Florence : toi, t’es trop v.i.p !

Vous venez de lancer votre chaîne Twitch et vous voulez que ça décolle. Vous aussi, voulez être dans le « Game », avoir votre pass pour Cannes, côtoyer les stars du jeu et boire des cocktails lors des soirées privées. Il faut retrousser ses manches et se démarquer des autres, avoir accès direct à ceux qui font le monde ludique, squatter les endroits où ceux qui sont en haut évoluent. Ou bien rester un petit joueur.

 

 

Mais keski raconte !!! Avec un visuel pareil, vous avez vite compris que je faisais fausse route. Si le décor n’est pas celui évoqué, le thème est similaire et les envies humaines intemporelles. Florence, la ville, est le terrain des affrontements subtils de différentes familles prêtes à tout pour se faire une place de choix dans la cité. Pendant que le carnaval bat son plein, il faudra durant les neuf manches des festivités, progresser sur l’échelle sociale, courtiser les  nobles, leur offrir des cadeaux, poster vos gardes avec intelligence, et se faire remarquer. Jeu de contrôle de zones changeantes à la suite des trajets des Médicis se promenant d’une fête à l’autre, serez-vous celui qu’on estime au lever du jour, celle dont le nom sera inscrit au firmament de la célébrité ?

 

Mise en place, les anneaux de couleur désignent les lieux d’arrivée de chaque carrosse.

 

Le temps c’est de l’argent de l’action

Florence vise le jeu expert. La soirée sera longue pour les protagonistes et les joueurs. Le temps, parlons-en, il sera au cœur du jeu. Celui que l’on vous alloue et que vous allez dépenser, telle une monnaie, pour acheter vos actions : déployer vos personnages, les faire grimper de niveau, accélérer leur déplacement, offrir un cadeau, ou se vanter. Un coût variable de -1 à -5 unités, sur un total démarrant à 12. Il faudra savoir gérer sous peine d’être freiné dans votre stratégie.

Chaque joueur démarre avec le même type de famille comprenant tout ce que l’on vient d’évoquer : cadeaux, calices, quinze personnages, et une bague pour passer son tour, ce qui permet de regagner du temps ou des bonus. Quinze personnages, mazette, c’est beaucoup !

 

Tout est là, débutants, donna, maestro, gardes, calices et cadeau

 

En réalité, ils ne sont pas aussi nombreux. On peut les diviser en deux groupes. D’un côté les débutants, donna et maestro. Ce sont les mêmes mais à des niveaux de hiérarchie différents. De l’autre, les gardes. Ces derniers servent un peu à tout, et sont activés via le don de cadeaux aux nobles ou certaines cartes. Ils seront, selon le noble à qui ils se réfèrent, garde du corps, espion ou videur, permettant de gagner là encore des bonus de temps, déplacement ou points de victoire selon les endroits. Le videur par exemple permet à un membre de sa famille de gratter quelques places dans la file d’attente.

Les nobles sont au nombre de trois : Cosme, Contessina et Jean. Ils se baladent en carrosse suivant un plan de route préétabli, valorisant de leur simple présence le trajet et leur destination. Cette figure se déplace une fois que les joueurs ont terminé leurs actions, et distribue points de victoire et carte scandale. Chaque noble a son paquet avec des effets permettant de placer des gardes, reprendre des marqueurs, promouvoir un meeple… N’oubliez pas de leur offrir des cadeaux, en échange vous pourrez asseoir votre suprématie dans les rues, les tuiles vantardises et les lieux, en plaçant vos gardes.

 

Contessina en rose va se rendre au lieu 9, attendue par une donna jaune. Parfait

 

Tous ces personnages qui se placent et se déplacent créent une interaction importante dans le jeu. Il faudra avoir en tête un plan de développement tout en anticipant les mouvements adversaires et en s’adaptant. Il ;faut programmer sur plusieurs tours, ce qui n’est pas toujours évident pour tout le monde.

Un petit tour en Toscane avec le ludochrono.

Désolé, vous n’êtes pas sur la liste

Maintenant que nous avons fait connaissance avec les acteurs du monde de la nuit, que faut-il concrètement faire pour réussir ? C’est simple, il faut être là au bon moment et se montrer.

Plusieurs façons de faire. On peut se déployer, c’est-à-dire déplacer un débutant (pion de base) vers n’importe quel lieu ayant un emplacement libre dans sa file d’attente. Inconnu, le pauvre bougre hérite de la dernière place libre. Plus tard vous pourrez promouvoir vos pions : le débutant devient donna, la donna, maestro. L’intérêt ? Ne plus faire la queue et posséder un coupe file. Une donna passera toujours devant un débutant… Attention, il y a déployer et se déplacer (bouger vers un lieu adjacent), ce qui oblige à être déjà présent sur le plateau. Si vous êtes pressé, vous pouvez vous dépêcher et aller plus vite, plus loin ou plus nombreux. Le placement, le timing sont des axes importants du jeu, le but étant de ne pas louper la visite du noble. Être présent, devant, plutôt que noyé dans la foule.

 

Des tuiles vantardises qui attendent vos calices. Deux membres sur un lieu, c’est 4 PV

 

D’autres manières de procéder existent. Vous avez du bagout, vous êtes rusé ou argenté… Alors vous voilà bien parti. Partout dans la ville sont disséminées des tuiles vantardises, celles qui accueillent les pions calice. Suivant certaines conditions vous pouvez activer une de ces tuiles, y placer un de vos marqueurs et y glaner des points. Vous avez six marqueurs pour neuf tuiles, essayez d’optimiser leur dépense. Les emplacements sont graduels et offrent des points croissants. Se mettre au centre pousse les autres joueurs à viser le maximum (plus compliqué à atteindre) ou à accepter les miettes. Cela peut vous servir à connaître certains potins et faire éclater le scandale. Ces cartes vous donneront en retour des avantages de déplacement, promotion, réduction de coût etc. Ou pourront être échangées contre du temps. Cela peut être une stratégie de départ, prendre des scandales et bénéficier d’effets, marquer les points des tuiles et gêner les autres.

 

Offrir un cadeau ou un calice sans être présent sur place ou échanger sa place, trois exemples… scandaleux.

 

Un coup de fatigue, une envie d’économiser du temps, sécuriser un lieu, ou simplement coincé, n’hésitez pas à passer : vous placez votre bague sur un lieu et ne pouvez plus effectuer d’actions. Vous gagnez par contre des unités de temps, point de victoire et pouvez même échanger votre place avec la personne devant (en respectant la hiérarchie), cela à chaque fois que le tout revient à vous.

Comme on le voit à la lecture de ces quelques règles, les différentes actions se renvoient la balle pour que le joueur puisse toujours et de plusieurs manières, effectuer une action, récupérer du temps, marquer des points etc. Ce sera bien sûr l’optimisation de ces biais qui fera la différence.

Les joueurs ayant terminé, c’est maintenant au noble de bouger et d’effectuer son décompte, attribuant des points aux membres des familles qui le croisent et le rencontrent, en fonction du segment du cadran des nobles. Cet ultime élément, et non des moindre, donne en début de manche des unités de temps aux joueurs et définit la destination des carrosses. À la fin de la manche, ce cadran distribue les points de victoire selon le barème lié au noble actif. Une fois encore, pas, de surprise, le cadran, à l’instar d’un Isle of Skye vous montre le futur sur trois tours. Vous savez quel noble va se déplacer, où, et la façon dont il procédera au décompte. Une série de trois tours qui va boucler deux fois tout en évoluant, et rapporter plus au fur et à mesure de l’avancée de la partie.

 

Mieux qu’une voyante, le cadran des nobles vous dévoile le futur. Tour 1 vous gagnez 12 temps et savez que le carrosse rouge se rend au 2.

Suivant les manches, este ensuite à récupérer des cadeaux, du temps, à révéler de nouvelles destinations. Vous avez la forme ? Parfait, on repart, la nuit est loin d’être finie. Vous reprendrez bien un verre de barolo brunate ?

À noter, comme c’est d’usage, un mode solo signé David Turczi qui semble devenu incontournable dans le genre, et à qui l’on doit déjà Petrichor, Teotihuacan, Imperium

Y a une after ?

Si vous aviez encore un doute, le voilà dissipé. Florence n’est donc pas un jeu d’ambiance à la suite de Bonjour Simone (2015), Monique (2022) ou Bernard (2023). C’est pourtant bien une suite. C’est même le troisième opus de la trilogie méditerranéenne de Braincrack Games après Ragusa (2019) et Venice (2021). Rien ne lie vraiment les trois jeux, œuvres d’auteurs différents.

 

Le matériel du jeu retranscrit l’ambiance de la ville et ce que vous allez y faire durant cette folle soirée de Carnaval. Le dos de la boîte insiste sur le nombre de pièces de bois et de son « superbe matériel ». Si c’est une manière d’attirer le chaland, il faut bien avouer que l’éditeur ne se moque pas du monde : plateau personnel avec cadran et insert, meeple garde, débutant ou donna, calice, sans oublier les carrosses (un peu gros) qui sillonnent la ville, tout cela rangé dans des réceptacles aux couleurs des familles. Le faste de cette soirée est également dans la boîte. Rappelons pour la petite histoire qu’au 15ème siècle, Florence était une des plus riches villes d’Europe, berceau de la Renaissance et dirigée par les Médicis, accessoirement banquiers du Pape.

 

 

 

Voilà un jeu qui ne révèle pas le meilleur de chacun, et favorise plutôt la ruse et la vantardise, le besoin de se faire remarquer et les coups bas. Ne nous voilons pas la face, avec les Médicis, on oublie d’entrée les méthodes douces. Si, évoqué comme cela, le thème peut paraître méchant, on l’occulte lors de son déroulement pour se concentrer sur les actions, la meilleure façon de les orchestrer et, surtout, gérer ces unités de temps qui nous font perpétuellement défaut. Tout en préparant l’arrivée du noble et de ses exigences. Cosmo donne des points selon la place du meeple dans la queue. Contessina ne s’occupe que des donna et mäestro. Jean se penche sur les contrôles de zones. Hélas sa générosité se paie en unités de temps, pensez à en conserver si vous savez que vous le rencontrez.

 

C’est l’heure d’affluence au bout de quelques tours.

 

Votre principal ennemi est le temps comme je l’ai évoqué. Placer un débutant coûte quatre unités, ce qui, sur 12, est une sacrée somme. Cela a donc une influence sur les tours, entre ceux qui dépensent, ceux qui avancent pas à pas pour temporiser. Car ici, tant qu’on peut payer, on peut continuer. Florence n’est pas un jeu de pose d’ouvriers, c’est un jeu de programmation sur trois manches. Il faut avoir une vue globale des trajets, les appréhender et calculer tout ce qui peut arriver. À ce stade, il faut parfois sacrifier une manche ou un lieu pour mieux revenir ailleurs. C’est en sachant prévoir, bouger et calculer la position de ses membres, la majorité qui rapporte le plus au bon moment, que vous avancerez. On en revient toujours à ce point. Comment faire pour tout faire, avoir assez de temps pour reprendre une place, promouvoir et bloquer son adversaire ? Voilà ce qui rend la partie calculatoire. Il faut observer les voisins, voir où ils se positionnent, et de combien de temps ils disposent pour valider leurs actions. Peuvent-ils vous gêner, pouvez-vous les embêter, reprendre le contrôle… Si j’ai lu que le jeu se jouait à deux, il est bien meilleur à quatre, là où on se vole les places, la majorité et les vantardises. Voire trois pour raccourcir la durée.

Le passage du carrosse n’est pas la seule direction à prendre, on peut, du moins un temps, se concentrer sur les tuiles vantardises plutôt que les lieux, ces dernières rapportant pas mal de points. Sans complètement abandonner nos nobles chéris non plus. Pfff ! C’est pas simple.

 

Si on vous le dit…

 

Si le jeu est original, on aura quand tiqué sur deux éléments. Les cartes scandales ont pour certaines des effets assez violents (reprendre un calice, reprendre un membre de sa famille…). C’est toujours embêtant de planifier pour se faire évincer par une carte, cet aspect aura déplu à certains joueurs. C’est ce que l’on reproche aussi aux Intrigue de Dune Imperium et rien ne vous interdit d’aller en chercher. Plus concret, on cherche encore où sont les 20 minutes de jeu par personne. Après plusieurs parties nous sommes passés de 3 à 2 heures de jeu. La réflexion est intense, mais neuf manches c’est trop, surtout que dans le dernier tiers, on a tendance à se répéter.

J’avoue que je me suis penché sur ce jeu sans vraiment savoir à quoi m’attendre, simplement parce qu’à la lecture des règles, il me semblait intéressant. Et je ne regrette pas. Comme souvent, les bases sont simples à comprendre et plus complexes à appliquer. Il faut par contre avoir une bonne vision à long terme, à la fois de vos actions et de l’évolution du plateau. Si vous aimez la programmation, mettez vos plus beaux habits et tentez donc, le temps d’une soirée, de faire partie des « people » de Florence. Si ça tombe, la hype, c’est votre truc.

 

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1 Commentaire

  1. Nanocar 20/06/2023
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    nice..Thank you for sharing

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