Fit to print : Rédac chef à la Une
Vous êtes maquettiste dans un grand journal (on dit toujours grand journal…), dans un journal local au titre éloquent : Le ruisseau babillant, La flore et la faune, Les presses de la châtaigne… Votre boulot : assembler la une avec des articles pertinents, des photos qui collent aux propos, et des pages de pub (il faut bien vivre), le tout sans gâcher du papier et en respectant un certain équilibre. Ni trop bavard, ni trop visuel, ni trop déprimant, ni trop people. Tout en respectant également la surface qui vous est allouée. Autant dire que si le puzzle est votre passion, vous avez toutes les chances d’être augmenté !
Avant même de se lancer dans la partie, on a apprécié le dessin charmant et champêtre de Ian O‘Toole (Black Angel, Lisboa …), qui donne un côté désuet au jeu avec ses vieux téléphones à cadran, son homme ours canon, ou son flamand rose singeant Karaté Kid. Ici pas d’humain mais des animaux ou des animaux anthropomorphes si vous préférez, avec un côté entre deux guerres, à la Frank Capra. Le style des publicités et leur texte (Babe 8 : pig in space) recèle de détails qui ajoutent au soin apporté à la présentation visuelle de ce jeu, tout comme les biographies du staff, du manager au photographe… Même si c’est la taille des tuiles qui nous intéresse, le contenu est à découvrir. Niveau matériel, nous sommes bien servis par une centaine de tuiles épaisses, des plateaux pliables (la pliure pouvant définir une zone au dessus/au dessous), et des bureaux 3D à monter, servant le propos autant que le jeu puisque c’est ici que s’empilent articles et photos.
La presse papier, plu persone n’en li (Kevin Instagram)
Fit to Print est, grâce à des variantes, un jeu pour toute la famille avec des niveaux adaptables suivant les joueurs. Partons en mode normal, pour adultes habitués.
La partie va durer trois manches. Trois manches pendant lesquelles nous allons marquer des points immédiats avec nos articles, photos mais aussi accumuler des points de pub ($) qui seront décomptés à la fin. Attention de ne pas se faire distancer. Chaque maquettiste a devant lui une feuille vierge pour l’édition du vendredi (manche 1). Espace qu’il va falloir remplir au mieux, laissant le moins de vide possible. Tout d’abord, on place une tuile centrale. Elle donne une direction, coup de pouce sous forme de bonus : les articles au dessus de la pliure comptent double, on peut coller des pubs entre elles, des points supplémentaires par article de votre couleur majoritaire etc.
On peut, et je vous le conseille, intégrer après une première partie l’événement du jour (pas de photos au dessus de la pliure, les pubs doivent coller les articles, les articles déprimants ne peuvent pas se toucher…), et un personnage avec sa compétence (vous commencez le jeu avec 3$, aucun malus pour un article non utilisé…). Cela donne un petit plus au jeu, à la fois plus contraignant avec les événements (breaking news) mais aussi plus souple avec les compétences (press pass).
Toutes les tuiles (articles, photos, pubs) sont face cachée au centre de la table. Au top départ (le minuteur est réglé sur 5 minutes pour la première partie), les joueurs vont simultanément piocher des tuiles. Pas la peine de fouiller comme un excité, cela ne sert pas à grand-chose, il y a beaucoup de données à prendre en compte et vaut mieux se concentrer. On prend une tuile, on la retourne sur son bureau et si ça ne plaît pas, on la remet sur la table. Tout se fait à l’œil, pas le droit de tester quel espace prend celle-là ou si les deux ensembles débordent du cadre. Alors on prend, on dépose sur le bureau, jaugeant comme on peut notre réserve jusqu’au moment où on décide que l’on a assez de matière. C’est la phase de mise en page. On assemble, on place, on déplace afin de remplir sa page et de satisfaire aux obligations d’adjacences, autant pour marquer que pour éviter de se prendre des malus.
Tout d’abord les tuiles ne peuvent déborder du cadre. Si cela est évident manche 2, les extrémités de la feuille (largeur de 8 cases) étant claires, le journal du vendredi ne peut s’étendre que sur 7, on doit penser alors à enlever une colonne. Les tuiles doivent toujours être dans le bon sens. Jusque là, c’est logique. Les articles de même couleur (rose/bleu/vert) ne peuvent se toucher, tout comme les pubs ou les photos. Ces dernières prennent de la valeur si elles sont à côtés des articles demandés. Si erreur il y a, la tuile est retournée et vaut zéro.
Votre une est compacte, les bonnes photos avec les bons articles, le bonus de la tuile centrale est opérationnel ? Parfait. Sûr ? Il reste un peu de temps et un dernier coup d’œil avant la publication peut changer la donne. Stop ! Les 5 minutes sont écoulées. Les points tombent avec les articles, les photos si elles sont placées correctement, si la tuile centrale à été validée etc. Combien de tuiles trainent encore sur le bureau ? Ah zut, un malus. Qui a la plus petite surface de cases vides, qui a la plus grande ? Ah zut. Et nous avions oublié de parler de l’humeur. Un équilibre entre bonnes et mauvaises nouvelles (symbolisées par des logos jaunes / bleus) doit exister sinon la différence des deux donne des points négatifs. Zut zut et flûte ! La pub additionne ses points mais ne sera effective qu’au dernier tour.
Le journal du samedi est sur les rails. On reprend une tuile centrale, un évènement et surtout, notre grille s’agrandit. Une case de plus par ligne. Rien de bien compliqué au final. Vraiment ? Si vous aviez compté le nombre de tuiles prises manche 1 pour avoir un ratio, il suffit donc d’en ajouter deux ou trois pour avoir le compte… On est quand même tenté d’en reprendre un peu plus au cas où. Malgré notre hypothèse savante, le placement n’est plus exactement le même. Une case ça change beaucoup l’air de rien. Ce principe sera appliqué pour le journal du dimanche avec un cadre encore plus grand. À la fin de la troisième manche, le décompte sera le même sauf avec les publicités. Le journal avec le plus bas revenu est tout simplement éliminé ! La presse c’est un business.
Le jeu ne s’arrête pas là et propose, outre un mode solo, un mode puzzle. Avec des tuiles imposées, il fait réussir la meilleure Une possible en utilisant la totalité du matériel. Un système de barème avec des buts précis peut être appliqué au long des parties (marquer 60/70/80 points, gagner 25 dollars en publicité, ne posséder aucune tuiles en trop de la partie…). Un mode familial est proposé, allégeant la douloureuse des fins de manches notamment sur les cases vides, articles inutilisés… Une variante en équipe pouvant monter jusque 10 joueurs existe aussi.
Fils de pub
En 2023, nous avions pu découvrir Animalia, Souviens-toi, Ecosytème ou le récent Shake the city qui, eux aussi, s’inspirent du même principe que notre jeu journalistique : Poser des cartes ou des polyominos de la façon la plus optimale pour marquer des points. X est adjacent à Y et Z etc. Rien de nouveau non plus puisque des titres comme Carcassonne ou Barenpark avaient déjà utilisé, de près ou de loin, cette mécanique. Alors Peter McPherson, vilain copieur ? Il faudrait plutôt se demander pourquoi un jeu plaît, pourquoi un titre sort du lot ? C’est parfois un mystère et cela tient à peu. Car oui, FTP n’innove pas, c’est un puzzle avec ses petits bonus de placement, ses contraintes de tours et son occupation maximale des sols. Classique. Il a cependant pour lui plusieurs choses : des plateaux qui s’agrandissent et faussent notre gestion de l’espace, un minuteur qui met la pression (même en poussant à 5 minutes au lieu de 4), et le fait d’entasser les tuiles au jugé (et zut il en manque !!! Et zut j’en ai trop !!).
Attirant de par son imagerie et son thème qui colle bien à sa mécanique centrale, le jeu peut être déconcertant car il y a beaucoup à penser. Qui plus est, le jeu est subtilement exponentiel. Et l’agrandissement du cadre, cette ridicule case de plus par ligne, bouleverse chaque manche, faussant notre jugement. Car si l’on veut être minutieux, il a y a beaucoup à prendre en compte : la tuile centrale, le bord du cadre, le trop/trop peu du bureau, la couleur des articles, le nombre des logos humeur… Et si en plus on ajoute l’événement du jour, cela peut vous mettre la tête en émoi. Autour de la table, l’engouement peut vite tourner aux jérémiades car rien ne s’assemble, car il reste trop peu de temps, car on n’a pas les bonnes couleurs. Certains ont trouvé l’exercice difficile. Tout en acceptant une revanche sans rechigner.
Fit to print est un jeu en temps réel et sous pression. Après quelques parties, si le chronomètre nous inspire moins de crainte, on a encore tendance à se presser, à oublier combien de mauvaise humeur on a stocké, et si la tuile pub qu’on vient de prendre n’est pas trop imposante. Ah oui, la pub j’en suis où dans mes gains ? Dans FTP il faut avoir l’œil et il faut trouver le rythme, celui qui permet de fouiller et de mettre en place sans être dans le rush. Pas si facile. Si ce côté oppressant ne vous plaît pas, il reste des versions plus posées où le sens du mot puzzle sera encore plus au cœur du jeu, faites-vous plaisir !
Fit to print ne révolutionne donc pas le genre mais sait, grâce à un travail soigné, un mélange de mécaniques équilibré et un rythme bien mené produire sa dose de réflexion et de d’amusement. Une réussite. À noter que j’ai joué sur la version de Flat out games, une localisation en France courant d’année est prévue.
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :
Shanouillette 22/05/2024
La VF, Rédac’Chef, commence à être teasée chez Luck Duck