HOPE – L’espoir fait toujours vivre
Salut, pilotes. Votre mission est de sauver le monde. Tous les mondes.
Nous sommes en l’an 5200 et quelques. Tout est très différent, en l’an 5200. L’humanité, libérée des fléaux de la misère, de la maladie et de la junk-food, peut se vouer au progrès de la science et à la poursuite du bonheur universel. Elle a finalement compris l’architecture dimensionnelle complexe qui structure l’univers, et peut s’en servir pour voyager à travers l’espace. Mais du même coup, elle a pu réaliser que cet assemblage cosmique se délitait comme un biscuit mouillé.
Se mobilisant comme elle sait si bien le faire (5200, rappelez-vous), l’humanité a formé la HOPE (Human Organization to Preserve Existence) afin de mettre fin à cette entropie galopante. Les plus grands esprits de l’époque, disposant de toutes les ressources d’une Terre unifiée, ont eu tôt fait de trouver la solution : coloniser le reste du multivers. Il est en effet bien connu que la Vie (surtout la vie humaine) est le ciment fondamental de la réalité.
Vous, pilotes, serez le fer de lance de cette glorieuse entreprise. Il vous faudra naviguer le labyrinthe dimensionnel du multivers, terraformer les mondes que vous rencontrez et y planter un drapeau installer des habitants. Et voilà ! Un univers tout beau tout solide !
Qu’est-ce que vous dites ? … Agressif ? Des étoiles sont en train de s’éteindre, pilote ! On n’a pas de temps pour ce genre de scrupules mal placés. Maintenant au boulot, l’humanité compte sur vous !
Prise en main – Dans la salle de contrôle
Une fois le briefing terminé, le matériel du jeu commence à faire sens. C’est qu’il est impressionnant, ce matos ! Le plateau central représente le multivers, formé de cubes dimensionnels aplatis en hexagones afin d’être compréhensibles pour nos pauvres cerveaux du XXIe siècle. Une piste d’avancement au design high-tech permet de suivre la course mortelle que se livrent l’Entropie (symbolisée par un petit monolithe de mauvais augure) et la HOPE.
Chaque joueur se voit remettre une poignée de cartes ressources qui lui permettra de rendre habitable les différentes planètes qu’il rencontre, ainsi qu’une collection de jetons pionniers à disséminer sur le plateau au gré de ses conquêtes sa mission. Il tire un pilote (doté d’une capacité spéciale qui va bien) et l’installe dans le panneau de contrôle de son vaisseau. Et là accrochez-vous à votre casque, parce qu’on parle bien d’un panneau de contrôle : chaque joueur dispose d’une tablette de carton percée de fentes dans lesquels des pions font office de leviers. Ainsi, lorsque le pilote veut effectuer une manœuvre avec son vaisseau, il doit pour cela tirer/pousser le levier correspondant. C’est un petit détail, mais ça chatouille agréablement l’enfant-qui-voulait-être-cosmonaute qui dort en chacun de nous.
Le matériel ne s’arrête pas là. Il y a aussi des médailles récompensant les pilotes pour leurs exploits (et qui permettent de s’améliorer), un plateau de pioche/défausse où l’on présente les ressources à disposition, des jetons bonus… J’avoue que j’avais un peu de mal à y accorder de l’attention, à ce stade j’étais en train de faire glisser mes petits leviers sur ma tablette. Par l’espace ! J’ai eu du mal à suivre l’explication des règles tellement j’avais envie de tirer sur le levier de mise à feu.
Règles qui requièrent un peu d’attention, tout de même. L’explication prend une bonne petite demi-heure. Et c’est comme les échecs : ce n’est pas parce que vous connaissez les règles que vous saurez vous en servir tout de suite. Autant briser le rêve : n’est pas cosmonaute qui veut. Vous ne jouerez pas à HOPE avec n’importe qui.
Les règles – Doctorat en astrophysique requis
Comment ça marche, alors ? A son tour, chaque joueur effectue une phase de pilotage, puis une phase de colonisation. Dans la première, il choisit une manœuvre parmi plusieurs à sa disposition : monter, descendre, et se déplacer sur les côtés. Lorsqu’il effectue l’une d’elle, il tire sur le levier correspondant (allumez les propulseurs ! ) et ne pourra plus s’en servir avant d’effectuer un reset : passer son tour, ce qui a pour effet secondaire de le faire basculer dans la dimension voisine.
Hein ? Quoi ? Dimension voisine ? Et oui, rappelez-vous, le multivers, tout ça ! Concrètement, chaque tuile hexagonale est divisée en trois dimensions de couleurs différentes sur lesquelles vous trouverez des planètes nouvelles. Lorsque votre vaisseau se trouve dans un tiers d’une couleur, vous n’avez accès qu’aux tiers de même couleurs sur les tuiles adjacentes. Plus, le sens de navigation (où sont le « haut » et le « bas » dans chaque dimension) varie d’une couleur à l’autre. Du coup, les pilotes devront anticiper avec soin le lieu et le moment de leur reset afin de se retrouver dans une section du multivers où ils ont quelque chose de constructif à faire. Je peux me vanter d’avoir un sens de la spatialisation gros comme une fusée Ariane, et ce système m’a plu parce qu’il m’a donné un sérieux os à ronger. Attendez-vous à pas mal de frustration sur votre première partie, de multiples erreurs de jeu, des culs-de-sac galactiques qui surgissent de nulle part… Mais avec un peu de persévérance, vous aussi vous obtiendrez votre brevet de navigation Warp.
La deuxième phase (la colonisation) est beaucoup plus fluide, sans manquer pas de subtilité pour autant. Chaque tuile-système manque d’un élément fondamental pour pouvoir abriter la vie humaine : eau, air, feu, minéraux, vie animale (Capitaine Planète, quelqu’un ?). Si le joueur dispose de la carte élément correspondante, il peut la jouer et poser un ou plusieurs colons sur le système. Sinon, il doit défausser des paires d’éléments identiques pour arriver au même effet. En même temps, il devra faire attention à l’usage de ses cartes sont « instables ». Marquées du sceau de l’Entropie, elles feront s’éroder l’univers un peu plus vite. Il n’y a pas de défausse, il devra donc jouer ces cartes à un moment. Il faut se ménager une fenêtre où cela causera le moins de dégâts possible.
Une fois une tuile remplie (toutes ses planètes sont colonisées), on la retourne et elle devient invulnérable à la progression de l’Entropie. Tous les colons présents dessus partent occuper une place au panthéon des héros sur la piste de victoire. Ce n’est que lorsque cette piste sera complète que l’univers sera enfin en sécurité.
Et pendant ce temps, l’Entropie avance. A chaque tour de joueur, le monolithe avance de 1 à plusieurs cases sur sa piste sinusoïdale. Chaque fois qu’il croise la piste de victoire de la HOPE, une tuile est retirée du plateau, et tous les colons qu’elle porte sont perdus. L’univers entier est condamné si le monolithe atteint le bout de la piste ou qu’il atteint la Terre (douillettement nichée au cœur de la galaxie, parce que tout le monde sait que c’est là sa vraie place).
Divergence d’opinion Le traître
Les pilotes de la HOPE font donc de leur mieux : ils se propulsent à travers les étoiles, changent de dimension comme ils respirent, atteignent du bout des ongles une planète reculée pour y larguer quelques gigatonnes de matière première et une petite colonie. Ca cogite dur, ça discute, ça se tape dans le dos, ça grince des dents de concert… Et malgré tout ça, tout le monde se regarde par en-dessous. Parce que force est de constater que le monolithe avance à grand pas, que des systèmes se font avalés alors que tout semblait en place pour les sauver, et que décidemment tout ça ressemble de plus en plus à une mission impossible. Se pourrait-il que l’un des joueurs ne fasse pas son boulot ?
Et c’est bien possible ! En effet, la HOPE aurait été infiltrée par un agent de la NOPE, un culte obscurantiste qui s’opposerait au sauvetage organisé de l’univers. Pourquoi tant de haine, me demanderez-vous ? S’accrochent-ils encore à ces dogmes archaïques du 20e siècle qui décrivent l’entropie comme une loi inéluctable de la physique ? Croient-ils l’humanité plus néfaste que bénéfique pour son environnement ? L’explication est plus simple : ils sont méchants, c’est tout.
Toujours est-il que le ver est dans le fruit. L’un des joueurs a secrètement reçu comme objectif de faire échouer la HOPE, mais pas seulement : pour gagner, le traître doit posséder plus de colons de sa couleur sur la plateau que n’importe quel autre joueur lorsque le monolithe atteint le bout de sa piste. Pourquoi s’embêter si de toute façon l’univers doit disparaître ? Cela n’a surement rien à voir avec une tentative d’établir un consensus galactique sur une politique non-expansionniste.
Quelle que soit la raison de ce traître, cette petite règle va lui rendre la tâche plutôt complexe. Il ne peut pas se contenter d’être improductif : pour gagner, il doit poser beaucoup de colons, au risque d’aider les autres joueurs à compléter des systèmes. Pire : il doit éviter que les autres joueurs n’en ait trop sur le plateau. Comme il ne peut pas réellement les empêcher de coloniser, il doit parfois compléter lui-même des systèmes trop peuplés pour qu’ils ne lui fassent pas d’ombre en fin de partie. Ce faisant, il remplit dangereusement le panthéon des héros… Ah non, décidément ce n’est pas simple d’être agent de la NOPE !
Expliquer l’inexplicable – HOPE vs NOPE mon cœur balance
En me carrant dans mon fauteuil pour regarder la galaxie se faire anéantir, avec mes petits jetons de traître perfidement éparpillés sur le plateau, je n’ai pu m’empêcher de m’interroger sur l’histoire racontée par ce jeu (ça rend philosophe, l’apocalypse). Si on la prend au premier degré, c’est de la SF un peu gnangnan où les gentils doivent apprendre à se donner la main et à chanter kumbaya pour faire reculer les forces du mal. Mais c’est impossible d’en rester là.
La HOPE est philantrope comme une guerre du pétrole : la réponse à l’effritement de l’univers n’est rien de moins que de sillonner l’espace en fusée pour implanter des garnisons partout. Celui qui gagne est celui qui possède le plus de mondes à la fin. Nous avons probablement là un jeu de conquête vicieux qui, a force de remaniements, s’est transformé en jeu de coopération et a du se farder d’une morale de dernière minute. Les joueurs ne s’y trompent d’ailleurs pas, et le vocabulaire guerrier revient spontanément dans les parties.
Mais c’est tant mieux, car certaines touches habiles laissent deviner un autre niveau de lecture, un peu plus subversif : l’esthétique martiale de la HOPE (drapeaux, médailles, uniformes, grades…) ; le fait que la faction dissidente ressemble à une foule de citoyens en colère (NOPE veut dire non) plutôt qu’à un énième culte de nécromanciens de l’espace. Pour moi, la HOPE nous ment et la NOPE est le véritable gentil de l’histoire.
Peut-être tout cela n’est-il qu’une interprétation sauvage. Peut-être que je projette dans ce jeu ce que je veux y voir. Peut-être l’équipe de Morning Player voit-elle sincèrement dans des soldats qui plantent un drapeau la plus belle incarnation du bien commun, et dans une manifestation les signes avant-coureurs de la fin du monde civilisé. Eurk ! Peut-être… Même si c’était le cas, HOPE m’aura au moins permis de m’interroger sur sa signification, de gratter l’écorchure causée à mon sens critique. Quand était-ce la dernière fois qu’un jeu vous a demandé de l’interpréter ?
Conclusion – Quelle galaxie veut-on pour nos enfants ?
Mais au fond, qu’importe ce que le jeu veut, à voulu ou peut un jour vouloir dire. HOPE est un excellent jeu de semi-coopération pour joueurs exigeants. Avec seulement une version de prototype, le matériel m’a frappé par sa beauté et son ambition. Morning Player nous promet une qualité encore supérieure pour la version commerciale, et on les croit. Le système est équilibré avec une précision d’horloger, la victoire difficile à atteindre pour tous les partis, même si le traître a un rôle encore plus délicat (c’est lui le vrai héros, vous dis-je !)
Cette difficulté qui fait la saveur de HOPE est également le principal écueil qu’il lui faudra contourner. Le jeu se présente comme destiné aux amateurs, mais je me permet d’en douter. Une partie vous embarquera pour une heure de cogitation intense. Son usage inhabituel de l’espace établira une division nette parmi les joueurs. C’est comme les livres d’illustrations en 3D qu’on donne aux enfants : certains y arrivent tout de suite et sauront naviguer dans le multivers. D’autres ne feront que dériver au hasard.
Un très bon jeu, donc. Mais pas pour tout le monde.
HOPE devrait être lancé sur Kickstarter courant 2016, ce qui me permet d’espérer le voir arriver sur les étagères d’ici l’an prochain. Vous saurez tout au prochain épisode, toujours sur Ludovox !
Un jeu de olivier grégoire
Edité par Morning Players
Langue et traductions : Anglais, Français
Date de sortie : 02-2016
De 2 à 5 joueurs
A partir de 12 ans
Durée moyenne d’une partie : 60 minutes
Thèmes : Science-fiction
Mécanismes : Semi-coopératif
Types de jeu : Jeu de plateau
Complexité du jeu : Amateur
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El Gringo 08/04/2016
Ahah, le sous-titre que tu as utilisé me fait quand même pas mal penser à l’aventure chaotique qu’a le jeu pour son édition.
On verra si il sort un jour du coup.
El Cam 09/04/2016
J’espère bien. C’est vrai que ses tribulations mériteraient un article à elles-seules, mais j’ai préféré aller au plus court. Il y avait assez à dire du jeu lui-même sans rallonger avec l’histoire du projet.
Morning Players 13/04/2016
Bonjour El Gringo
On a publié un article à l’époque de notre première « aventure chaotique » 🙂
https://morning-family.com/news/what-went-wrong-with-the-hope-kickstarter-campaign
Pour ceux qui s’inquiètent de la sortie du jeu, pas de souci à avoir on continue à développer et à défendre le jeu sur les festivals et il sortira bel et bien 😉
Cédrick Blgx 08/04/2016
Au delà des préjugés sur ce jeu qui a connu un premier proto et un premier financement avorté ( Une fusée ne décolle pas comme il faut tout de suite ! ), j’ai été séduit par ce jeu incroyablement riche lorsque je l’ai essayé à Cannes, au FIJ cette année. Quelques petits progres à faire pour la lisibilité du jeu, mais très encourageant !
TheGoodTheBadAndTheMeeple 08/04/2016
Je suis tenté par le jeu, mais je suis persuadé qu’un max de joueurs habitués ou non auront du mal avec le systeme 3D qui est particulierement ingénieux, mais aussi particulierement lié a une excellent représentation dans l’espace.
El Cam 08/04/2016
C’est aussi mon avis. C’est un cas ou les gros joueurs de jeu vidéo partent avec un avantage. Y a pas mieux que les jeux vidéo pour développer la spatialisation 3D.
Morning Players 13/04/2016
C’est vrai que tous les joueurs ne sont pas égaux face à la représentation 3D, mais j’ai été surpris de voir que le jeu plait sur un type vraiment très large de public, ados, familles, gros joueurs…
Je pense vraiment que ce qui va déterminer « l’avantage » des joueurs ce seront leur capacité et leur volonté de se concentrer sur le jeu lors de leurs premières parties. Car en effet HOPE demande un peu d’investissement, mais on ne sauve pas la galaxie si facilement 😉
elniamor 08/04/2016
Cet article me donne envie de me réintéresser au projet ! Le matos a fait un sacré bon de qualité (j’aime beaucoup le tableau de pilotage) depuis PEL 2015.
J’aime beaucoup ton analyse sur le manichéisme apparemment bébête du thème…
El Cam 08/04/2016
Merci. C’est un des aspects que je trouve le plus dommage dans les jeux de société, c’est qu’ils essayent tellement d’être compris tout de suite que personne ne se dit jamais « mais ça veut peut-être dire ça ! » Alors que c’est un aspect totalement savoureux dans la plupart des autres médias (littérature, films, jeux vidéo).
Morning Players 13/04/2016
Merci pour les retours, oui le jeu à bien évolué depuis Paris est Ludique 🙂
En ce qui concerne le manichéisme du thème, on essaie en effet de ne pas être noir ou blanc. La NOPE n’est pas une réunion de grands méchants nihilistes qui veulent détruire le cosmos. Ils pensent juste que vouloir aller contre l’ordre naturel de l’univers en essayant de le sauver à tout prix, peut amener à des choses encore pire.
Selon eux ils vaut mieux laisser faire la régression et attendre un nouveau big-bang pour dans l’attente de l’émergence d’une meilleure humanité.
6gale 08/04/2016
Un jeu que je suis depuis longtemps et qui me semble fort intéressant.
petitgris 20/04/2016
Hé bien, beaucoup de commentaires ici bas, ça fait plaisir… J’aime bien la nouvelle dimension que prennent les débats sur le thème ;-)…. Quand on a commencé à bosser sérieusement là-dessus avec Morning, le but était clairement de se s’écarter des grands poncifs (à mon sens) de la SF toujours noire et catastrophiste… Dieu sait si je suis pourtant un grand pessimiste devant Lui ( 😉 ) mais là, ça nous amusait de prendre cette mode à rebrousse-poil et d’aller dans le sens d’un avenir non pas menacé par les Hommes (qui sont plein de ressources malgré ce qu’on veut nous faire croire) mais par la nature elle-même…(qui est bien loin d’être angélique)… Hou que je suis content que ça pose question à certains… Etes-vous plutôt HOPE ou plutôt NOPE ? Niek niek niek…
Olivier Grégoire
Shanouillette 12/05/2016
Les règles du jeu sont désormais officiellement dispo, en vue du KS qui se lancera le 9 juin. Vous pouvez les trouver sur la fiche de jeu.