GodZ – Black & White aux couleurs spaghetti
Qui d’entre vous se rappelle de Black & White ? Un jeu vidéo des folles années 90 qui s’est posé comme le parangon du genre des god games. Divinité transcendante et capricieuse, vous cajoliez ou terrorisiez votre troupeau d’adorateurs pour entretenir leur foi. Vous aviez aussi une Créature divine un peu con-con qui faisait des trucs sympatoches comme jeter des cailloux ou bouffer des gens. Et avec tout ça, vous faisiez la guerre aux autres divinités pour leur piquer leurs villages et leurs adorateurs, parce qu’au fond de votre âme vous êtes un dieu jaloux et que le ciel n’a de place que pour vous.
Pourquoi je vous parle de cette époque révolue ? C’est parce que GodZ débarque d’Italie, et qu’on sait d’où il sort. Ce jeu de stratégie pour 3 à 5 joueurs vous place dans la toge d’un dieu farfelu à la conquête d’un univers encore en construction. Vous avez vos miracles, vos adorateurs, votre Créature … Vous vous fritterez joyeusement avec les autres divinités par le biais de vos ouailles respectifs, prendrez le contrôle de lambeaux de terrains, bâtirez des temples juste sous leur nez… Au final, le dieu qui totalisera le plus de points de victoire sera reconnu comme Roi des Dieux et Patriarche à la plus longue barbe (parce que savoir qui a la plus grosse est un enjeu majeur chez les dieux, tout le monde sait ça).
Prise en main – Au commencement était le Tri
GodZ est un gros jeu. Il annonce 90 minutes, et il est plus sûr de compter 3 heures pour une première partie. Il fallait donc s’attendre un matériel respectable : 6 blocs de tuiles pour démarrer le plateau, 30 tuiles hexagonales pour le compléter en cours de partie, une tablette d’action et une poignée de pions et compteurs pour chaque joueur… et plein, plein, de marqueurs de points de victoire.
La mise en place est un peu laborieuse, essentiellement parce qu’il faut patiemment trier les points de victoire avant le début de la partie en fonction de leur valeur et du nombre de joueurs. Pour ce qui est du plateau, on assemble vaguement les blocs de départ des joueurs autour d’un bloc central, et on place 3 adorateurs et la Créature sur leur Palais. Le reste du plateau sera construit en cours de partie, ce qui est assez sympathique comme idée et qui sauve beaucoup de temps au lancement.
L’explication des règles passe moins bien. Pas qu’elles soient vraiment longues et compliquées, non. Mais elles sont, euh… surprenantes. GodZ s’est ingénié à trouver des mécaniques différentes de ce à quoi on se serait attendu pour des fonctions pourtant bien connues : déplacer ses unités, collecter des ressources, se battre… On applaudit l’effort de recherche, mais le résultat c’est un jeu difficile à expliquer.
Le jeu – Les voies de Dieu sont imbitables
Au début ça vend du rêve. Les divinités proposées sont rigolotes et les visuels sympathiques. On comprend assez vite que chaque province produit une ressource en fonction de son type de terrain, et qu’il faut répartir ses adorateurs sur le plateau pour les récolter. Au milieu de tout ça, on déplace sa Créature géante qui écrase les adorateurs ennemis. On peut se battre avec les Créatures adverses en les projetant sur la province derrière elles, ce qui a pour effet d’écrabouiller tout sur leur passage. Chaque dieu a une affinité particulière avec un type de terrain et des pouvoirs rigolos qui les distinguent. C’est bon enfant, ça promet de bien remuer… Pour l’instant, ça donne envie de se convertir.
Mais si vous croyiez que le job de dieu, c’était un peu comme faire de la magie (vous dites deux trois mots sacrés et hop ! un truc classieux sort du néant), vous risquez d’être déçu. Il y a 5 ressources à gérer : la Foi, la Construction, la Nourriture, la Vitesse et la Gloire. Ces ressources vont vous permettre d’accomplir des actions à chacun de vos tours, et il est impossible de les conserver d’un tour sur l’autre : vous ne jouez qu’avec ce que vous venez de collecter.
De plus, à chaque tour, vous devez choisir le type d’action que vous allez accomplir :
- Bouger vos adorateurs (avec de la Foi et de la Vitesse) : cela vous permet de prendre le contrôle de provinces et donc de choisir vos ressources pour le prochain tour. En se déplaçant, vos adorateurs prennent un malin plaisir à tuer ceux des autres dieux, ce qui est toujours bon à prendre.
- Construire un Temple (avec de la Construction) : placer un Temple sur une province la rend improductive, par contre cela vous permet de collecter une ressource au choix dans une province adjacente (et ça fait du bien, un peu de polyvalence). Notez juste que construire un temple, c’est cher, et qu’il vous faut bien planifier votre tour pour y parvenir.
- Bouger votre Créature (avec de la Nourriture et de la Vitesse). Elle vous permet de martyriser tous ces païens qui ont le front de ne pas vous adorer vous, et aussi de récolter une ressource là où elle se trouve. C’est un peu comme un gros adorateur en plus costaud, quoi.
- Poser un jour saint, c’est-à-dire passer votre tour. Pendant ce dimanche impromptu, vous ne faites rien sur le plateau, à part un ou deux miracles. Cependant, vos adorateurs prient ardemment, et ça se traduit par quelques points de victoire qui tombent dans votre escarcelle (en fonction de votre Gloire actuelle).
Comme vous pouvez le constater, vos besoins en ressources varient complétement en fonction du tour que vous préparez. Il est impossible de tout faire. Si vous avez un peu de tout, il vous faut choisir une action et accepter de perdre toutes les ressources inutilisées.
La semaine à géométrie variable est plus vicieuse encore. Jetez donc un œil à votre nouvelle amie, la Piste d’actions :
Vous y voyez les trois types d’actions possibles (adorateurs, construction, Créatures). Chaque tour non-chômé, vous avancez un marqueur d’une colonne sur cette piste, en le plaçant sur la ligne correspondant à l’action en cours. Vous voyez également que plus on avance sur cette piste, plus il y a des bonus qui apparaissent. Ces bonus vous permettent d’accomplir des actions spéciales (faire la guerre, détruire des temples, payer moins cher pour en construire, etc.) Plus votre semaine est longue, plus chaque journée est productive.
En revanche, plus elle est courte, plus chaque dimanche vous rapporte de points de victoire. Si vous allez jusqu’au bout de votre semaine, vous accomplirez des actions très puissantes, mais vous devrez finalement prendre un tour de repos qui ne vous rapportera absolument rien. À vous de voir, c’est vous le boss.
Après avoir accompli (ou non) vos actions, vous pouvez dépenser la foi excédentaire pour accomplir des Miracles, comme déplacer un adorateur sur le plateau ou poser une nouvelle tuile pour étoffer un peu le monde. Après un tour par trop restrictif, la phase de Miracles vous permet d’arrondir un peu les angles en agissant un peu par ci-par là. On regrette une certaine sensation de déséquilibre entre les effets de certains Miracles, qui souvent ne semblent pas à la hauteur du prix à payer.
On conclut le tour par la fameuse phase de récolte qui vous donnera vos ressources pour les prochains tours.
La partie s’arrête lorsqu’un joueur a cumulé 6 tuiles de victoire, soit en déclarant ses dimanches à bon escient, soit en faisant la guerre avec succès aux autres peuples. À ce moment-là, un décompte assez pointilleux a lieu, faisant l’inventaire de toutes les provinces, sites stratégiques et points de victoire de en possession de chaque joueur. Plusieurs provinces adjacentes du même type forment une région, et le joueur avec une majorité de points de contrôle (un cumul de ses adorateurs, temples et Créature dans cette région) score pour toute la région au détriment des autres. Et après ça, on a un vainqueur.
Il faut avoir essayé GodZ pour se rendre compte à quel point il peut être déroutant. Pour faire une action différente du tour d’avant, il faut pouvoir changer complétement la répartition de ses pions sur le plateau, sinon on se retrouve avec des ressources ne correspondant pas à ses ambitions. Lorsque vous tuez un adorateur ennemi, ça ne le gênera pour le tour suivant, mais pour le tour d’après. Tout le jeu subit ce genre de décalage entre vos actions, leur préparation et leur résultat. Un nouveau joueur aura une sensation d’inertie étouffante, gaspillant plusieurs tours avant de parvenir à accomplir ce qu’il pensait être immédiat.
Un exemple : vous souhaitez construire un temple requérant 5 points de construction le plus tôt possible. Vous n’avez que 3 adorateurs, mais le 3e jour de la semaine vous donne un bonus de 2 points pour votre chantier. Donc, pour le construire au tour 3, il faut que vous finissiez le tour 2 avec vos trois adorateurs sur des montagnes. Pour cela, il faut les déplacer d’au moins 3 cases pendant le tour 2. Cela veut dire qu’au tour 1, il vous en faut au moins un sur un désert et au moins un sur une mer… On n’arrive pas comme une fleur en disant « hooo, j’aurais bien besoin d’un temple, je vais en construire un ce tour-ci, ainsi soit-il !»
Vu ? Un bon dieu prépare son jeu plusieurs tours à l’avance. Et comme il ne présume de rien, il accepte avec humilité que ses divins rivaux puissent détruire ses meilleurs plans en une seule attaque lancée au hasard.
Conclusion – Faut aimer tendre la joue gauche…
GodZ est un titre de stratégie original et plutôt costaud. Le thème est alléchant et les mécaniques ont un certain mérite. Malheureusement, le jeu a du mal à cibler son public.
La direction artistique fantasque, les batailles rapides et méchantes semblent promettre une expérience pêchue et immédiate pour joueurs occasionnels. C’est se fourrer votre divin index dans votre oeil cosmique. GodZ est un jeu de plannification de longue haleine aux mécaniques retorses, à destination des joueurs endurants. Ces même-joueurs qui seront les enclin à pardonner aux déséquilibres occasionnels entre les miracles et à l’impossibilité de maîtriser le plateau.
Je recommande d’essayer GodZ si vous êtes à la recherche de nouveauté et d’expérience hybride. Mais sachez qu’il sera difficile à ressortir.
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eolean 26/05/2015
On l’avait essayer à Essen avec l’auteur, Diego Cerreti l’auteur qui est vraiment très sympathique !
Je dirais que c’est une sorte de petit ameritrash familial +, il parait tout mignon mais effectivement, il peut être cruel !
Et je te suis carrément sur ta conclusion El cam, un jeu sympa, retors mais faut avoir le public pour y jouer.
Shanouillette 26/05/2015
Encore un just played bien senti, merci El Cam. Ce Godz est en effet un type non-conformiste, un beatnik du jeu de société. Un Black&White / Populus sur un mode Super fantasy, un peu bordélique mais assez stratégique tout de même.