Fitna : Global War in the Middle East

Si, comme moi, vous ne parvenez pas à avoir une idée claire de la situation et des conflits récents au Moyen-Orient, Fitna peut vous aider. Ce wargame à l’échelle stratégique, pour deux à six joueurs, propose en effet onze scénarios. Certains d’entre eux reprennent les guerres qui ont eu lieu dans cette zone entre 2012 et 2018. D’autres ont une fonction prospective, c’est-à-dire qu’ils permettent de réfléchir à des conflits potentiels qui pourraient avoir lieu dans un futur proche.

Il faut dire que l’auteur de Fitna, Pierre Razoux, est un chercheur en histoire militaire qui a fait du Moyen-Orient, l’une de ses spécialités. Auteur de nombreux ouvrages de référence, parmi lesquels La Guerre Iran-Iraq paru chez Perrin, il avait consacré son premier jeu, Bloody Dawns, à cette guerre. Avec Fitna, Pierre Razoux entend permettre aux joueurs de comprendre les intérêts concrets des acteurs en jeu, tout en offrant un outil militaire de simulation stratégique.

Entre outil d’apprentissage, de simulation et de prospection, Fitna s’adresse donc à différentes sortes de public, les mécaniques de déplacement point par point, de gestion de main et de combat étant accessibles aussi aux non-spécialistes du genre… à condition de dépasser l’impression initiale que font le nombre et la variété de pions contenus dans la boîte !

La carte de Fitna qui, en fonction des scénarios, n’est pas toujours entièrement utilisée.

 

Accessibilité rime avec subtilité

D’un point de vue mécanique, étant habitué des jeux pilotés par les cartes (card-driven), je n’ai pas eu de difficulté particulière à comprendre le fonctionnement de Fitna.

Le déroulement d’un tour de jeu m’a semblé simple : l’un après l’autre, les joueurs peuvent d’abord jouer des cartes Événement et, dans un deuxième temps, une ou deux cartes Événement ou Appuis pour leurs points d’opération. On utilise les points d’abord pour se déplacer, ensuite pour lancer des offensives. Le tour d’un joueur se termine par un mouvement stratégique et par une reconstitution de sa main à quatre cartes.

Parmi leurs nombreux effets, les cartes Événement permettent notamment de faire venir des renforts, de susciter la révolte dans certains pays et de mobiliser les unités kurdes ou de Daech. Les cartes Appuis sont surtout utilisées pendant les combats. Un certain nombre d’entre elles permettent en effet de gagner des bonus d’attaque et/ou de défense grâce à l’intervention de forces aériennes de différentes sortes.

 

Quelques exemples d’événements, parmi lesquels le Conseil de Sécurité de l’ONU qui, en fonction du résultat au dé, peut mettre fin immédiatement à la partie. Dans l’une de mes parties, il a permis à la faction Kurde de mettre fin immédiatement à la partie et de gagner (scénario 7).

 

En fonction de leur degré de complexité, les scénarios peuvent en revanche comporter des règles spéciales ou ajouter des règles optionnelles qui, sans être excessivement compliquées, demandent à être prises en compte. Par exemple, il arrive que certaines factions disposent d’un nombre défini de points d’ops gratuits, au début de la partie. D’autres fois, elles ont des objectifs à remplir avant la fin du premier tour de jeu ou doivent satisfaire certaines conditions pour pouvoir utiliser certaines forces sur le champ de bataille.

 

Combats : équilibre entre déterminisme et hasard

Parmi les éléments mécaniques de Fitna que j’ai appréciés, il y a le fonctionnement des combats, avec sa table de résolution. Contrairement aux points d’opération dépensés pour le mouvement qui permettent de déplacer deux unités à la fois, les points dépensés pour les offensives permettent de lancer une seule attaque. On comprend donc l’intérêt de la planification qui se déroule avant de connaître le résultat des combats.

Avant de lancer une offensive, le joueur n’a pas le droit de regarder la pile d’unités de son adversaire. Il lui faut donc compter uniquement sur la valeur d’attaque de ses unités. Pour résoudre un combat, on calcule le différentiel entre la valeur d’attaque et la valeur de défense des unités impliquées. Ensuite on applique d’éventuels modificateurs (il peut s’agit de spécificités liées à la morphologie du territoire). Enfin, les joueurs, en commençant par la défense, peuvent jouer des cartes Appuis.

Chaque jeton représente un nombre plus ou moins important de combattants. De la gauche vers la droite, les unités ont une valeur d’attaque, de défense et une capacité de déplacement variables.

 

En fonction de la colonne obtenue, on aura plus ou moins de chances de réussir notre attaque. D’ailleurs, selon l’état des unités du défenseur, il y aura plusieurs façon de la réussir : en plus de la possibilité que le défenseur batte en retraite ou se rende, un échange ou un échange avec de lourdes pertes peut aussi permettre de prendre le contrôle d’un territoire, même si cela comporte de prendre un ou deux pas de perte avec nos propres unités.

 

 

Ainsi, sans pouvoir prédire avec certitude le résultat d’un combat, ce système rend visibles les probabilités de mener une offensive à bien, tout en tenant compte des spécificités de chaque lieu, des éventuelles tranchées ou encore des engins explosifs improvisés. D’ailleurs les modificateurs liés aux territoires s’appliquent également aux lancers de dé des cartes Événement qui permettent d’éliminer une ou plusieurs unités situées dans une case – ce que j’ai trouvé très astucieux.

 

Négocier et gagner à plusieurs

Une autre spécificité de Fitna que j’ai appréciée, ce sont les conditions de victoire : chaque scénario comporte en effet des pré-requis pour chaque faction, mais aussi différents niveaux de victoire. En fonction de la situation sur la carte à la fin de la partie, une faction peut ainsi remporter une victoire mineure, majeure et décisive. Cela dépendra notamment du nombre de cases contrôlées, de l’éventuelle présence d’une faction adverse sur le territoire d’un État ou encore du contrôle de certains endroits stratégiques, qui tirent leur importance de facteurs politiques, économiques ou religieux.

Dans la mesure où certaines conditions de victoire sont compatibles, il peut donc arriver qu’à la fin de la partie plusieurs joueurs gagnent, même si à des niveaux de victoire différents. C’était le cas lors d’une partie à trois joueurs (scénario 3 : Le Kremlin contre-attaque) qui s’est achevée par une victoire mineure des Syriens et des Turcs, et par une victoire décisive des Irakiens. Vers la fin de la partie, pour éviter que la Syrie prenne le dessus – et, au passage, qu’il tente de m’envahir par le nord – et remporte une victoire décisive, j’ai échangé l’événement Coup d’État en Syrie contre des Renforts pour permettre au joueur Turc de remonter la pente et de contrer l’offensive syrienne.

La situation sur le plateau au début du dernier tour (scénario 3).

 

En effet, si, dans les configurations à deux, Fitna est un jeu dans lequel les factions se livrent surtout à des offensives frontales, à partir de trois joueurs, la négociation joue un rôle important, dans la mesure où les factions cherchent à se contenir réciproquement, tout en tirant leur épingle du jeu. D’ailleurs, cet aspect de Fitna n’est pas sans rappeler les jeux de la série COIN. Enfin, il est également possible de nuire aux autres factions par des moyens interposés : à l’exception d’un scénario, les Kurdes et Daech sont instrumentalisés par les factions au moyen de cartes Événement permettant de les activer, de les déplacer et de lancer des offensives.

 

Entre la simulation et la prospection

Avec ses multiples conditions de victoire non exclusives, et certains de ses scénarios qui, pour coller de près à la situation sur le terrain, semblent désavantager certaines factions et la nécessité de négocier entre joueurs, Fitna ne s’adresse probablement pas aux joueurs qui ont un esprit de compétition très aigu. On joue en poursuivant les objectifs de sa faction, on tente de mettre les bâtons dans les roues des autres joueurs, mais il vaut mieux ne pas vivre comme un drame le fait de ne pas être le seul gagnant.

J’ai approché Fitna avec curiosité, mais en tant que novice – à la fois par mes faibles connaissances des conflits au Moyen-Orient, et par mon absence d’expérience avec les jeux de guerre proprement dits. En effet, j’ai surtout de l’expérience avec les jeux d’histoire et de politique qu’avec les wargames. Étant habitué de jeux complexes, je l’ai trouvé facile d’approche, bien que les nombreux pions en carton m’aient un peu dérouté à la découverte du jeu.

Il faudra peut-être un peu de temps pour s’y repérer et, dans la mesure où le matériel est en anglais et la version française des règles n’est pas à jour des derniers errata, être un tant soit peu à l’aise en anglais vous sera utile. Il n’y a pas d’imprécisions majeures dans les règles, mais quelques questions surgissent durant la partie et être familier de BoardGameGeek et de son forum sera parfois nécessaire.

L’ergonomie du jeu est satisfaisante dans l’ensemble. Je regrette qu’il n’y ait pas de piste pour tenir le compte des points d’opération alloués aux mouvements et aux offensives, ni de marqueur de contrôle pour ne pas oublier le dernier joueur à s’être rendu sur les cases vides. Ce sont néanmoins des défauts négligeables, dans la mesure où l’expérience de jeu reste fluide.

 

 

es nombreux scénarios offrent aussi bien la possibilité de simuler des guerres qui ont effectivement eu lieu, que d’explorer des conflits possibles. L’auteur encourage d’ailleurs les joueurs à créer leurs propres scénarios pour explorer leurs hypothèses. En effet, en tant qu’outil de prospection et de simulation, Fitna a également été utilisé par des institutions militaires en lien avec le Ministère de la Défense pour réfléchir aux évolutions de la situation géopolitique du Moyen-Orient et mettre à l’épreuve des scénarios possibles (voir, par exemple, cet article du Figaro).

Néanmoins, avec l’œil d’un profane de ces questions, l’absence de livret de jeu avec des explications historiques plus fouillées que les notes de l’auteur m’aura laissé sur ma faim. Certes, il est toujours possible de lire et télécharger gratuitement l’Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient auquel Pierre Razoux a contribué, mais il m’a manqué un livret qui mette en évidence le lien entre le jeu et ses mécaniques, d’un côté, et les événements militaires modélisés, de l’autre côté.

Ce choix éditorial m’a donné l’impression que, pour comprendre véritablement ce qui se joue dans Fitna, il vaut mieux se documenter au préalable et uniquement avec des ressources extérieures. Le jeu, par lui-même, ne donne pas cet éclairage que j’attendais, aussi général et introductif soit-il.

Je ne dirais pas que Fitna s’adresse aux seuls passionnés experts de wargames. Quiconque a de l’appétence pour des jeux complexes et de l’intérêt pour ces questions pourra l’approcher. En revanche, pour l’apprécier pleinement, je le conseillerais tout particulièrement aux personnes qui ont des connaissances plus poussées dans la géopolitique, les relations internationales et l’histoire militaire récente du Moyen-Orient.

 

 

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2 Commentaires

  1. Groule 12/05/2023
    Répondre

    Merci ! On se spécialise Wargamer j’ai l’impression 🙂

  2. El Duderiño 16/05/2023
    Répondre

    Tu vas voir… je vais bientôt te surprendre ! (ou pas :D)

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