Ce qu’il fallait retenir du Game Market
Le Game Market ! J’ai l’impression de vous en avoir déjà parlé si souvent que je me demande régulièrement si c’est vraiment utile. Je ne vous cacherai pas qu’au final, le Game Market, et les retours que je peux écrire à son sujet, reste un moment purement égoïste, un tour en grand huit qui durerait 8 heures et pour lequel je serais seul, assis au premier rang. Là où les émotions sont censées être les plus fortes.
C’est un plaisir perso, comme dirait un étudiant parisien accoudé au comptoir parlant de sa découverte des films de Tarkovsky, un kir au vin blanc aligoté à la main. Si vous avez déjà vu Solaris, un dimanche ensoleillé, ou Stalker, un lundi de Toussaint pluvieux, vous saurez de quel sentiment je parle.
Le Game Market, c’est une cour d’école que je connais bien. Tellement bien qu’il en devient difficile de savoir quelles informations pourraient désormais vous intéresser. Comme lorsque l’on pense avoir fait le tour de son pays, on finit par épuiser ce qu’il y a de bien à en dire et on prend le risque continu de tomber dans la facilité de la langue mauvaise et punitive.
Souvent, je vous ai fait saliver en vous parlant des bons jeux auxquels j’avais pu jouer, ainsi que des mauvais pour lesquels j’avais maintenu un sourire de circonstance et de politesse toute japonaise. Mes préférés étant clairement les jeux WTF, expression anglaise décidément parfaite pour exprimer un spectre d’émotions ludiques assez large.
Snobidou bidou
Je pourrais vous conter mes déboires avec un jeu dans lequel vous incarnez un personnage victime d’une diarrhée soudaine et intarissable, ou à propos d’un autre, le déplaisir de voir les joueurs autour de la table – avec un thème très proche – mimer le mal de ventre et le besoin d’aller vite s’enquérir d’un lieu où déposer ce surplus nauséabond…
De la même façon, je pourrais vous parler du nouveau jeu de I Was Game, a.k.a Masato Uesugi, et de Sakaue ! Ou de ceux de Seiji Kanai, ou bien encore du génial Hisashi Hayashi et de BakaFire. Ces trois-là embrassant à pleine bouche les quelques éditeurs américains venus leur rendre visite la veille du Game Market. Éternels AEG, TMG et IDW, nouvellement invités Crash Games…
Et puis, il y a le reste des convives. 400 à 500 exposants, venus présenter chaleureusement, ou timidement, leur(s) jeu(x). Créés seul ou en groupe, publiés, illustrés et fabriqués à fonds propres, prenant le risque de se refuser des dépenses inutiles pendant le reste de l’année si leurs jeux ne se vendent pas.
Ils sont nombreux, de plus en plus nombreux à vrai dire, à attendre qu’Eric Martin, le nerd au corps défaillant arborant paradoxalement un maillot de foot américain, leur adresse la parole. Avoir son jeu sur le BGG Store, quelle réussite ! En fait, non. Mais ce n’est que mon avis. Ils sont encore plus nombreux à espérer silencieusement ou, au contraire, la voix forte qu’un éditeur étranger viennent jeter un œil à leur table.
Faute de traduction en anglais, parce que cela coûte cher, ou alors avec un livret en lettres shakespeariennes réalisé grâce à Google Translate – cette infection logicielle au mépris du linguistique malheureusement encensée par les monolingues de tout pays – ils essaient, les bras levés au ciel, les yeux bougeant dans toutes les directions, d’expliquer des règles que quelques mots étudiés au collège ou au lycée ne suffisent pas à exprimer clairement.
Le Game Market, c’est tout cela et je vous en reparle dans 6 mois, quand celui de décembre aura eu lieu. En attendant cette prochaine échéance, je vous promets d’écrire sur autre chose : sur les jeux, dans leur individualité plutôt que perdus dans la masse, sur les acteurs qui font le Game Market, en tant que personnalité essentielle, ou non, mais pas considéré sous le prisme de la foule.
Oh, t’arrête de râler Jean-Loup ?
Mais, allons, trêve d’élitisme et de déprime induite par la répétition sans fin des mêmes errances, je vais vous parler rapidement des jeux que j’ai croisés.
Commençons par les plus évidents, ceux dont vous avez probablement déjà entendu parler. Hisashi Hayashi revient une fois de plus au-devant la scène avec deux jeux très bons. D’abord, son jeu Euro de l’année, Yokohama, une perle qui pèse près de 2 kilos avec des centaines de jetons (news)… Mécaniquement, Hayashi montre encore qu’il est capable de révolutionner le jeu de stratégie en quelques coups de créativité crayonnés sur 4 pages de règles.
En matière de composants, et c’est souvent là que le bât blesse, on se retrouve avec une nuée de morceaux de cartons colorés d’assez médiocre qualité. Le jeu et ses qualités intrinsèques viennent sauver les limitations des imprimeurs japonais.
Yokohama, une fois étalé sur la table, ne se cache plus d’être plus allemand que les jeux allemands.
Le jeu sortait pour le Game Market mais, comme souvent, il était présenté la veille aux éditeurs étrangers de passage. TMG a raflé le contrat, avec en prime les droits mondiaux sur le jeu. À n’en pas douter, ils ont dû verser une avance pas piquée des hannetons. J’ai rarement vu TMG se lancer si rapidement dans une campagne Kickstarter. On attend encore et toujours Ars Alchimia, un jeu très bon de Kuro, par exemple, signé il y a près de 3 ans désormais !
L’atout pour TMG avec ce jeu, c’est que les composants sont d’une qualité tellement triste qu’ils peuvent prétendre en proposer une version « deluxe », que nous appelons dans nos contrées, une version tout à fait normale. Comprenez qu’ils ont simplement remplacé le carton à peine passable par du bois.
Autre perle de Hayashi, aussi signée, Word Porters. Si j’étais suffisamment culotté pour m’aventurer dans cette comparaison, je dirais que Word Porters est un mélange étonnant entre Codenames et un jeu de pose d’ouvriers ! Oui, écrit comme ça, vous vous demanderez probablement quel genre de résultat cela peut donner. Eh bien, sachez que le jeu fonctionne très bien. On essaie de faire deviner aux autres joueurs le mot qui nous a été attribué en plaçant ses ouvriers sur des cartes indice. Evidemment, pose d’ouvriers oblige, les places sont comptées et il vous faudra redoubler de malice pour parvenir à faire deviner votre mot sans en passer par les indices les plus pertinents. Frustration, science du bon moment, gestion du risque et philosophie du choix par élimination sont au rendez-vous de ce jeu passionnant. Hayashi a même pensé à une version pour les enfants très réussie.
Word Porters, quand se mêlent pose d’ouvriers et party game !
On continue avec les habitués du Game Market : Seiji Kanai était présent avec un nouveau jeu. Enfin, presque. Love Letter Cthulhu ! Probablement déjà signé chez AEG, qui a, au passage, signé 8 Epics et les autres laissés pour compte que Seiji traînait depuis quelques éditions du Game Market et d’Essen, le jeu s’apparente évidemment au classique originel avec quelques twists tirés de la licence littéraire la plus bafouée de la décennie. Après Love Letter Street Fighter, Love Letter Cthulhu, on est en droit d’attendre un Love Letter Barbie ou Marvel ! Je ne bouderais pas mon plaisir sur ce dernier, vu que les deux dernières versions du jeu sont très agréables à jouer.
Love Letter Cthulhu… cette manne Love Letter ne se tarira donc jamais.
Oink Oink
Oink Games n’était pas en reste avec la sortie d’un classique de Reiner Knizia ! Le jeu s’appelle Twins et c’est un petit jeu très sympathique qui correspond parfaitement aux expérimentations graphiques de Jun Sasaki et de son équipe.
Très jolie remake du jeu de Reiner Knizia, à la sauce graphique Oink Games ! Pas la moins savoureuse…
À savoir qu’il est préférable d’attendre la deuxième version du jeu, qui aura un livret de règles dotés de meilleures traductions. Ça reste entre nous mais il semblerait que Reiner Knizia soit très dur avec les versions internationales de ses jeux. Pour Twins, situation assez habituelle au Japon, les règles ont été traduites depuis l’allemand vers l’anglais, par une traductrice allemande, avant d’être traduites en français depuis l’anglais, qui l’était lui-même depuis l’allemand… Ajoutez à cela les coquilles, les erreurs de copier/coller… Reiner Knizia a sacrément remonté les bretelles du petit éditeur japonais.
Les contresens ont été corrigés dans la version anglaise, ainsi que dans la version française. Oink attend juste que Knizia donne son aval pour une réimpression des règles.
En parlant de Oink Games, le jeu Insider, un jeu original publié en anglais et en japonais (pas de français prévu pour le moment), est sorti à l’occasion du Family Game Festival, qui s’est tenu à Nagoya il y a quelques semaines. Il s’agit d’un party game réalisé par les auteurs du groupe Insiderrrr. Le jeu se joue de 4 à 8, à partir de 9 ans pour des parties de 15 mn. C’est une très belle réussite et j’en parlerai plus précisément quand le temps me le permettra !
Insider, le party game nippon de l’été (enfin, du mien :D)
Les surprises
Dans la catégorie WTF, une belle brochette de jeux bizarres aux allures incandescentes… Le jeu des Dandys à moustache, d’abord, suivi de celui qui vous amène petit à petit à ne pas résister aux attaques de votre système digestif capricieux (entendez en mots de tous les jours : arriverez-vous à trouver des toilettes avant de vous faire dessus…), le nouveau jeu des sympathiques auteurs de Time Bomb (yeah !) et Time Bomb II (yeah en suspens !) qui reviennent avec un autre jeu dans le même genre mais a pour thème cette fois… l’odeur d’autres gens qui ont aussi des soucis de digestion. Décidément.
La suite de Time Bomb I, surprise ! Les règles sont déjà terminées. Ne reste plus qu’à rendre le jeu disponible (Essen 2016)
Au rayon bonnes surprises, Bakudan Takarabako, une petite merveille qui remplace d’emblée le Poker des Cafards pour moi (signé via Japon Brand, à en croire Tak) ! Le jeu mérite un article plus complet et je vous promets d’y remédier rapidement.
Masato Uesugi revient lui aussi avec Twelve Heroes, un jeu d’affrontement à deux à base de cartes, créé en collaboration avec un autre auteur habitué des salons d’Essen, le très beau Sakaue. Twelve Heroes est un jeu aux règles simples qui offre une rejouabilité très importante et des maux de tête parfaits pour les amateurs de confrontation à base de cartes à pouvoir.
La gestion de la nourriture, qui permet d’engager des unités dans la bataille mais aussi de les garder sur le champ de bataille au cours de tours suivants, est le cœur du jeu. Ne pas sérieusement prendre en compte cette partie du jeu, si simplement expliquée dans la règle qu’on pourrait ne pas y apporter la moindre attention, vous condamnerait à de cuisantes défaites. Là encore, ce jeu mérite un véritable article pour que vous puissiez prendre la mesure de ses qualités !
Taïwan est dans la place !
Les jeux taïwanais étaient présents en force avec Far East War 1592 et Burano, deux jeux qui ont fait parler beaucoup d’eux ! Le premier a été présenté récemment sur Kickstarter, tandis que le second est sorti aux Etats-Unis il y a quelques semaines. Deux merveilles qui montrent une fois de plus que Taïwan est un acteur très important sur le marché des jeux de société asiatiques.
Far east war 1592
Avec Smoox Chen en représentant, ça ne me surprend qu’à moitié, tant sa gentillesse et son sérieux le rendent convaincant ! Si je devais laisser mon opinion personnelle sur leurs jeux, je dirais que c’est dans les grandes ambitions que leurs qualités résident. Ils proposent beaucoup de petits jeux, avec Nerdy Inventions ou d’autres créations semblables en terme de volume, mais je les trouve souvent assez mal équilibrés et peu intéressants. 1592 et Burano, même s’ils sont déjà sortis il y a un bon moment, montrent tout le potentiel de leur groupe d’auteurs.
La Kawasaki Factory n’était pas en reste non plus puisque l’auteur pionnier présentait Trick of Spy, un jeu mélangeant le « Trick Taking » (comprenez le jeu de plis) et la déduction. J’espère pouvoir le revoir très bientôt et je ne manquerai pas de vous en parler dans les semaines à venir. C’est un coup de cœur de mon côté !
GroupSNE, concurrent caché de Japon Brand (avec ses ambitions esseniennes) proposait deux jeux Sorashinobi et Dice of the Dead Tokyo Armageddon. Le premier est un jeu de placement et de majorité qui se déroule dans l’espace avec des shinobi ! Mélange de science-fiction et de tradition japonaise, le jeu est graphiquement très intéressant. Au niveau mécanique, c’est l’une des plus belles réussites de SNE. Dice of the Dead est… moins réussi, avec un thème mille fois vu, et un matériel qui n’arrive pas à la hauteur du projet.
Des shinobis dans l’espace pour un jeu de gestion et de pose d’ouvriers (oui, enfin, dotés de katana, quand même)
La présence coréennes était aussi très importante avec quelques autres et éditeurs présents. On pourrait parler de plus en plus de création « panasiatique » tant les échanges s’enrichissent entre Taïwan, le Japon, la Corée et Hong-Kong. À suivre !
Gaijin Dash
Cette édition du Game Market était spéciale pour moi… j’ai consacré la journée (et les quelques mois qui ont précédé l’événement) à Gaijin Dash, un jeu réalisé par Antoine Bauza et Corentin Lebrat et illustré par Tori Hasegawa (illustrateur que l’on retrouve partout sur les boîtes, de Vorpals à Trick of Spy…).
C’est un party game qui invite les joueurs à incarner des « touristes étrangers » dotés des pires habitudes quand il s’agit de traverser la route. Ne pouvant s’empêcher de traverser quand le feu est au rouge, histoire de gagner quelques précieuses secondes, ils doivent cependant faire attention à ne pas se faire percuter par un véhicule. Du camion de pompiers à la grand-mère en scooter, ce sont des jetons de poker que les joueurs devront faire tourner sur eux-mêmes afin de savoir qui a traversé au bon moment !
Des cartes « passages-piétons » sont posées au centre de ma table. Celles-ci indiquent quels jetons seront utilisés pendant la manche (comprenez, quels véhicules risquent de vous percuter si vous avez la mauvaise idée de traverser à ce moment-là). Les joueurs donnent un coup d’index vigoureux aux jetons de poker qui tournent sur eux-mêmes… Les jetons ont deux côtés bien distincts : le recto représente le véhicule, le verso, un passage-piéton. Les joueurs doivent dès lors essayer de taper le plus rapidement possible sur la carte « passage-piéton » qui semble la moins dangereuse. Si les joueurs ont choisi une carte qui ne représente aucun des véhicules représentés sur les jetons retombés face véhicule, ils gagnent des points… Si la tentative est ratée, ils reçoivent une pénalité. Le jeu est très simple d’approche et mêle rapidité et observation.
Antoine Bauza et Corentin Lebrat ont trouvé cette idée de jeu pendant l’été 2015 et ont tous de suite pensé que cela ferait un bon jeu pour le Game Market. Ils ont enfin réalisé leur rêve de participer au Game Market en tant qu’auteurs avec un jeu entièrement produit au Japon !
Gaijin Dash, le jeu exclusif au salon d’Antoine Bauza et Corentin Lebrat
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Dr. Jacoby 22/07/2016
Très très bon ce Twelve Heroes effectivement dans le genre « gamer-minimalistes » entre Strife et Art Of War.
Rien à voir, mais je suis super fan de l’esthétique des jeux Oink
morlockbob 22/07/2016
J aime toujours me promener indirectement dans le salon japonais, même si je saute plus difficilement de joie (la vieillesse sûrement)… Pour Yokohama, la version KS est juste magnifique, très loin des jetons en cartons. Presque faillit craquer, mais ne connaissant pas le jeu, je me suis abstenu. J’attends donc de voir si Oink a redoré son blason. ..
GeekLette 22/07/2016
Très chouette résumé. Merci
Intriguée par qq jeux dont celui de pli et déduction (nom à retenir)