Imperial Steam : Rester sur les rails
Avec Lignum (en 2015), Alexander Huemer nous proposait de gérer une scierie pendant une année, investir, planifier, etc. Le bois étant à la fois une ressource pour le chauffage, mais aussi pour l’ébénisterie. Un jeu un peu austère (de bois) mais qui a su convaincre le public visé, les joueurs experts.
Imperial Steam, son deuxième jeu, nous propose de construire le réseau ferroviaire autrichien. L’un comme l’autre sont des jeux experts. Un terme que je n’aime pas trop, comme si on pouvait se prétendre expert ludique. Néanmoins, il faut admettre que ce n’est pas un jeu pour tout le monde, car il propose des mécaniques très exigeantes. Un jeu qui mixe de la gestion de ressources, (acier, bois, métal), de la construction de réseau, des investisseurs qu’il faudra séduire, sans oublier de la pose d’ouvriers et un marché des ressources, et même un peu de livraison. Le jeu a trusté plusieurs récompenses, comme le Diamant d’or où il termine troisième, el Jogo del ano au Portugal et bien d’autres encore…
Construction du réseau ferroviaire autrichien au siècle dernier
Historiquement (je ne l’invente pas, c’est dit dans la règle), l’Autriche a décidé de se doter d’un réseau ferroviaire en 1839, et pour éviter d’être dépendante de la Hongrie, elle a décidé de le construire uniquement en Autriche, malgré le relief fait de montagnes à creuser et d’aqueducs à construire.
Nous sommes des investisseurs et allons relever le défi. Pour cela nous avons huit tours (ou moins) pour relier la ville de Vienne à celle de Trieste en construisant des rails, des gares, des industries, en prenant des contrats etc.
Nous avons deux conditions de fin de partie, soit on arrive au bout des huit manches de jeu et personne n’a atteint Trieste, dans ce cas on compte la fortune des joueurs, mais on ne compte pas les contrats qui sont très lucratifs si réalisés. Ou bien un joueur (ou plus) a atteint Trieste, et dans ce cas les contrats seront honorés et les joueurs ayant atteint Trieste gagneront des Florins en fonction de la taille de leur réseau. Deux conditions de fin et deux décomptes différents, un petit twist que j’aime beaucoup.
La bataille du rail
Si on résume le jeu, toute notre énergie va être dépensée pour construire des rails vers les différentes villes de la carte, si possible plus rapidement que les autres joueurs, pour éviter de les payer. Ou bien en choisissant une autre route. Pour cela, il nous faut, des ressources, acier, métal et bois dans notre locomotive, mais aussi de la force de travail, des ouvriers. Cette force de travail dépend des villes que l’on tente de relier, tout simplement. Petit détail qui a son importance, avec les mêmes ressources on peut construire deux parties de voies, en revanche il faudra avoir optimisé nos ouvriers.
Tout le jeu est construit sur des dilemmes. On commence avec une somme de départ, qu’il va falloir miser dans une enchère de départ, qui va déterminer deux choses : l’ordre du tour, ainsi que les villes où l’on pourra recruter. Miser suffisamment pour avoir accès à au moins une et même deux villes, mais garder assez pour la suite.
Il m’avait manqué des ouvriers lors de ma première partie et j’avais souffert pour construire mes réseaux ferroviaires. Par conséquent, lors d’une deuxième partie, je fais péter le pécule de départ, et je recrute trois ouvriers avant que les prix n’augmentent trop, même si je cours le risque de ne plus avoir d’argent pour la suite. Mes adversaires font de même, mais n’en recrutent que deux, puis ils construisent une voie ferrée. Je décide de différer cette action afin que les ouvriers gagnent de la force de travail (en fin de manche ils prennent 1 de force) et construire deux voies d’un coup. Je décide d’aller chercher la petite levée de fond de 10 Florins qui ne sera pas de trop, et je m’en tiens là pour cette manche.
La manche suivante, nous aurons trois actions au lieu de deux. C’est Byzance ! (puis 4 et même 5 sur les manches suivantes).
Mécaniquement parlant, nous sommes dans de la pose d’ouvriers, dans l’ordre du tour on place notre jeton main sur une tuile action, et on réalise l’action, tout simplement. 11 tuiles pour 11 actions différentes. Dont celle de passer. Oui, on peut passer son tour en plaçant son jeton dessus. Pourquoi cela ? Parce que refaire une même action est sanctionné, on perd un d’influence, ce qui peut avoir des conséquences fâcheuses, comme par exemple l’impossibilité de recruter dans un certain type de villes. Par contre, on peut très bien être plusieurs sur l’action sans que cela ne pose de problème, l’interaction est plus présente dans le tempo que le blocage, et ce n’est pas pour me déplaire, pour autant n’aller pas croire qu’elle n’est pas présente, on passe son temps à surveiller les autres joueurs, regarder ce qu’ils peuvent faire, si on peut se permettre de gagner du temps, ou si au contraire il faut se presser pour construire ses rails, son industrie etc.
Bref, mes adversaires ont déjà construit leurs premiers rails, ils n’ont plus de ressources. Alors, plutôt que de rester en concurrence avec les autres, je vais aller vers l’ouest. Je récupère des jetons Améliorations qui me permettent plusieurs choses, comme augmenter l’influence (important nous l’avons vu) mais je décide de transformer mes wagons de marchandise en wagon de voyageurs, ce qui va me donner un revenu à chaque manche. En revanche, c’est un peu osé, car je n’ai plus rien pour stocker mes marchandises. Cela fait sourire mes adversaires 🙂
J’ai déjà un peu planifié mes actions à venir, mon objectif est de relier au plus vite la ville de St Michael, afin d’y livrer du bois pour gagner un peu d’argent que je vais investir dans un autre train… Je vais donc construire une usine dans la ville de Vienne, notre ville départ. Sauf que ça me demande de me séparer d’un ouvrier qualifié, mais cette usine produira du bois, utile pour la suite. Qu’importe, je devrais arriver à tenir quelques tours avec mes quatre ouvriers, surtout qu’ils vont gagner de la force de travail.
Je consacre aussi une action pour acquérir un contrat qui me donnera des points en fin de partie s’il est réalisé, je ne prends pas trop de risque puisqu’il me suffit simplement d’avoir une usine de bois, or c’est déjà le cas. Par contre, cela exige de sacrifier un des wagons pour ce contrat.
Constamment, le jeu nous bride, nous pressurise, si bien qu’il nous manque dix florins pour construire un rail, on ne peut recruter parce que notre influence est trop basse, on n‘a pas assez de force de travail, il nous faut payer une ressource pierre supplémentaire pour construire un aqueduc, etc. Les usines coûtent de plus en plus cher, les ressources aussi.
Un jeu très exigeant où il faut penser au moindre détail, si vous jouez une action un peu en dilettante, vous risquez de le regretter, car votre machine va se gripper. Et si vos adversaires ne font pas d’erreurs, la différence va augmenter, avec un joli effet lose to lose.
Ne pas dérailler…
Nous voilà au milieu de la partie, plutôt que de devoir régulièrement acheter des ressources, pardon réserver pour la manche suivante, parce que l’on ne peut acheter qu’une seule ressource par tour, j’ai fait le choix de construire des usines que je blinde de ressources, mais en conséquence je dois aussi recruter de nouveaux ouvriers.
J’ai besoin d’argent, je décide donc d’influer un peu sur le cours de l’action en dépensant de l’influence (chose que je vais rapidement regretter). Je vends une action de ma compagnie, j’ai de nouveau de l’argent, mais en fin de partie je devrais donner 10% de tout mon argent à ce gentil investisseur, et je rappelle que l’argent sont les points de victoire. On n’a rien sans rien !
À toute vapeur !
Nous sommes à deux manches de la fin et Trieste est en vue. Deux joueurs devraient probablement réussir à l’atteindre, pour ma part je vais tout faire pour m’en approcher, mais je ne pense pas y arriver. Qu’à cela ne tienne, je décide de livrer du charbon dans les Métropoles, ce qui me permet d’obtenir les clés de ces villes et des points en fin de partie en fonction de leur position sur la piste d’influence. J’essaie aussi de prendre quelques contrats qui me donneront pas mal de points de victoire si Trieste est reliée (sinon ils ne comptent pas).
Le jeu se termine et comme théorisé, deux joueurs atteignent Trieste. il me manquera deux voies pour y arriver, je vais donc devoir emprunter les voies des joueurs, je dis emprunter mais je vais devoir les payer, 20 Florins pour chaque tronçon manquant. S’il ne vous en manque que deux, ça va, mais sinon ça fait mal. Cela accentue le côté lose to lose, la double peine. D’autant que les joueurs qui sont arrivés au bout, gagnent 10 florins par rail construit, et vous non. Non seulement vous n’avez pas atteint l’objectif, mais en plus il faut payer les copains.
Ne pas atteindre la cité balnéaire n’est pas forcément signe de défaite, mais on sent tout de même que c’est assez mal engagé. Si en plus vous devez payer un ou plusieurs investisseurs, ça risque de rendre la facture bien salée. Et dans les faits nos parties se sont soldées par des scores assez distendus on va dire. Sur la première, la gagnante l’emporte avec plus de 1000 florins, tandis que les trois autres se battent autour des 400 à 200 Florins. Sur la suivante, l’écart est moins important, mais tout de même conséquent. Il y a souvent un joueur qui va être largué, il vaut mieux le savoir.
Trieste pas Trieste ?
S’il existe deux conditions de fin et deux décomptes, le jeu est clairement conçu sur le fait de relier la cité balnéaire, et pour l’instant sur toutes les sessions que nous avons réalisées, le gagnant a atteint Trieste. Pour autant, il existe tout de même d’autres moyens de marquer des points de victoire, par exemple obtenir les clés de la ville en étant le premier à livrer les quatre tuiles Métropole. Cela crée une petite course et un dilemme intéressant. Prendre des contrats est aussi un gros pourvoyeur d’argent qui sont des points de victoire, mais avec le risque de ne pas les marquer si personne n’atteint Trieste, il faut donc constamment avoir l’œil sur la partie. Il faut aussi relier rapidement des villes qui permettent de construire des usines.
bilan
Je l’ai un peu évoqué dans mon introduction, Imperial Steam est un jeu expert dans le sens hyper exigeant et même punitif, dans notre partie, le dernier qui découvrait le jeu a fait quelques erreurs qui l’ont laissé sur le carreau, c’est-à-dire qu’il savait déjà à la manche trois qu’il avait perdu. C’est un peu ce que j’avais vécu sur ma première partie. Le jeu n’a aucun catchup, si vous n’avez plus d’argent et pas de revenu, vous allez souffrir, vous êtes dans la spirale infernale et pas sur que vous en sortiez, idem si vous n’avez pas assez d’influence pour aller recruter.
À titre personnel, je n’aime pas trop les mécaniques de Catchup dans les jeux “experts”, je préfère perdre avec une grosse différence de points, et me dire que j’ai une marge de progression à atteindre, que gagner de manière étriquée, en me disant que ma victoire s’est jouée sur une action parfois opportuniste en plus.
Un autre élément qui peut chagriner, c’est le côté un peu scripté du jeu, en effet au tour 1 tout le monde va aller recruter des ouvriers, c’est la base, on va aussi probablement rapidement construire nos rails. Alors oui, les premières actions sont peut-être souvent les mêmes, mais comme dans beaucoup d’autres jeux. Par exemple, dans Concordia, notre première action va probablement être un Architecte. Ce n’est pas quelque chose que je trouve rédhibitoire, parce qu’ensuite le jeu est plutôt ouvert, presque trop, on n’est pas loin du bac à sable.
Difficile aussi de passer sous silence la mise en place qui peut être assez longue, là encore dans un jeu qui dure 2h30 voire 3h, une mise en place de 20 minutes ne me choque pas plus que ça. Installer Bitoku sur la table n’est pas une sinécure non plus (non ce n’est pas une contrepèterie). L’avantage de ce setup, c’est qu’il est adapté pour toutes les configurations, mais aussi qu’il peut varier et créer des situations différentes à chaque partie, avec des conditions de jeu plus ou moins tendues. Il vaudra mieux pour la première se contenter de la partie initiation, mais ensuite on peut faire selon notre bon vouloir ou des configurations imposées grâce à un deck de cartes. Je regrette juste que celui-ci ne nous indique pas le niveau de difficulté.
L’édition est excellente, l’ergonomie parfaite, même s’il faut se l’approprier un peu, il existe pas moins de sept phases à chaque manche qui sont rappelées sur notre plateau joueur, impeccable rien à redire. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu une règle d’un aussi gros jeu aussi bien organisée (depuis Ultimate Railroad en fait), et ce n’était pas gagné, étant donné le nombre de mécaniques différentes à appréhender. Chapeau bas.
Fun, pas fun ?
À ce stade, j’avoue ne pas savoir avec certitude si j’aime le jeu ou pas, disons que j’ai furieusement envie d’y rejouer, ce qui est plutôt bon signe.
Tout dépend ou l’on place le côté « amusant » d’un jeu. Imperial Steam est très corseté, serré, tendu, l’interaction est partout, la moindre erreur est sanctionnée et paradoxalement, il a aussi un petit côté bac à sable, on peut tout à fait produire des ressources pour les vendre dans les villes qui les demandent et gagner beaucoup d’argent avec, ou encore transformer nos wagons en wagons de voyageurs pour obtenir du revenu, à moins que l’on ne fasse appel aux investisseurs pour se donner de l’air. Quelle que soit notre stratégie, il faudra s’y tenir, ne pas dévier, surtout ne pas s’éparpiller. Ne jamais tomber en rade de ressources au mauvais moment, ou manquer d’ouvriers. Certes on gagne plus d’argent en fin de partie, mais tout coûte aussi plus cher.
Bref, il faut savoir où l’on met les pieds, car non seulement c’est punitif, mais c’est aussi très frustrant, vous n’aurez qu’assez peu de motifs de satisfaction. Dans un jeu comme Ark Nova par exemple, même si vous perdez, vous avez eu la sensation de construire quelque chose, Imperial Steam a plus tendance à vous mettre la tête sous l’eau, et à la maintenir. Si vous aimez poncer les jeux, vous devriez trouver votre bonheur. En revanche si vous êtes un joueur kleenex, et que vous visez la découverte, il vaudra mieux passer votre chemin, Imperial Steam vous apprend dans la douleur, il ne fait pas de cadeau, mais vous plus vous jouez, et plus vous gagnez en maîtrise, et ça c’est quand même très satisfaisant.
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ocelau 18/12/2022
Bel article 🙂 .
Pour le côté punitif, à noter que la règle indique un petite pavé de conseils stratégiques qu’il est effectivement recommandé de suivre à la découverte (recruter faire rapidement des usines …) 🙂 ).
Pas assez de parties perso mais de ce que j’ai lu c’est tout à fait possible de gagner sans rallier Trieste , par exemple en laissant un autre joueur faire l’effort pour y aller.
atom 28/12/2022
Merci 🙂
Je ne doute pas que l’on puisse gagner autrement, mais ça me semble compliqué et ça demande de bien maitriser le jeu à mon avis. J’ai essayé jusqu’à maintenant mais sans y parvenir. C’est plus que des conseils, c’est vraiment des passages obligés, ne pas le faire à mon avis c’est prendre le risque de se saborder. Je n’ai pas de problèmes avec le fait que le jeu soit punitif, j’aime bien les jeux qui tranchent, mais je préfère prévenir, parce que l’on peut vraiment se trouver à court de tout dés le début et ça peut être très très frustrant/ Dans mes sessions, il y a souvent eu un joueur à la peine (j’ai subi sur la toute premiére^^).