Gold West : Le bon filon ?
Un temps pressenti pour une campagne KS (nous vous en parlions ici), Gold West a finalement été relâché en catimini cet automne chez l’éditeur américain Tasty Minstrel Games. Le faible nombre de copies disponibles à Essen a semble-t-il limité les échos dont il aurait pu bénéficier. Ajoutons à cela une version exclusivement anglaise, sa non-distribution en France, et on comprend mieux pourquoi que ce titre est passé sous les radars du milieu ludique francophone.
Il en eu fallut plus pour nous détourner de son cas. Stetson sur la tête et pioche à l’épaule, enfourchons nos montures : direction l’ouest lointain.
Paquetage de prospection
En tant que mécanicien invétéré, je suis du genre à m’attacher avant tout au système de jeu. L’apparence vient après, en cerise sur le gâteau. Mais mon admiration pour Splotter a ses limites, et comme tout le monde, à qualités équivalentes par ailleurs, j’aime autant une mise en ambiance par des graphismes un peu léchés. C’est aussi et surtout un atout non négligeable pour motiver les joueurs tiers. Un enthousiaste « Wahou, ça a l’air classe, fait péter ! » est toujours de meilleure augure qu’un circonspect « Il est bien noté au moins ? », voire un peu engageant « C’est quoi ton truc ? T’as pas autre chose ? ».
Et en l’occurrence, il me faut commencer par le dire, Gold West rate quelque peu l’occasion de nous immerger pleinement dans le far west américain. Bien que parfaitement fonctionnel et sans faute de goût particulière, le matériel n’est pas d’une personnalité débordante. Pour être plus précis, on manque surtout cruellement de quelques illustrations bien senties. Oh, rien à signaler de honteux sur l’infographie, que ce soit au niveau de la règle ou des éléments de jeu, très lisibles. Mais on aurait quand même aimé pouvoir stimuler notre imagination avec quelques paysages ou scènes tangibles.
Jusqu’à la couverture de la boite se dispense d’une illustration digne de ce nom. Le budget artistique n’a apparemment pas été la priorité. C’est un choix qui a certainement ses raisons, mais un tantinet surprenant au regard du tarif pratiqué sur le site de TMG (quelques 60$). On se contentera donc en tout et pour tout des pépites d’or figurées sur les côtés de la boite, et d’une affiche « WANTED » pour le coup évocatrice. C’est peu. A titre de comparaison, dans le même univers, Western Town fait bien meilleure figure sur ce plan, alors qu’il n’a certainement pas été produit avec plus de moyens.
Rendons tout de même à Smith ce qui appartient à Wesson : une fois en place, le copieux contenu n’est pas non plus vilain à regarder. Et il s’avère de qualité. Le plateau central modulable, constitué d’un cadre en 4 parties à assembler comme un puzzle, est complété en son centre par un arrangement aléatoire de tuiles terrains bien épaisses.
Les possessions de chaque joueur prennent la forme d’éléments en bois de belle facture. Les pions « Camp » sont dans le thème, les disques un peu moins, mais cela se justifie par la généricité de leur usage. On apprécie le marqueur de score en forme de mineur, et les trois diligences font leur petit effet (mais pas d’emballement, attendez la suite plus bas). Seuls les plateaux personnels ont subi une cure de minceur : il s’agit ni plus ni moins que de feuilles de carton, ce qui n’impacte pas le déroulement du jeu au demeurant.
Au niveau boitage, c’est du bien rempli. L’insert cartonné est d’une hauteur un tout petit peu juste, mais en tassant bien, il permet effectivement de disposer le matériel en sachets (fournis) sous les plateaux personnels, règles et fragments du plateau principal. Pour ne pas finir en vrac, ces derniers sont regroupés dans un sachet maxi-format : pas forcément hyper pratique ni hyper élégant, mais globalement, on peut dire que le job est fait.
Enfin, sachez que le tout n’est pas garanti 100% sans texte : les tuiles « Boomtown » et de rares cartes « Investissement » décrivent un court effet en anglais. Il s’agit cependant d’éléments en petit nombre, et exposés publiquement dès le début de partie. Briefer l’assemblée puis re-préciser à tout moment si besoin sera donc aisé.
Chercheur d’or, mode d’emploi
Ces alléchants cubes et autres prismes hexagonaux en disent déjà long : oui, Gold West est un jeu de gestion de ressources.
En l’espèce, la grosse touche mécanique originale, c’est une nouvelle variation dans le détournement du principe de l’awalé. Après Stefan Feld et son monstrueux Trajan ouvrant la voie, après Bruno Cathala optant pour un awalé géant partagé entre les joueurs dans Five Tribes, ce monsieur J. Alex Kevern a trouvé le moyen d’utiliser l’égrenage d’une manière encore bien différente. Et là je dis : chapeau, cowboy. Car son implémentation est d’une finesse et d’une élégance qui n’a pas à rougir face aux deux références en question. Ce qui, vous n’en disconviendrez pas amis amateurs de gestion, est un sacré compliment.
Plus précisément : on est sur un awalé personnel linéaire, évoquant la forme d’un puits de mine. Mais en lieu et place des marqueurs abstraits de Trajan, les éléments à déplacer sont tout simplement ici les ressources elles-mêmes. C’est tellement évident une fois découvert qu’on se demande pourquoi personne ne l’avait inventé avant.
Deux prolongements rendent l’affaire viable et intéressante. D’une part, le puits de mine comporte 4 niveaux de profondeur distincts (voir ci-contre). Le tour de jeu débute par le choix d’un niveau comportant au moins une ressource (A). On prend alors en main toutes les ressources de ce niveau (B), que l’on égrène sur chaque niveau supérieur en remontant vers la surface (C). On est donc pas dans un circuit fermé : les ressources excédentaires sont « sorties », c’est à dire disponibles pour le tour.
La seconde ingéniosité est que l’injection de nouvelles ressources dans la mine se fait à un niveau de profondeur au choix du joueur. Plus elles seront placées profondément, moins elles seront disponibles rapidement. Ce désavantage potentiel est contrebalancé par un bonus en PV fonction du niveau choisi (chiffre sur la droite : de 0 à 3 PV). Je vous spoile la suite, mais sachez que c’est un coup de génie.
Ce n’est bien évidemment pas tout. Les ressources ne tombent pas de nulle part : ce noyau mécanique est donc adossé à un système de terrains et de prise de contrôle. La zone de prospection est divisée en hexagones, répartis en 4 couleurs. La ressemblance avec Terra Mystica s’arrête là, puisqu’en fait ça n’a absolument rien à voir.
Chaque hexagone reçoit un jeton « Mine » de sa couleur, qui figure les ressources à gagner lors de la prise de ce terrain. Selon les cas ce sont soit deux, soit trois ressources, dont au minimum une correspond à la couleur dudit terrain. Logique. Ces jetons Mine sont disposés face cachée initialement, mais peu de choses sont laissées au hasard puisqu’ils sont révélés dès lors que le terrain devient constructible. On ne sonde pas au petit bonheur la chance, et j’ai envie de dire que c’est tant mieux.
Il n’y a pas de grosse contrainte de placement : tous les hexagones jouxtant le lac central sont ouverts au début de la partie (cf. ci-contre), et par la suite, chaque nouvelle implantation débloque pour tous les joueurs tous les terrains adjacents. Liberté ne rime pas pour autant avec évidence, d’autant que les enjeux sont multiples ici. Nous y reviendrons.
A ce stade, un focus sur les ressources devient utile. On dénombre deux matériaux de construction, le bois (vert) et la pierre (noire) contre trois types de métaux précieux, l’or (jaune) bien évidemment, mais aussi l’argent (gris) et le cuivre (rouge-orangé).
Lors de son tour, après avoir résolu son awalé donc, on dépense l’intégralité de ses ressources disponibles.
1. Métaux précieuxTrois débouchés sont possibles, que l’on peut panacher tant que l’on fournit les quantités requises. | ||
| ||
| ||
2. Matériaux de constructionOn doit prendre possession d’un et d’un seul terrain, selon les matériaux disponibles (un éventuel excédent étant perdu). | ||
|
| |
|
L’addition des pionniers
Après très exactement 11 tours (13 à deux joueurs), le classique décompte de fin de partie valorise l’œuvre de chacun :
- la plus grande zone de contrôle de chaque joueur, formée par des Camps et/ou Colonies adjacents
- les majorités dans les influences pour les quatre couleurs de terrain, seul les deux premiers joueurs gagnant quelque chose
- les objectifs sur lesquels chacun s’est éventuellement positionné à Boomtown, selon leurs critères spécifiques
A nous le magot
Premier constat, nous prenons très rapidement nos marques lors de la partie de découverte. Très rapidement, car les tours sont plutôt rapides et le nombre de manipulations est vraiment réduit : il n’y a aucune notion de manche, de ré-alimentation d’éléments disponibles, de changement d’époque ni de phases intermédiaires. On enchaine les tours du début à la fin sans interruption. Autre qualité fluidifiante : il est largement possible d’anticiper son tour pendant celui des autres. Evidemment, le plan s’écroule quand un adversaire chipe le terrain ou le bonus convoité, mais ce genre de péripétie reste minoritaire. Le résultat est d’une célérité à toute épreuve, assez rare pour être signalée sur un jeu de cette envergure.
Les petites hésitations lors des premiers tours laissent vite la place à un déroulé nerveux. Mais chopper le coup ne veut pas dire ici qu’on joue en mode automatique. Au contraire, les dilemmes sont au rendez-vous. Est-ce le moment de remplir mon niveau 0 pour obtenir une carte Investissment de manière anticipée (et les +5PV de primeur) ? Ou au contraire vais-je préparer un gros coup sur plusieurs tours en partant des niveaux inférieurs, profitant ainsi de plusieurs bonus de profondeur ?
L’obligation de construire à chaque tour sous peine de malus fait chauffer dur les neurones. Sortir a minima un cube vert ou noir à chaque tour demande une certaine implication. Alors, dois-je prendre ce terrain à 3 matériaux de construction pour être tranquille pendant un moment, ou vais-je carrément ignorer cette contraire pour privilégier les métaux, quitte à devoir me la jouer pillage ? Les décisions sont rarement forcées, elles résultent d’un choix a priori maitrisable. Aimant bien avoir ma destinée en main, voilà une autre caractéristique qui me convient parfaitement.
Concernant la dépense de métaux, on est jamais bloqué car la diligence est le réceptacle par défaut tout trouvé : chaque unité peut faire avancer d’une case.
Immédiatement cependant, nous relevons à son encontre un gros raté d’ergonomie : ces gros pions sont bien mignons, mais les pistes n’ont pas été dimensionnées en fonction. Mais alors pas du tout. Il n’y a pas l’espace pour juxtaposer plus d’une diligence par case, autant dire qu’à 4 joueurs le mot de bazar est un doux euphémisme. Idem pour la piste de score d’ailleurs, et comme tout ce beau monde commence la partie dans la même zone du plateau, c’est l’embouteillage.
Rien qui empêche de jouer, mais ça ne fait pas très pro, d’autant qu’il y avait suffisamment de place pour agencer différemment ce plateau somme toute assez aéré. Une explication pourrait être un changement de dernière minute : sans doute le proto utilisait-il de simples disques (qui eux sont empilables). Le mieux est l’ennemi du bien, en voici encore une jolie preuve.
Nous aurons pu également vérifier que les cartes Investissement portent bien leur nom. Réunir la combinaison de 4 métaux requise demande soit un gros effort de planification, soit des sacrifices en terme de bonus de profondeur (injecter 3 métaux au niveau 0 faisant une bonne partie du boulot) et/ou de construction.
Les objectifs de Boomtown se positionnent de manière intermédiaire : les deux métaux sont plus faciles à réunir, surtout en début de partie quand la grille est ouverte. L’avantage est de se positionner de manière certaine sur une ligne directrice et d’effectuer des choix « combotant » par la suite. Mais les points gagnés sont plafonnés par la nature même des critères. C’est un appoint appréciable, mais qui ne dispense certainement pas de scorer par ailleurs.
Taille de la pépite
J’ai passé un excellent moment lors de cette première partie ayant mis en valeur des qualités stratégico-optimisatoires qui me parlent. La revisite de l’awalé est le principal argument mécanique, et c’est un coup de maître qu’on n’attendrait pas forcément de la part d’un auteur peu connu jusque là. Le reste est moins original, avec des systèmes de scoring qui sont des reprises ou des amalgames de choses déjà vues. Le parfait équilibre et le côté salade de points pourraient d’ailleurs aisément faire passer Gold West pour un Feld, au tour de force près que l’ensemble reste étonnamment léger, pour ce niveau de richesse dans les choix.
Je dirais même plus, j’ai très envie d’y revenir, car j’ai l’impression que le potentiel de rejouabilité est là. Difficile d’être trop affirmatif à ce stade, mais la variabilité des objectifs de Boomtown (4 en jeu à chaque partie sur 12 possibles), croisée avec les différentes voies stratégiques de base, me semble promettre un renouvellement des approches.
Les cartes Investissement (8 en jeu sur 20 possibles) participent également à la chose, même si la moitié ne sont « que » du PV. J’aurais aimé un peu plus de possibilités d’effets et de beau jeu avec ces cartes, sans doute au prix d’une légère complexification. En l’état, c’est un vecteur de points assez bourrin.
Plus globalement, le gameplay constitue un nouvel exemple d’opposition entre spécialisation et généralisation [?], dilemme qui fait souvent mouche chez moi. Ainsi, creuser l’écart en influence sur un type de terrain impose de s’implanter spécifiquement sur les hexagones de cette couleur. L’éparpillage qui en résulte vient alors contredire d’autres contraintes du jeu (taille de la plus grande zone de contrôle, etc.).
Ceci étant dit, il faut être honnête : Gold West ne plaira probablement qu’aux amateurs d’eurogames rompus aux ambiances de façade. Si vous cherchez un jeu qui vous fait voyager, qui vous raconte une histoire, l’inexistence de celle-ci risque de vous décevoir profondément. La lecture du pitch est d’ailleurs éloquente : en quelques mots à peine, on en est déjà rendu au survol de la mécanique. Si l’on en croit l’inscription sur le plateau, nous sévissons dans la région d’une certaine Auloma, Californie. Au vu de mes recherches infructueuses, cette localité serait cependant aussi fictive que le thème du jeu.
Parlons pour finir de l’interaction : elle s’avère très indirecte. La concurrence spatiale et la course à la primeur sur les différents éléments communs sont tout ce qu’il y a à se mettre sous la dent. Des petits blocages ou prises d’objectifs sous le nez sont des choses qui arrivent, mais pas d’effet permettant de débouter un adversaire de son plan ni de coups sous la ceinture. Vous voilà prévenus, selon ce que vous recherchez.
Concluons cette séance d’orpaillage par un rappel des points clés :
|
Un jeu de J. Alex Kevern Illustré par Adam P. McIver Edité par Tasty Minstrel Games Pays d’origine : Etats-Unis Langue et traductions : Anglais Date de sortie : 2015 De 2 à 4 joueurs 45 à 60 min. A partir de 12 ans Prix constaté : 60€ en import |
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :
Oni60 08/12/2015
Juste en passant, j’ai fais une traduction des règles (de même que pour Nippon, Signorie et en attendant Grand Austria Hotel qui est en relecture), ici:
http://ludo.ergo.sum.free.fr/download/download.php?cat=1&id=18
Paul 08/12/2015
Au passage : merci pour tes traductions !
Grovast 08/12/2015
Oui Oni60, sache que ton boulot est hautement apprécié, merci de le partager!
morlockbob 08/12/2015
ca a l’air pas mal du tout . on va attendre les soldes; sait on jamais
Cycnos 08/12/2015
Bravo Grovast pour ce JP ! Comme toujours la qualité d’écriture est au RDV, c’est très plaisant à lire.
Il m’a l’air vraiment intéressant ce jeu… J’espère pouvoir le tester prochainement !
Dr. Jacoby 08/12/2015
Super article comme d’hab avec toi Grovast