non rejouables) répartis en 3 scénarios proposant chacun 5 défis classés par ordre croissant de difficulté (1 étoile pour le plus simple proposé au début du jeu, jusqu’à 5 étoiles pour le plus complexe, à la fin du jeu).

Dans chaque défi, 6 personnages évoluent au sein de l’Opéra de Paris, divisé lui-même en 6 lieux, à travers 6 unités de temps. D’un temps à l’autre, chaque personnage effectue toujours un déplacement obligatoire dans un lieu adjacent à sa position actuelle (en passant par les accès indiqués sur le plan de l’Opéra). Le même personnage ne se trouve donc jamais deux temps d’affilés dans le même lieu.

Une bonne prise de notes est la clef.

 

Par exemple, lors de vos 5 premières parties (Scénario n°1), il va falloir identifier un assassin. L’objectif sera de définir quel personnage s’est retrouvé seul avec le Détective pour l’empoisonner, à quel moment et dans quel lieu ?

Vous allez alors poser une question, durant votre tour de jeu. Pour cela, il faudra choisir une plaquette Personnage ou bien une plaquette Temps et l’associer à une carte Lieu. Les plaquettes sont ajourées par endroit, permettant ainsi de voir à travers et de révéler des informations pertinentes situées sur la carte Lieu placée derrière. On obtient alors une information commune, que l’on partage à haute voix à tous nos adversaires, et une information strictement privée que l’on ne divulgue pas. Chaque joueur et joueuse inscrit simultanément les données ainsi récoltées sur sa feuille de notes, de façon secrète, derrière un paravent.

Le matériel est en place, la partie peut commencer.

 

Une première partie, quelques tours de table où on avance à tâtons, puis la magie opère : le jeu révèle tout son intérêt. Celui-ci réside dans la recherche de la bonne association. Le système des plaquettes perforées est ingénieux et fonctionne à merveille. J’avoue au début avoir souhaité à plusieurs reprises directement associer un Personnage à un Temps, ce qui n’est absolument pas possible. Une légère phase d’adaptation est nécessaire pour appréhender le système, mais rien d’insurmontable. Il faut bien réfléchir pour créer l’association la plus judicieuse, au bon moment. En effet, il ne s’agit pas de dépenser trop d’actions inutiles et perdre de précieux tours de jeu, laissant ainsi l’opportunité à nos adversaires de remporter la victoire avant nous. Nous sommes clairement dans une course.

Temps 2 : puis, je suis devenu…

… de plus en plus perplexe.

Comme on vient de le voir, ce jeu propose de résoudre des défis plus rapidement que ses adversaires. Or, à l’issue de mes premières parties, nous étions plusieurs à trouver la bonne réponse en même temps. Nous avons alors partagé la victoire, provoquant le sentiment d’avoir gagné sans gagner, l’impression frustrante d’avoir joué dans le vide. Par ailleurs, il est aussi possible de constater que tout le monde se soit trompé de réponse lors de la vérification finale, la partie est alors complètement perdue (sans être rejouable…).

Dans ce jeu non coopératif, j’ai également été troublé par le fait qu’à notre tour, on donne obligatoirement une information utile à l’ensemble de nos concurrents. Malgré cet indice commun, je souligne que le hasard peut aussi offrir un avantage certain à celle ou celui qui s’oriente d’emblée vers la bonne réponse, au gré d’informations privées essentielles.

Temps 3 : enfin, je suis…

… agréablement surpris.

L’aspect ludique est-il au rendez-vous ? C’est une question que je me suis longuement posée. Dans le sens où réfléchir, c’est bien, mais s’amuser aussi, c’est mieux. Ce qui est certain, c’est que ce jeu ne conviendra pas à tout type de joueur et qu’il faudra aussi choisir le bon moment pour le proposer à une table. On va par exemple éviter les fins de soirées, après plusieurs autres jeux assez costauds, ou si la journée a été déjà bien chargée mentalement. Quoi qu’il en soit, dans son genre, Kronologic : Paris 1920 coche toutes les cases du jeu de réflexion idéal.

Son thème, tout d’abord, nous plonge dès l’ouverture de la boîte dans une ambiance attractive, au service d’une mécanique facile à appréhender, sans aucune surcouche ou fioriture. Les règles sont ultra simples à comprendre, aucun aller-retour dans le fascicule d’explications n’est nécessaire. Le jeu se met en place rapidement, pour des parties aux durées raisonnables.

En revanche, il m’a fallu du temps avant de réellement apprécier ce jeu. En fait, j’ai appris à l’aimer, pour finir par m’investir pleinement dans la recherche des solutions aux défis proposés. Les phases de déduction m’ont offert de bons moments, avec toujours une appréhension mêlée d’excitation lors de la vérification finale. De même, vouloir trouver la solution avant les autres est stimulant. La difficulté est progressive, ce qui permet de se challenger au fur et à mesure des parties. Il n’existe cependant aucune façon d’ajuster le niveau de difficulté entre joueurs d’aisances logiques ou d’âges différents, afin d’équilibrer l’expérience ludique.

Il existe également un mode pour jouer seul, qui est tout aussi intéressant. Il propose de résoudre chaque enquête en posant le moins de questions possibles (l’association des plaquettes et des cartes Temps/Lieu ou Personnage/Lieu). Un tableau en fin de partie indique notre classement (or, argent ou bronze).

Par ailleurs, j’ai trouvé intéressant que chacun des scénarios apportent une petite particularité dans son principe. En effet, lors des premiers défis, on enquête la veille de la mort par empoisonnement du détective. Or, le temps que ce poison fasse effet et que le décès ne survienne, nous avons la possibilité d’interroger le détective lui-même directement ! avant sa propre mort. Je trouve cette pirouette scénaristique assez originale pour être signalée. Je me refuse à vous révéler ici les principes du scénario n°2 et du n°3, mais sachez qu’ils sont tout aussi dignes d’intérêt, avec leur lot de surprises.

Le détective est mort, à nous d’enquêter !

 

Le plaisir est aussi favorisé par un matériel de qualité où chaque élément est illustré de façon élégante, en parfaite adéquation avec le thème et l’époque. L’ensemble est à la fois agréable et intuitif à manipuler.

Au sujet du matériel, seul un détail m’a interpellé, sans pour autant venir gâcher mon expérience. Je vous le présente ci-après (en le glissant sous ma loupe pointilleuse) : on ne s’est absolument jamais servi du plateau sur lequel figure le plan de l’Opéra. Ce plan est déjà présent sur les feuilles de notes, sous notre nez durant toute la partie. Ce plateau devient alors très rapidement accessoire… jusqu’à rester dans la boîte.

 

Le plan de l’Opéra, avec les accès possibles aux 6 lieux.

 

Enfin, j’ai fini par m’habituer au fait de fournir des informations communes à toute la table, lors de mon tour de jeu (même si je n’ai réellement aucun contrôle sur le type d’indice que je donne, c’est le jeu qui le décide). Ce principe offre un avantage certain : la fluidité des tours de jeu. Tout le monde écrit en simultané des informations sur sa feuille de notes, ce qui évite les temps morts.

Temps 4 : et à l’avenir, je serai…

… plus ouvert.

Je compte rester à l’affût des prochaines boîtes autonomes d’ores et déjà prévues dans cette collection par ce duo d’auteurs, aux époques et ambiances différentes (Kronologic : Cuzco 1450, ainsi que Kronologic : Babylon 2500). Je suis curieux de voir le renouveau éventuel que pourrait apporter ces futurs titres. J’imagine qu’ils ne seront destinés qu’aux fans du genre, afin d’offrir de nouveaux défis et prolonger ainsi l’expérience, mais je me trompe peut-être. Seul le temps nous le dira (logique !).

Il n’en reste pas moins que Kronologic : Paris 1920 fonctionne déjà parfaitement dans l’état actuel des choses et propose largement de quoi ne pas ménager ses méninges. Il ravira les personnes avides de défis logiques, tout en parvenant à rester accessible auprès d’un public peu habitué aux jeux de société.

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