Greenville 1989 – Paris 1889, aller simple
Souvenez-vous, il y a deux ans je vous parlais d’un jeu qui m’avait pas mal surpris, à savoir Greenville 1989 de Florian Fay, édité par SWAF. Il s’agissait d’un jeu coopératif où nous composions des histoires, dans une inspiration un peu Dixitiene mais dans un univers beaucoup plus sombre et proche de Stranger Things.
Si j’avais apprécié le jeu, j’avais néanmoins quelques réserves à son endroit (le Test pour plus de détails). Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En fin d’année 2020 est sortie la « suite » spirituelle de cet opus, qui se déroule avant, mais qui n’est pas pour autant une préquelle puisque nos personnages ont grandit. Je précise d’ailleurs que, si les jeux sont compatibles, ils peuvent aussi se jouer seuls, ce ne sont pas des extensions à proprement parler.
Voyons voir ce que ce Paris 1889, puisque c’est son nom, propose de nouveau, en nous focalisant surtout sur les différences avec son grand frère.
Previously on Greenville …
Pour rappel, dans Greenville 1989 nous étions des adolescents d’une ville américaine propulsés dans un « upside down », un monde parallèle effrayant et miroir du nôtre, d’où nous devions nous en échapper. Les joueurs avaient devant eux des cartes représentant différentes scènes, toutes assez sombres, bizarres et menaçantes, représentant les lieux où se trouvaient nos protagonistes. À chaque tour, le joueur actif devait décrire la carte qu’il avait devant lui, en racontant une histoire et expliquer ce qu’il comptait faire à partir de là. Une fois cela fait, de nouvelles cartes étaient révélées, et un des joueurs attribuait secrètement celles-ci à tous les joueurs en fonction des histoires narrées. En s’accrochant aux détails de l’illustration de David Sitbon on pouvait tenter de deviner quelle carte avait été attribuée à qui.
Paris 1889 ne révolutionne pas ce gameplay qui reste dans son fonctionnement principal le même que pour son aîné. L’histoire se veut d’ailleurs la suite du précédent : nos ados ont grandis, ont traversé un portail temporel qui passait par là et se retrouvent à Paris en 1889. Changement d’ambiance donc.
Paris 1889 va même nous donner des réponses sur le premier opus : on apprend ainsi qu’une secte était responsable de ce qu’il s’était passé à Greenville, et qu’il va falloir arrêter ses membres à nouveau. On apprend également que ceux-ci sont à la recherche d’anneaux et que leur chef est une « Abomination » à notre poursuite…
La petite intro qui nous donne le contexte se pose ainsi clairement comme faisant suite à Greenville. Je me demande si par conséquent elle ne va pas un petit peu vite en besogne : exit l’introduction thématique de la « télépathie » qui sert d’explication au fait que les joueurs communiquent entre eux, même en étant éloignés. C’est un détail néanmoins, qui surprendra peut-être un peu les joueurs commençant par cet opus et qui auront peut-être l’impression de rater quelque chose.
On peut noter en revanche que le contexte de l’aventure est vraiment plus précis que dans Greenville 1989. On sait plus clairement ce que l’on cherche à faire, l’enjeu est bien défini, ainsi que les antagonistes et le lieu où se déroule l’action, là où le premier jeu restait assez vague sur le pourquoi du comment. Cela rendra à mon avis l’accès beaucoup plus facile aux joueurs notamment sur le fait de raconter des histoires, puisqu’on a plus d’éléments auxquels se raccrocher. On aura peut-être un peu moins de variété dans nos aventures, mais je n’en suis même pas sur, il faudrait voir sur le long terme.
Les petits détails qui changent tout !
Sur la mécanique globale, on ne change pas une équipe qui gagne, et comme je le mentionnais Paris 1889 conserve les mêmes règles de base que Greenville 1989. Mais, on trouve quelques petits évolutions intéressantes ici ou là dont nous allons discuter.
Le principal « petit » bouleversement étant le plateau central. Celui-ci conditionne dans les deux opus la victoire ou la défaite. Dans Paris 1889, il s’agira d’une piste commune sur laquelle les joueurs vont progresser ensemble, s’ils identifient correctement les cartes qui leur sont attribuées. À leurs trousses sur cette même piste, un monstre qui essaie de les rattraper, la fameuse Abomination. Et, ça, ça change tout (ou presque).
Première bonne idée de ce nouveau plateau : lorsque le monstre se déplace sur la seconde case de la piste (donc au deuxième tour), tous les joueurs bloqués sur la même carte depuis le début en piochent une autre pour la remplacer. Cela corrige un des reproches fait à Greenville : le risque d’avoir des joueurs stagnant sur une même carte encore et toujours, ce qui créait pas mal de frustration. Hop, problème réglé ici avec cette petite modification.
Vous me direz, ça ne vaut que pour la première carte mais en réalité, vu comme avance le monstre, il est ensuite peu probable que vous puissiez passer plus de deux tours sur une même carte avant qu’il ne vous tombe sur le râble. Et s’il vous rattrape, le déclenchement de la fin de la partie survient … Mais on y reviendra.
Seconde bonne idée : le plateau n’est pas linéaire. En effet, le joueur en tête devra s’engager dans des embranchements et suivra un chemin plus long que les autres. Ainsi, celui qui est devant ne sera jamais le même. Et là aussi, on corrige un des problèmes de Greenville 1989, à savoir que, si un joueur avançait trop vite, pour lui la fin de la partie consistait surtout à attendre que les autres arrivent, ce qui pouvait être un peu pénible. Ce n’est plus le cas ici. On ne pourra donc jamais vraiment se reposer sur nos lauriers en attendant que les autres nous rejoignent.
D’autant que pointe ici la troisième bonne idée, à savoir les deux façons de gagner. D’une part, les joueurs l’emportent si l’un d’entre eux arrive au bout de la piste avant que l’Abomination ne rattrape qui que ce soit. C’est tout bête, mais ainsi, tout le monde a un rôle à jouer, à tout moment : celui qui est devant doit continuer à avancer le plus vite possible, mais les autres doivent aussi évoluer afin d’échapper à la bestiole à leur trousse. Tout le monde participe donc toujours à la victoire ou à la défaite, et celle-ci ne repose plus sur les descriptions du joueur le plus à la traîne comme ça pouvait être le cas dans Greenville 1989.
D’autre part, si le monstre nous rattrape, ce n’est pas la fin : on jouera un dernier tour, dans lequel il faudra réaliser un sans faute pour gagner la partie. Ouch, pas facile. Et là, rusés lecteurs, vous allez me demander pourquoi s’embêter à essayer d’avancer puisque il est assez difficile d’aller au bout de la piste, et que donc seule la dernière manche décide du résultat final ? Et bien parce qu’à chaque détour, les joueurs récupèrent des anneaux. Et ces anneaux peuvent être utilisés dans l’affrontement final pour indiquer des détails sur les cartes et ainsi faciliter la communication. Plus on en aura en notre possession, plus on augmentera nos chances de trouver correctement ! Quoiqu’il arrive, on sera donc récompensé pour être allé le plus loin possible. Là aussi, voilà une bien bonne idée.
C’est donc un détail et aussi un changement majeur : le plateau de Paris 1889 corrige les erreurs de Greenville 1989. En plus d’être malin, cela a du sens thématiquement, et reste totalement transparent si l’on a pas joué à Greenville 1989. Une bien belle idée de game design, élégante et efficace. On rajoutera que le côté poursuite est aussi intéressant du point de vue ambiance et montée en pression sur les joueurs.
Il est 5h, Paris s’éveille…
L’autre modification majeure : qui dit autre lieu dit aussi autre ambiance, autre environnement. En effet, si dans Greenville 1989 les cartes étaient vides d’habitants, ce n’est pas le cas ici : on est à Paris et les rues sont pleines de passants, qui ne semblent pas très perturbés par toutes les tentacules qui traînent ici ou là. On aura aussi des scènes beaucoup plus explicites, avec des membres coupés, des gens visiblement sur le point de passer un sale quart d’heure et des situations beaucoup plus sanguinolentes. Bref, l’ambiance bizarre est remplacée par quelque chose de beaucoup plus horrifique. On aimera ou pas.
On a également beaucoup plus d’unicité de lieu avec des rappels d’une carte à l’autre beaucoup plus évidents que dans Greenville 1989. Si cela va aider le joueur, parfois cela semble un peu artificiel et un peu moins crédible à cause de tous ces passants pas du tout incommodés par ce qu’il se passe autour. On aura aussi des cartes un peu trop proches les unes des autres à mon goût, l’une étant une version zoomée de l’autre.
Après, on est ici sur quelque chose de très subjectif, et si, comme vous le pressentez, j’ai un peu moins aimé ces nouvelles cartes, elles continuent à fonctionner et à bien servir le jeu. David Sitbon fait vraiment du bon travail.
Capitale Européenne ou Bourgade du Midwest américain ?
Si je suis un peu moins emballé par l’atmosphère de Paris 1889, je suis en revanche très élogieux sur les modifications mécaniques qui ont été apportées. La mécanique de victoire/défaite est beaucoup plus fouillée et corrige largement les petites choses qui me gênaient dans Greenville 1989. De plus, l’univers plus facile à appréhender rend à mon avis le jeu plus facile pour les joueurs plus réservés qui ont du mal à imaginer des histoires.
C’est donc plutôt cet opus-là que je conseillerais pour quelqu’un qui voudrait se lancer dans l’aventure en précisant néanmoins bien qu’on sera dans une univers horrifique inspiration Cthulhu et parfois un peu gore. Pour sûr, voilà qui change de Dixit !
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :
Ludovic Chatillon 03/04/2021
Moi je trouve qu’il n’y a pas de grand mérite à sortir un jeu qui ne fait que gommer les défauts de celui d’avant. Ok le thème est sympa, le jeu est plus fluide, il traine plus en longueur, mais c’est tout bonnement qu’une version 2.0 de Greenville.
fouilloux 03/04/2021
Oui clairement, mais pourquoi ne pas le faire? Dominion l’intrigues est un better dominion, Aeon’s end war eternal se réinvente à chaque fois, Dixit ne fait que changer les cartes… C’est une saison 2 en somme. C’est aussi quelque chose que le jeux vidéo fait tout le temps 🙂
Qu’est ce qui gêne dans cette démarche?